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15 Juillet 2022

Déclaration — Inde : L’UE doit dénoncer les représailles contre les défenseur⸱ses des droits humains en Inde

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En amont du dialogue entre l’Union européenne (UE) et l’Inde sur les droits humains prévu le 15 juillet 2022, Front Line Defenders a appelé l’Union européenne à prendre une position ferme sur la crise croissante des droits humains en Inde, en particulier les représailles menées contre les défenseur⸱ses des droits humains (DDH) en raison de leur travail. Pour que ce dialogue soit efficace, l’UE doit garantir des références claires et publiques pour son engagement en faveur des droits humains avec l’Inde, et faire pression sur les autorités indiennes concernant le traitement des DDH, en particulier ceux qui sont emprisonnés à cause d’accusations sans fondement et aux motifs politiques.

Le dernier dialogue, le 12 avril 2021, s’est terminé sans résultats tangibles quant à la protection des défenseur⸱ses des droits humains. Depuis lors, l’Inde a continué de bafouer les droits humains et de punir les défenseur⸱ses sans que la communauté internationale ne le lui reproche. Sur les 16 personnes initialement emprisonnées dans l’affaire Bhima Koregaon, 13 DDH sont toujours en prison au moment de la rédaction, privés de leurs droits fondamentaux. En juillet 2021, Stan Swamy, un prêtre jésuite de 84 ans, est décédé en détention. Des défenseur⸱ses des droits humains à Delhi ont également été emprisonnés en vertu de la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA) pour avoir dénoncé la loi sur la modification de la citoyenneté. Six DDH, tous issus de la minorité musulmane, sont toujours emprisonnés à ce jour.

D’éminents défenseur⸱ses des droits humains qui ont osé défier l’État sur son bilan en matière de droits humains et qui militent pour la justice sont vilipendés dans les médias et arrêtés. Le 25 juin 2022, la défenseuse des droits humains Teesta Setalvad a été arrêtée chez elle par la brigade antiterroriste de la police du Gujarat. L’arrestation a eu lieu un jour après que la Cour suprême de l’Inde a rejeté une requête demandant justice pour les victimes des émeutes du Gujarat en 2002, dans lesquelles Teesta Setalvad était intervenue. La défenseuse est maintenant punie pour avoir demandé justice au nom des victimes des émeutes, et accusée de complot contre le Premier ministre Narendra Modi et d’autres officiers.

Deux jours après l’arrestation de Teesta Setalvad, le 27 juin 2022, le défenseur des droits humains Mohammad Zubair, fondateur d’Alt News, un site de vérification des faits, a été arrêté sur la base d’un tweet publié quatre ans auparavant. L’arrestation, pour des allégations d’avoir heurté les sentiments religieux, est basée sur une plainte/un tweet qui taguait la police sur un compte qui a depuis été supprimé. Au cours des semaines précédentes, la défenseuse avait dénoncé des propos haineux contre la communauté musulmane minoritaire par de hauts responsables du parti au pouvoir, ce qui avait provoqué un tollé national et international. Bien que depuis le parti ait pris ses distances avec ces fonctionnaires, les représailles contre celles et ceux qui demandent des comptes ou dénoncent les violations se poursuivent.

Au Cachemire, les défenseur⸱ses des droits humains continuent de faire face à de graves menaces ; ils sont taxés de terroristes et risquent des descentes et des arrestations, y compris en vertu de l’UAPA. L’arrestation du défenseur des droits humains cachemiri Khurram Parvez, le 22 novembre 2021, suite à des accusations de financement du terrorisme est une tentative extrêmement dangereuse de réduire au silence les DDH et de délégitimer et criminaliser leur travail important. Le domicile du défenseur a fait partie de ceux qui ont fait l’objet d’une perquisition en octobre 2020, lorsque des raids simultanés ont été menés contre plusieurs organisations de défense des droits humains et des domiciles des défenseur·ses au Cachemire.

La loi indienne contre le terrorisme, l’UAPA, est couramment utilisée pour faire taire et incarcérer les DDH et les journalistes. Les défenseurs des droits des musulmans, des dalits et des autochtones sont particulièrement vulnérables à ces abus. Bon nombre des personnes arrêtées dans l’affaire Bhima Koregaon militent contre les violations des droits humains perpétrées contre les dalits et les communautés autochtones. Les défenseur·ses qui dénoncent les arrestations massives et la détention arbitraire de dalits et de personnes autochtones sont eux-mêmes emprisonnés et qualifiés de terroristes. La défenseuse des droits humains autochtone Hidme Markham, qui milite pour le droit à la terre, pour l’environnement, contre les projets extractifs et la détention arbitraire, a été arrêtée après la journée des droits des femmes, le 9 mars 2021, et emprisonnée en vertu de l’UAPA. Le journaliste et défenseur des droits humains Siddique Kappan continue d’être emprisonné en vertu de l’UAPA dans l’Uttar Pradesh pour avoir tenté de dénoncer le viol collectif et le meurtre d’une jeune fille dalite de 19 ans à Hathras. Dans tous les cas susmentionnés, les DDH sont incarcérés sans procès depuis des années.

G.N. Saibaba, professeur à l’Université de Delhi et défenseur des droits des Dalits et des populations autochtones, a été reconnu coupable en vertu de l’UAPA et emprisonné en 2017. Il est invalide à 90 % en raison de la poliomyélite et d’autres problèmes de santé graves, et son état s’est gravement détérioré en prison, également en raison du COVID-19.

La loi sur la régulation des contributions étrangères (Foreign Contributions Regulation Act – FCRA), modifiée en 2020, renforce l’emprise de l’État indien sur les organisations de défense des droits humains et sur leur liberté d’accès et d’utilisation des fonds étrangers. La loi a été utilisée contre des centaines d’organisations de défense des droits humains, pour suspendre, annuler, refuser de renouveler leur licence et engager des poursuites pénales contre eux. Les amendements apportés à la Loi aggravent les conditions, ouvrant la porte à des enquêtes intrusives des autorités sur les comptes et le fonctionnement des ONG. La procédure engagée par le Bureau central d’enquête (CBI) contre l’organisation de défense des droits humains People’s Watch, dans une affaire réglée par la Haute Cour de Delhi en 2014, est un exemple de l’abus de cette loi pour les punir et les empêcher de mener à bien leur travail.

L’ampleur de la répression contre les défenseur⸱ses des droits humains en Inde ne peut plus être passée sous silence. Le mépris flagrant des engagements nationaux et internationaux en matière de droits humains et le ciblage continu des DDH, est rendu possible par le silence de la communauté internationale. L’Inde, en tant que membre du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et partenaire clé dans les espaces internationaux, doit respecter les normes les plus élevées. Les défenseur⸱ses des droits humains indiens qui continuent de contribuer à la cause des droits humains à l’échelle locale, nationale et mondiale doivent être soutenus par une solidarité réelle et efficace.

L’UE et ses États membres se sont engagés à dénoncer toute tentative visant à saper le respect de l’universalité des droits humains et à donner tout leur poids aux courageux DDH dans le monde entier. La reprise du dialogue les droits humains entre l’UE et l’Inde offre une réelle occasion de mieux protéger les défenseur·ses et de demander à l’Inde des résultats concrets. La libération des défenseur⸱ses des droits humains emprisonnés, la fin des représailles, y compris les persécutions judiciaires, l’abus des lois antiterroristes et des réglementations financières doivent être inclus afin de garantir que le dialogue ait un sens et n’encourage pas la répression orchestrée par les autorités indiennes.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Claire Ivers — Responsable du bureau européen et du Plaidoyer — civers@frontlinedefenders.org