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14 Décembre 2023

Les défenseur⸱ses des droits humains ukrainiens illégalement détenus en Russie et dans les territoires occupés par la Russie se voient refuser les soins médicaux

Front Line Defenders, Human Rights Watch et Physicians for Human Rights sont profondément préoccupés par le refus de fournir des soins médicaux adéquats aux défenseur⸱ses des droits humains ukrainiens illégalement détenus dans la Fédération de Russie et dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie.

La défenseuse des droits humains et journaliste ukrainienne Iryna Danylovych a disparu de force en Crimée occupée par la Russie le 29 avril 2022, lorsqu’elle a été enlevée par les forces d’occupation. L’endroit où elle se trouvait n’a été divulgué qu’après 13 jours, lorsque son avocat l’a retrouvée au centre de détention préventive de Simferopol le 11 mai 2022 ; elle était poursuivie pour des accusations de terrorisme fabriquées de toutes pièces. Finalement, le 28 décembre 2022, le tribunal de Feodosia a condamné Iryna Danylovych à 7 ans de prison.  Iryna Danylovych souffre d’une infection chronique des oreilles (otites) depuis novembre 2022, qu’elle a contractée dans le centre de détention préventive de Simferopol.  Elle souffrirait de douleurs constantes, d’une perte d’audition, de maux de tête récurrents et de pertes de coordination, mais l’administration du centre a refusé à plusieurs reprises de traiter ces problèmes de manière adéquate pendant qu’elle était sous sa garde.  

Entre le 22 mars et le 6 avril 2023, Iryna Danylovych a entamé une grève de la faim « sèche », refusant de s’alimenter et de boire, pour protester contre le refus des autorités pénitentiaires de lui fournir une assistance médicale adaptée. Les autorités ont fini par accepter un examen médical, qui a eu lieu la semaine du 10 avril, mais, selon son père Bronislav Danylovych, qui a pu parler avec elle, l’examen ne comprenait pas de test de diagnostic approprié ni de traitement.

Malgré son état de santé précaire, Iryna Danylovych a été transférée, après son procès en appel, dans une première colonie pénitentiaire à Krasnodar, en Russie, puis dans une colonie pénitentiaire à Zelenokumsk, dans la région de Stavropol, à plus de 900 kilomètres de la Crimée. 

Bronislav Danylovych a rapporté qu’un médecin de la colonie pénitentiaire de Zelenokumsk, répondant à sa fille qui se plaignait de douleurs et de vertiges, a déclaré que « la douleur disparaîtra lorsqu’elle deviendra sourde ». De plus, il a indiqué que les médicaments qu’elle avait avec elle ont été confisqués par l’administration de la colonie pénitentiaire.

Le 26 octobre 2023, Bronislav Danylovych a indiqué que sa fille a été conduite à l’hôpital local, mais que personne ne l’avait examinée : le médecin a seulement copié les informations contenues dans son dossier médical.

Le fait que l’établissement pénitentiaire ne fournisse pas à Iryna Danylovych les soins médicaux appropriés pendant sa détention est contraire à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus de 1955, connu sous le nom de Règles Nelson Mandela, et viole l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, ainsi que de son droit à l’intégrité personnelle et à la santé.

Sa famille craint que l’absence de traitement médical en temps opportun pour son infection de l’oreille n’entraîne une propagation de l’infection au système nerveux central et au cerveau, avec des conséquences potentiellement mortelles. Des médecins spécialistes affiliés à Physicians for Human Rights (PHR) ont analysé le dossier médical d’Iryna Danylovych fourni par l’administration pénitentiaire et ont constaté la description d’une IRM cérébrale montrant une lésion de la « substance blanche cérébrale » avec une probable étiologie vasculaire. Le dossier médical n’indique pas si d’autres tests diagnostiques ont été demandés ou effectués pour déterminer la cause de la lésion. En particulier, il n’y a pas de rapport d’analyses sanguines (NFS, lipides, glycémie, études de la coagulation, facteur antinucléaire et autres études de la coagulation), d’enregistrement holter, d’échocardiographie et d’imagerie des vaisseaux sanguins cervicaux, ce qui, selon les médecins qui ont examiné son dossier médical, aurait été une mesure prudente.

Le 21 juin 2023, le défenseur des droits humains tatars de Crimée Emir-Usein Kuku a été transféré d’urgence à l’hôpital depuis un centre de détention à Salavat, en Russie, pour des douleurs abdominales aiguës. Emir-Usein Kuku, président du groupe du Crimean Contact Group on Human Rights à Yalta et membre du Crimean Human Rights Movement, purge actuellement une peine de 12 ans d’emprisonnement pour des raisons politiques. Sa femme, Mariem, a tenté de contacter l’administration de l’établissement, mais n’a reçu aucune réponse. Seule la Commission russe de contrôle public du Bashkortostan a confirmé que le défenseur avait été hospitalisé et avait subi une opération de l’intestin.

Le 10 juillet 2023, il a été renvoyé en prison sans avoir reçu les soins post-opératoires appropriés. Sa femme craint que son état n’empire, car il ne bénéficie pas d’examens médicaux réguliers et n’est pas en mesure de suivre un régime alimentaire approprié en prison après son opération.

Avant cela, l’état de santé d’Emir-Usein Kuku n’avait cessé de se détériorer en raison des conditions de détention et de la grève de la faim que le défenseur avait entamée en 2018. Lorsque la famille Kuku a appris sa dernière hospitalisation, elle a d’abord cru qu’elle était liée à une aggravation de sa maladie rénale contractée après avoir été battu par des agents des forces de l’ordre russes en 2015. La famille a ensuite été informée qu’il s’agissait d’une maladie du système digestif, mais ils n’ont pas eu de détails.

La santé d’un autre défenseur des droits humains, Server Mustafayev, s’est également détériorée. Server Mustafayev est un défenseur des droits humains tatar de Crimée ; il est coordinateur de Crimean Solidarity, un mouvement de défense des droits humains créé après l’occupation de la péninsule de Crimée par la Fédération de Russie pour surveiller les violations des droits humains. Selon son épouse, Meye Mustafayeva, Moustafayev souffre de douleurs à la poitrine et de difficultés respiratoires depuis plus d’un an. Cependant, ni l’administration du centre de détention provisoire d’Ufa, en Russie, où il était précédemment détenu, ni l’administration de la colonie pénitentiaire de Tambov où il est actuellement détenu, ne lui ont permis de passer un examen cardiologique.

Meye Mustafayeva a également signalé que son mari avait des problèmes aux articulations des genoux, que sa vue s’était détériorée et qu’il avait développé une tumeur bénigne (lipome). Elle attribue cette situation aux mauvaises conditions de détention et aux travaux forcés dans les établissements pénitentiaires de Russie où il est détenu. Server Mustafayev a porté plainte contre l’administration pénitentiaire pour refus de soins médicaux dans le centre de détention provisoire de Novocherkassk où il était détenu lorsque la tumeur a été découverte.

Iryna Horobtsova, bénévole humanitaire et défenseuse des droits humains originaire de Kherson, a été enlevée le 13 mai 2022 au domicile de ses parents par les forces d’occupation russes et est incarcérée, selon ses proches, dans le centre de détention de Simferopol, en Crimée occupée par les Russes. Aucune accusation criminelle officielle n’a été portée contre elle. Les membres de sa famille ont indiqué qu’ils n’étaient pas autorisés à lui transmettre quoi que ce soit, y compris les médicaments prescrits à la défenseuse, et son avocat continue de se voir refuser l’accès à sa cliente et à toute information concernant ses conditions de détention et son état de santé.

Sa famille reste préoccupée par l’anévrisme cérébral d’Iryna Horobtsova, qui est antérieur à son enlèvement et qui nécessite une surveillance étroite de son état de santé. Selon la sœur de la défenseuse, Iryna souffre de fortes migraines et les médecins pensent qu’elles sont liées à son anévrisme.

Son état psychologique est lui aussi préoccupant ; en avril 2023, Human Rights Watch a indiqué qu’elle a fait l’objet de menaces et de pressions de la part des forces de sécurité russes et qu’elle a été placée à l’isolement pendant une période prolongée.

Le 14 août 2023, l’organisation ukrainienne de défense des droits humains ZMINA a publié une liste de 21 prisonniers politiques ukrainiens détenus par les autorités russes, dont la santé et peut-être la vie sont en danger parce qu’ils n’ont pas accès aux soins médicaux dans les établissements pénitentiaires où ils sont détenus. Cette liste comprend trois défenseurs ukrainiens originaires de Crimée.

En vertu du droit international, l’interdiction de la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est absolue. Cette interdiction est explicitement énoncée à l’article 5 de la Déclaration universelle des droits humains (DUDH), ainsi qu’à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et aux articles 1, 2, 15 et 16 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT). La Russie a ratifié ces deux traités.

La quatrième convention de Genève, qui régit la protection des civils en période d’occupation, interdit explicitement les mauvais traitements à l’encontre des civils (article 32) et, dans le cas où ils sont condamnés et purgent une peine, l’article 76 prévoit qu’ils doivent purger leur peine dans le territoire occupé (Crimée), ils doivent, si possible, être séparés des autres détenus, et bénéficier de conditions d’alimentation et d’hygiène suffisantes pour les maintenir en bonne santé, et recevoir les soins médicaux qu’exige leur état de santé.

Front Line Defenders, Human Rights Watch et Physicians for Human Rights condamnent fermement le refus de fournir des soins médicaux adéquats aux défenseur⸱ses des droits humains en captivité en Russie et dans les territoires occupés par la Russie et exhortent les autorités de la Fédération de Russie à :

Libérer immédiatement et sans condition tous les défenseur⸱ses des droits humains qui sont soumis à une disparition forcée ou à une détention illégale par les autorités de facto dans les territoires ukrainiens occupés par la Russie.

Conformément à leur devoir de diligence en vertu du droit international, prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les défenseur⸱ses des droits humains sous le contrôle de facto des autorités russes aient accès à des soins médicaux adéquats et que leur sécurité et leur intégrité physique et psychologique soient garanties.

Permettre à des observateurs indépendants d’accéder librement aux centres de détention sous le contrôle de la Fédération de Russie, afin qu’ils puissent vérifier que cette dernière respecte ses obligations internationales en matière de droits humains et de droit humanitaire.