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24 Janvier 2020

Répression à l'échelle nationale des manifestations pacifiques contre le Citizen (Amendment) Act 2019

Front Line Defenders est profondément préoccupée par la répression croissante des défenseur-ses des droits humains en Inde, en particulier la répression liée aux manifestations contre la loi régressive Citizen (Amendment) Act 2019 (loi sur la citoyenneté - CAA), votée par le Parlement indien le 11 décembre 2019.

 

La loi ouvre la voie à l’obtention de la citoyenneté indienne pour les minorités hindoue, bouddhiste, sikh, jaïn, parsi et chrétienne qui fuient la persécution religieuse dans les pays voisins tels que l'Afghanistan, le Bangladesh et le Pakistan et qui sont entrées en Inde le 31 décembre 2014 ou avant. Elle lève aussi les dispositions relatives à la "citoyenneté par naturalisation" en réduisant de 11 à 5 ans la durée de résidence requise pour le même groupe de personnes. Il s'agit de la première loi adoptée en Inde qui utilise la religion comme critère d'octroi de la citoyenneté.

 

La CAA est largement critiquée et condamnée par les étudiants, les militants, les défenseur-ses des droits humains, les organisations de la société civile et la communauté internationale pour être manifestement sectaire et discriminatoire car elle exclut les musulmans. Le libellé de la loi légitime la discrimination fondée sur la religion et bafoue manifestement la Constitution de l'Inde et le droit international relatif aux droits humains. Bien que le gouvernement affirme que la loi vise à soulager les minorités religieuses persécutées dans les pays voisins, il ne tient pas compte des mauvais traitements et de l'oppression des musulmans Hazaras et Ahmadiyya au Pakistan, des musulmans Bihari au Bangladesh, des musulmans Rohingya au Myanmar ainsi que du sort des Tamouls du Sri Lanka qui forment la plus grande population de réfugiés en Inde. L'exclusion de ces groupes démontre clairement que la loi est intrinsèquement partiale. La CAA repousse les principes laïques du pays et risque de contribuer à la création d'un État majoritaire

 

Dans les jours précédant l'adoption de la loi, plusieurs manifestations ont éclaté dans les États du nord-est tels que l'Assam, Manipur et Tripura. Les affrontements qui ont suivi entre la police et les manifestants ont fait plusieurs morts et blessés. Suite à ces incidents, un couvre-feu a été mis en place et l'armée a été appelée pour superviser sa mise en œuvre.

 

Depuis l'adoption de la loi le 11 décembre 2019, le pays a connu une série de manifestations, notamment à Kolkata, Delhi, Mumbai, Bangalore, Hyderabad et Jaipur. L'article 144 du Code de procédure pénale, qui interdit le rassemblement de plus de quatre personnes dans un espace public, a été imposé dans plusieurs villes pour décourager les manifestations. Dans plusieurs autres villes, la police a refusé d’autoriser des marches ou des rassemblements publics. Dans l'État de l'Uttar Pradesh, dans le nord de l'Inde, la police a émis des mises en garde contre plus de trois mille personnes les avertissant de ne pas participer ni d'inciter d'autres personnes à participer à des marches de protestation. C’est dans cet État que la réponse policière a été l’une des plus agressives, avec une vingtaine de personnes qui ont perdu la vie lors d'affrontements.

 

Partout dans le pays des défenseur-ses des droits humains ont été arbitrairement détenus et, dans de nombreux cas, faussement accusés pour diverses charges. Il y a de nombreux  témoignages de torture en détention à l’encontre de défenseur-ses des droits humains, ce qui est très préoccupant et va à l’encontre des engagements nationaux et internationaux de l’État indien. Le 29 décembre 2019, la police de Chennai a arrêté cinq défenseuses des droits humains, Gayatri, Pragati, Aarti, Madhan et Kalyani, pour avoir dessiné des kollams (motifs colorés) dans la rue. La police a déclaré les avoir arrêtées pour avoir manifesté sans autorisation, cependant, les organisateurs de l'événement ont répété qu'elles ne scandaient pas de slogans et ne brandissaient pas de pancartes, et seulement deux ou trois d'entre elles dessinaient chacune un kollam, une forme d'expression culturelle qui ne nécessite pas d'autorisation.

 

Au cours des trois dernières semaines de décembre 2019, rien que dans l'État de l'Uttar Pradesh, des défenseur-ses des droits humains, dont Mohammad Faizal, Deepak Kabir, Pawan Rao Ambedkar, Anoop Shramik, le défenseur des droits des Dalits Shushil Gautam, Robin Verma, Sadaf Jaffar, Mohammad Shoaib et Kafeel Khan ont été arrêtés pour avoir manifesté pacifiquement contre la CAA. Le 20 décembre 2019, les défenseuses des droits humains Arundhati Dhurru, Meera Sangamitra et Madhavi ont été arrêtées alors qu'elles enquêtaient sur le sort de l'avocat Mohammad Shoaib.

 

Le 12 décembre 2019, le défenseur des droits humains et militant pour le droit à l'information, Akhil Gogoi de Krishak Mukti Sangram Samiti (KMSS), a été arbitrairement arrêté par la police d'Assam après avoir prononcé un discours sur la CAA. Il a ensuite été remis à la National Investigation Agency et inculpé. Le 24 janvier 2020, il a été placé en garde à vue pour quatorze jours. Quatre autres personnes qui travaillent pour Satra Mukti Sangram Samiti, une organisation affiliée au KMSS, ont également été arrêtées et inculpées. Manash Konwar et Lakhyajyoti Gogoi ont été libérés sous caution tandis que Dairjya Konwar et Bitu Sonawal sont toujours en détention. Le 27 décembre 2019, la police d'Assam a arrêté le défenseur des droits humains Seram Herajit Singh et l'a gardé en détention avant même le dépôt d'un First information report. Il n'a été libéré qu'après deux semaines.

 

Les étudiants de plusieurs universités renommées se sont rassemblés et ont clairement exprimé leurs préoccupations concernant la loi. Le 15 décembre 2019, des policiers sont entrés sur le campus de l'université Jamia Millia Islamia, où se déroulaient des manifestations contre la CAA. Ils ont fait usage de gaz lacrymogène et de matraques contre les étudiants qui exerçaient leur droit de manifester pacifiquement. Plus d'une centaine d'étudiants ont été arrêtés et autant ont été blessés lors de la confrontation.

 

Le 5 janvier 2020, une foule masquée armée de tiges et de marteaux est entrée sur le campus de la prestigieuse université Jawaharlal Nehru à Delhi et a agressé physiquement plus de 20 étudiants et professeurs. L'attaque s'est produite après qu'une marche pour la paix a été menée par l'Association des enseignants de l'Université. En plus d'attaquer les étudiants, la foule a également vandalisé les biens du campus et scandé des slogans tels que «Tuez les gauchistes», «Tuez les anti-nationaux» et «Desh ke Gaddaron ko, goli maaron saalon ko», ce qui se traduit grossièrement par «Les traîtres doivent être abattus». Des étudiants ont affirmé que la police était restée sans rien faire pendant que l'attaque se déroulait sur le campus.

 

Plutôt que de régler les problèmes soulevés par les manifestants, le gouvernement a étouffé toute forme de dissidence en restreignant l'accès à Internet, en imposant des couvre-feux et en détenant des centaines de manifestants pacifiques et de défenseur-ses des droits humains. La police, en plus de ne pas exercer son devoir de protéger la population, emploie une force excessive contre ceux qui ne font qu'exercer leurs droits fondamentaux.

 

Six semaines après l'adoption de la loi, les manifestations se poursuivent sans relâche. Les défenseur-ses des droits humains sont toujours menacés, agressés et détenus arbitrairement. L'article 124A du Code pénal indien a été largement invoqué pour endiguer la dissidence. En répondant aux manifestations de la sorte, l'État viole sans vergogne les normes internationales relatives aux droits humains. Front Line Defenders condamne le recours excessif à la force par la police et est extrêmement préoccupée par l'environnement de plus en plus hostile pour les défenseur-ses des droits humains en Inde. Elle exhorte les autorités indiennes à libérer toutes les personnes arrêtées et détenues arbitrairement, ainsi qu'à enquêter sur les allégations de graves violations des droits humains. Elle demande en outre au gouvernement de veiller à ce que les défenseur-ses des droits humains soient autorisés à mener à bien leur travail pacifique et légitime pour la défense des droits d'autrui.