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17 Avril 2020

Défendre les droits en temps de pandémie : l'impact du Covid-19 sur la sécurité et le travail des défenseurs des droits humains

Ce rapport a été préparé et rédigé par Jewel Joseph & Ed O’Donovan

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, les gouvernements du monde entier ont commencé à introduire et à appliquer des restrictions radicales à la liberté de circulation et de réunion. De telles restrictions draconiennes sont nécessaires pour faire face à un virus extrêmement contagieux - et pour certains, mortel - pour lequel il n'existe pas encore de vaccin ; cependant, le fait que certains gouvernements utilisent cette crise pour cibler spécifiquement les défenseurs-se des droits humains (DDH) est à la fois inquiétant et révélateur. L'exemple le plus récent s'est produit ce week-end lorsque 15 militants pro-démocratie à Hong Kong ont été arrêtés pour leur rôle présumé dans "l'organisation et la participation" aux manifestations de l'année dernière. Le reste du monde ayant le regard tourné sur la pandémie et avec un public dans l'incapacité de se rassembler pour protester, les autorités de Hong Kong ont profité de l'occasion pour rassembler certains de ceux dont le militantisme en faveur des droits des droits humains les a fait connaître au niveau international et qui représentent une épine dans le pied de Pékin. Il est probable que des actes similaires contre les DDH se produisent dans d'autres pays dans les mois à venir.

Les États ont reconnu que les conditions de détention permettent la propagation rapide du Covid-19 et ont, par conséquent, libéré un grand nombre de prisonniers, mais les DDH restent emprisonnés. Du fait de leur travail pour dénoncer et faire la lumière sur les violations des droits humains, pour défendre les droits d'autrui et pour dénoncer la corruption, les défenseur-ses sont considérés par les gouvernements répressifs comme un défi fondamental à leur domination et cela se caractérise par le traitement le plus sévère qui leur est infligé. En Iran, par exemple, où près de 40% de sa population carcérale a été libérée, les militantes Nasrin Sotoudeh, Narges Mohammadi et Atena Daemi sont toujours emprisonnées à cause de leur travail pacifique. De même, au Bahreïn, le roi Hamad ben Isa Al Khalifa a publié le mois dernier un décret accordant la grâce à 901 prisonniers "pour des raisons humanitaires", mais de nombreux défenseur-ses des droits humains, dont Abdulhadi Al-Khawaja, font partie de ceux qui restent dans des prisons insalubres. En Espagne, la Cour suprême a mis en garde les fonctionnaires de catalogne qu'ils risquaient de commettre le crime de "violation des obligations officielles" s'ils autorisaient la libération de prisonniers politiques, notamment du DDH Jordi Cuixart, en les assignant à résidence dans le cadre d'un processus mené par le gouvernement catalan pour désengorger les prisons afin de faire face à la crise.

Les journalistes, blogueurs et les personnes qui parlent des mesures prises pour lutter contre le COVID-19 sont pris pour cible. Au Venezuela, le journaliste Darvinson Rojas a été arrêté par des agents des forces spéciales pour ses reportages sur la pandémie. De même, de nombreux rapports dénoncent les arrestations, assignations à résidence, actes de harcèlement et menaces contre des journalistes et des DDH à cause de leurs critiques à l'encontre de la manière dont les gouvernements de plusieurs pays gèrent la crise du coronavirus, notamment en Chine, au Salvador, en Irak, en Turquie, en Serbie, Égypte, en Iran, en Biélorussie et au Vietnam. En Chine, Chen Qiushi, un journaliste citoyen qui avait émis des critiques sur la réponse du gouvernement face à la flambée initiale à Wuhan, est porté disparu depuis près de deux mois. Au Salvador, le président Bukele a accusé les organisations de défense des droits humains d'être "du côté du virus" après que ces dernières ont remis en question certaines des mesures restrictives qu'il appliquait, dans un pays fortement marqué par un régime autocratique pas si ancien. Compte tenu du nombre croissant d'attaques contre des journalistes, les experts des Nations Unies en matière de droits humains ont publié une déclaration conjointe rappelant aux gouvernements que : "Le droit d'accès à l'information signifie que les gouvernements doivent faire des efforts exceptionnels pour protéger le travail des journalistes. Le journalisme remplit une fonction cruciale en période d'urgence de santé publique, en particulier lorsqu'il vise à donner au public des informations essentielles et à surveiller les actions du gouvernement."

De plus, les DDH qui étaient déjà en danger en raison de leur travail sont davantage touchés par les restrictions générales. Front Line Defenders a reçu des informations selon lesquelles des militants-es ont été arrêtés sur la base de fausses accusations avant la mise en œuvre des restrictions et, pendant leur détention, les gouvernements ont annoncé que les audiences seraient suspendues ou se dérouleraient à huis clos. Pour les défenseur-ses dont les audiences ont été suspendues jusqu'à la levée des restrictions, ils sont maintenant incarcérés dans des centres de détention où les conditions sont souvent insalubres alors qu'ils n'auraient pas dû être arrêtés en premier lieu. En Chine, l'artiste et DDH Zhui Hun a été officiellement inculpé le 1er février après son arrestation en mai dernier. Cependant, la date de son procès n'a pas encore été annoncée, le Covid-19 étant utilisé comme excuse pour ce retard. Il est toujours incarcéré a Nanjing. Les DDH dont les audiences se déroulent en l'absence d'observateurs car leur travail est considéré comme une remise en cause des élites dirigeantes, sont souvent plus en danger dans ces circonstances. Dans certains pays, la présence d'observateurs de procès, de journalistes ou de diplomates étrangers peut contribuer à un processus judiciaire plus équitable, par conséquent, lorsque ces observateurs ne sont pas autorisés à assister aux audiences, comme c'est actuellement le cas dans de nombreuses juridictions, le risque de procédures inéquitables et de jugements politiques augmente considérablement .

L'épidémie de coronavirus est également utilisée comme excuse pour prolonger la détention au secret de plusieurs DDH. Les demandes de visites aux DDH détenus sont refusées et les procédures sont reportées jusqu'à nouvel ordre. Les autorités chinoises ont utilisé la crise de Covid-19 comme excuse pour renvoyer l'avocat en droits humains Wang Quanzhang dans sa ville natale de Jinan après qu'il a purgé quatre ans et demi de prison, et ce alors qu'il vivait à Pékin avec sa femme et son fils avant d'être emprisonné. Bien que les DDH libérés soient souvent renvoyés dans leur ville natale pour les isoler de leurs réseaux de soutien, souvent plus important dans les grandes villes, les autorités ont affirmé cette fois que Wang était renvoyé à Jinan pour une "quarantaine préventive" de 14 jours.

En raison des mesures de quarantaine il est plus difficile pour les DDH confrontés à des menaces de déposer des plaintes auprès de la police et d'accéder à des recours judiciaires. Au Chili, une défenseuse des droits humains qui œuvre pour défendre le droit des communautés marginalisées à accéder à l'eau n'a pas pu déposer de plainte officielle après avoir reçu des menaces misogynes et des menaces de mort. Il y a également eu des cas sur internet où certains ont menacé d'utiliser le virus comme arme pour s'en prendre aux défenseurs-es, souvent aux femmes. Au Salvador, Bessy Rios a été menacée de contamination par le Covid-19 en représailles contre son travail en faveur des droits reproductifs.

Comme cela a été signalé ailleurs, depuis l’imposition des couvre-feux en Colombie le 19 mars, six défenseurs des droits humains, dont des défenseur-ses des droits des peuples autochtones et des défenseuses des droits humains, ont été tués au cours de différentes attaques. Les militant-es ayant reçu pour consigne de rester chez eux alors que les mesures de protection pourvues par l'État ont été réduites ou annulées sont pris pour cible par des groupes armés qui profitent de cette occasion pour attaquer. Dans l'État du Yucatán au Mexique, les autorités ont menacé de retirer les escortes de sécurité des FDDH pour protéger la santé du personnel de sécurité. Les FDDH bénéficient de mesures de protection accordées par les autorités fédérales et mises en œuvre par les autorités locales en raison des risques graves auxquels elles sont confrontées à cause de leur travail. Au Brésil, où des dirigeants autochtones sont fréquemment tués, des rapports font état d'une augmentation de l'exploitation minière illégale et de l'exploitation forestière sur les territoires autochtones, tandis que l'attention se concentre ailleurs. Avec la mise en place de restrictions de la libre circulation, les communautés et leurs dirigeants sont isolés de leur soutien extérieur, ce qui les expose à un risque plus élevé lorsqu'ils tentent de défendre leurs terres. Étant donné la vulnérabilité des peuples autochtones face aux virus introduits dans leurs communautés par des étrangers, la présence de mineurs illégaux et de bûcherons sur les territoires autochtones est particulièrement préoccupante.

Un pouvoir gouvernemental accru ainsi qu'une militarisation et une présence policière renforcées sont devenus la nouvelle norme dans de nombreuses régions du monde, ce qui fait craindre que ces pouvoirs soient maintenus une fois la crise passée. Aux Philippines, par exemple, le président Rodrigo Duterte s'est octroyé des pouvoirs extraordinaires qui pourraient rester en vigueur jusqu'en 2022. Après les protestations des habitants d'un bidonville de Manille qui déclaraient n'avoir reçu aucune aide alimentaire depuis le début du confinement strict deux semaines auparavant, ce qui démontre le risque accru au croisement entre pauvreté et défense des droits, le président Duterte a annoncé qu'il donnerait l'ordre à la police et à l'armée de "tuer par balle" toute personne qui violerait la quarantaine à l'avenir. Montrant clairement que M. Duterte tente d'utiliser la crise pour réprimer toute remise en cause de la politique gouvernementale, il a déclaré : "N'intimidez pas le gouvernement. "Ne défiez pas le gouvernement. Vous perdrez." En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán a utilisé la majorité parlementaire de son parti pour obtenir un état d'urgence pour une durée indéterminée, qui lui permet de gouverner par décret et d'emprisonner jusqu'à cinq ans ceux qui répandent ce que le gouvernement considère comme de fausses informations qui pourraient "alarmer le public".

Les DDH craignent également les conséquences à long terme et les implications d'une surveillance numérique accrue mise en œuvre dans le monde pour empêcher la propagation du virus. Le gouvernement israélien a cité le Covid-19 comme une raison de travailler conjointement avec le NSO Group, une agence connue pour fournir des logiciels malveillants aux gouvernements afin de collecter des données à partir des téléphones des utilisateurs. Les DDH ont été ciblés par de tels logiciels malveillants dans le passé. En Russie, l'État est en train d'installer l'un des plus grands systèmes de caméras de surveillance au monde équipé d'une technologie de reconnaissance faciale. Ces technologies rendront le travail des DDH beaucoup plus difficile à la fois dans le contexte du virus lui-même et une fois qu'il sera passé, avec la probabilité d'une surveillance continue de leurs mouvements et de leur travail.

Les défenseur-ses qui travaillent en marge de la société, sans grand accès aux ressources ou au soutien, sont confrontés à des défis particuliers. En Ouganda, où l'homosexualité est illégale, un refuge offrant un espace sûr aux jeunes LGBTI+, souvent rejetés par leur famille, a été perquisitionné par les forces de sécurité. Parmi les 23 personnes arrêtées et inculpées "d'acte de négligence susceptible de propager une infection", il y avait des DDH qui travaillent au refuge. Les arrestations n'ont pas tenu compte des vulnérabilités particulières de cette partie de la population ni du fait qu'ils se conformaient à un ordre du gouvernement de rester à l'intérieur. Au Bangladesh, la défense des droits au sein du plus grand camp de réfugiés du monde se révèle particulièrement difficile. Les DDH à l'intérieur et à l'extérieur du camp ne sont pas en mesure d'envoyer et de recevoir des informations vitales sur le virus en raison des restrictions d'Internet en place depuis septembre dernier. Les restrictions des télécommunications rendent difficile la possibilité de joindre les lignes d'assistance téléphonique dédiées à répondre à la crise du Covid-19, et cela complique particulièrement le travail des défenseur-ses au sein du camps qui sensibilisent aux risques encourus et aux mesures préventives à prendre.

Bien que freiner la propagation du Covid-19 doit être une priorité pour chaque gouvernement, les États doivent également s'abstenir de cibler encore plus les DDH et la société civile. Le respect des droits humains et la protection des défenseur-ses des droits humains sont essentiels au succès et à l'efficacité des réponses et au rétablissement de la santé publique après la pandémie. Comme l'a déclaré le Haut-Commissariat des Nations Unies aux de l'Homme, "les déclarations d'urgence fondées sur l'épidémie de Covid-19 ne doivent pas être utilisées comme base pour cibler des groupes, des minorités ou des individus particuliers. Cela ne doit pas servir de couverture à une action répressive sous prétexte de protéger la santé, ni servir à faire taire le travail des défenseur-ses des droits humains." Le monde étant concentré sur la pandémie, il est clair que les gouvernements prennent le pouvoir à un moment où leurs citoyens ne peuvent pas se mobiliser pour protester et défier les autorités. Il est de plus en plus préoccupant de constater que lorsque cette crise passera, les défenseur-ses des droits humains dans un certain nombre de pays seront confrontés à de plus grands risques pour leur sécurité en raison des mesures adoptées pour faire ostensiblement face à la pandémie.

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