Les défenseur-ses des droits humains chinois sont essentiels pour empêcher d'autres graves violations du droit international relatif aux droits humains
Cette semaine, alors que le monde célèbre la Journée internationale des défenseurs des droits humains le 9 décembre et la Journée internationale des droits humains le 10 décembre, Front Line Defenders exhorte le gouvernement chinois à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect et la protection du travail légitime des défenseur-ses des droits humains, qui sont indispensables pour prévenir efficacement les violations flagrantes des droits humains.
Depuis 2017, de plus en plus d'enquêtes et de rapports crédibles font état de la détention arbitraire de masse des Ouïghours, des Kazakhs et d'autres minorités musulmanes dans les camps d'endoctrinement politique et de concentration du Xinjiang. Les minorités sont également soumises à une surveillance physique et numérique constante, à de sévères restrictions de leurs pratiques religieuses et culturelles, à la démolition ou à la fermeture de mosquées et de sites religieux, au travail forcé dans des usines qui fournissent des marques internationales et à une stérilisation forcée qui semble avoir entraîné une baisse drastique du taux de natalité parmi les Ouïghours de la région. Les enfants dont les parents ou les tuteurs sont détenus dans les camps se retrouvent dans le flou et certains d’entre eux ont été placés dans des orphelinats publics. Des rapports font également état de torture, de mauvais traitements, de violences sexuelles et de décès de détenus Alors que l'espace pour les défenseur-ses des droits humains ouïghours au Xinjiang est extrêmement limité, des défenseur-ses à l'étranger, y compris des réfugiés et des demandeurs d'asile, ont été contraints de retourner en Chine et sont intimidés par des agents de l'État chinois ou le gouvernement du pays qui les héberge, notamment par le biais de surveillance, de menaces de détenir les membres de leur famille qui sont toujours en Chine et de menaces d'expulsion.
Les Ouïghours, les universitaires qui étudient le Xinjiang et d’autres défenseur-ses des droits humains affirment que les actions répressives de la Chine dans cette province nécessitent une enquête internationale indépendante et impartiale pour déterminer s’il s’agit de crimes graves au regard du droit international. Les organisations de défense des droits humains documentent également depuis longtemps des violations généralisées et systématiques par la Chine de nombreux droits humains au Tibet, en particulier des lois et des pratiques qui ont gravement érodé les droits linguistiques, culturels et religieux des Tibétains.
Les défenseur-ses des droits humains jouent un rôle déterminant dans la prévention des crimes internationaux graves et d'autres violations flagrantes des droits, ainsi que dans l'application de la doctrine sur la Responsabilité de protéger, adoptée à l'unanimité par tous les chefs d'État et de gouvernement lors du Sommet mondial des Nations Unies en 2005. Le Secrétaire général des Nations Unies a reconnu ces rôles importants et considère que c'est une bonne pratique de soutenir et de s'engager aux côtés des organisations locales de défense des droits humains et des défenseur-ses des droits humains, en particulier des femmes et des jeunes leaders, dans le travail de prévention. Les défenseur-ses des droits humains contribuent à créer un environnement qui soutient «une pluralité de points de vue et défend le droit des groupes d'avoir et d'exprimer des points de vue alternatifs tout en protégeant la population contre les discours de haine et l'incitation à la discrimination, à l'hostilité et à la violence.»
Les défenseur-ses des droits humains jouent également un rôle crucial dans la collecte, la consolidation, la préservation et l'analyse des preuves des crimes internationaux et des violations du droit international les plus graves. Leur travail peut faciliter et accélérer des procédures pénales équitables et indépendantes devant les cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux qui ont ou pourraient à l'avenir avoir compétence pour juger ces crimes.
D'autre part, les attaques contre les défenseur-ses des droits humains et la restriction de l'espace civique sont des facteurs de risque propices à l'impunité et à la commission de crimes graves. Dans sa dernière note d'orientation sur la Promotion et la protection de l'espace civique, conformément à l'Appel à l’action en faveur des droits humains du Secrétaire général, l'ONU a averti que «les tentatives répétées visant à restreindre l'espace civique et à empêcher les individus et les groupes de s'exprimer librement, de créer des associations et de participer à la prise de décision, sont le plus souvent le prélude à une détérioration générale de la situation politique et à de nouvelles violations des droits humains, et par conséquent, un signe d’alerte précoce ».
L’article 41 de la Constitution chinoise garantit le droit des citoyens de critiquer et de porter plainte contre des organes de l’État ou des fonctionnaires pour actes illégaux. Le gouvernement chinois a déclaré à plusieurs reprises lors de son Examen périodique universel qu'il respectait et protégeait la liberté fondamentale des défenseur-ses des droits humains, des journalistes et des acteurs de la société civile, et a accepté de multiples recommandations pour leur garantir un environnement sûr et propice. Dans son dernier rapport sur sa mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le gouvernement chinois affirme qu'il «encourage et soutient les efforts des organisations sociales et des individus pour jouer un rôle actif dans la protection des droits humains». Le plan d’action national de la Chine pour les droits humains (2016-2020), comprend un chapitre entier sur la garantie du droit des citoyens à s'exprimer et à demander des comptes aux autorités de l’État pour les actes illégaux.
Cependant, la persécution persistante des défenseur-ses des droits humains en Chine pour leur plaidoyer en faveur des droits humains souligne l’incapacité du gouvernement chinois à respecter ses obligations en matière de droits humains et son engagement international. La condamnation du défenseur Ouïghour Ilham Tohti à la réclusion à perpétuité pour la promotion de la compréhension interethnique et l'emprisonnement du défenseur tibétain Tashi Wangchuk pour avoir demandé au gouvernement de respecter ses propres lois garantissant les droits linguistiques ethniques sont emblématiques des restrictions sévères de l'espace civique en particulier pour les défenseur-ses appartenant à des groupes minoritaires. De nombreux avocats chinois han qui ont défendu Ilham Tohti et Tashi Wangchuk ont été radiés, arrêtés et détenus arbitrairement, ou sont partis en exil par crainte pour leur sécurité.
Le cadre juridique de plus en plus restrictif régissant les organisations de la société civile étrangères et nationales en Chine, et l'impunité persistante pour les vagues de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de mauvais traitements d'avocats et de défenseur-ses des droits humains depuis 2015 ont encore affaibli la capacité des défenseur-ses à jouer un rôle pour prévenir ces violations. Les facteurs de risque peuvent donc s'étendre sans être atténués. L'absence de liberté de la presse, la prévalence des discours islamophobes et de la représentation paternaliste des minorités ethniques dans les médias nationaux fortement censurés et contrôlés par l'État exacerbent encore ces facteurs de risque et empêchent les défenseur-ses des droits humains de nourrir une pluralité d'opinions dans la société.
En 2018, le Comité des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale a recommandé que le gouvernement chinois «veille à ce que ses lois et règlements ... offrent un espace de liberté à la société civile, en particulier aux organisations non gouvernementales qui luttent contre la discrimination raciale" et a demandé au gouvernement de fournir des données sur le nombre d'ONG qui travaillent pour la lutte contre le racisme en Chine. En novembre 2020, dans son évaluation de suivi des progrès réalisés par le gouvernement dans la mise en œuvre de cette recommandation, le Comité a jugé la réponse du gouvernement «insatisfaisante». Le Comité s'est dit préoccupé par le fait que «le cadre juridique actuel des ONG en Chine crée un environnement restrictif qui empêche les ONG de documenter et d'enquêter sur les violations» de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et «que les membres du personnel des ONG sont soumis à des détentions arbitraires, des disparitions et actes de torture. »
Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire s'est dit préoccupé par le «problème systémique de la détention arbitraire en Chine». Il a averti le gouvernement que «dans certaines circonstances, l'emprisonnement généralisé ou systématique ou toute autre privation grave de liberté en violation des règles du droit international peuvent constituer des crimes contre l'humanité».
Rien n'indique que le gouvernement chinois envisage sérieusement de mettre un terme à sa répression généralisée et systématique des défenseur-ses des droits humains et d'autres groupes vulnérables. Dans ses réponses officielles aux recommandations de l'EPU en 2014 et 2018, le gouvernement chinois a déclaré qu'il n'y avait «pas de soi-disant problème 'd'élimination des défenseur-ses des droits humains' ». En mars 2019, le gouvernement chinois a publié un livre blanc officiel défendant ses mesures au Xinjiang comme étant légitimes et nécessaires à des fins de «contre-terrorisme» et de «déradicalisation». Dans un discours prononcé en septembre 2020, le président chinois Xi Jinping a déclaré que les politiques du Parti communiste au Xinjiang étaient «tout à fait correctes» et a demandé aux responsables du parti de les mettre en œuvre fidèlement sur le long terme.
Le gouvernement chinois a vigoureusement repoussé les multiples déclarations de préoccupation des experts de l'ONU et des dizaines de gouvernements inquiets à propos de la situation au Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong. Il n'a pas accepté d'accorder un accès libre et significatif au pays, y compris au Xinjiang et au Tibet, aux enquêteurs indépendants et internationaux des droits humains, y compris les procédures spéciales de l'ONU.
Compte tenu de la gravité, de la persistance et de l'étendue des violations flagrantes des droits dans toute la Chine, Front Line Defenders exhorte le gouvernement chinois à prendre des mesures urgentes pour : garantir un environnement sûr et favorable dans lequel les défenseur-ses des droits humains peuvent opérer librement sans crainte de représailles, en particulier ceux qui œuvrent pour promouvoir la non-discrimination et les droits des minorités, notamment en examinant, modifiant et abrogeant toutes les lois et politiques utilisées à mauvais escient pour cibler les défenseur-ses des droits humains et entraver leurs activités ; inviter et coopérer pleinement avec des experts internationaux indépendants des droits humains afin qu'ils se voient garantir un accès sans entraves et sans surveillance à toutes les régions du pays, veiller à ce que les défenseur-ses des droits humains puissent dialoguer librement et en toute sécurité avec ces experts et s'engager de bonne foi à mettre en œuvre leurs recommandations ; et libérer immédiatement Ilham Tohti, Tashi Wangchuk et tous les autres défenseur-ses des droits humains détenus, emprisonnés ou soumis à d'autres formes de détention arbitraire uniquement à cause de leurs activités en faveur des droits humains.
Dans le même temps, au vu de l'impunité enracinée pour ces violations et du manque d'accès significatif à la justice en Chine, Front Line Defenders réitère ses recommandations à la communauté internationale de : convoquer d'urgence une session extraordinaire du Conseil des droits de l'homme pour évaluer la portée des violations commises par le gouvernement chinois, y compris des violations contre les défenseur-ses des droits humains ; établir et fournir des ressources adéquates à un mécanisme des Nations Unies impartial et indépendant pour suivre de près, analyser et faire un rapport annuel sur ce sujet ; et aider le Secrétaire général à nommer un Envoyé spécial pour la Chine, conformément à son Appel à l'action sur les droits de l'homme, et la Haute-Commissaire aux droits de l'homme pour s'acquitter de son mandat indépendant de surveillance et de rapport public sur les violations généralisées des droits en Chine.