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23 Avril 2021

Préoccupation concernant la détérioration de la situation des défenseur-ses des droits humains et la régression de l’accès à la justice au Guatemala

Front Line Defenders est profondément préoccupée par la détérioration des conditions dans lesquelles les défenseurs des droits humains, les organisations de la société civile et les journalistes mènent leur travail au Guatemala. Cela est dû à une augmentation des attaques et de la criminalisation des défenseurs des droits humains, à l’impunité généralisée, à la rédaction de lois restrictives et à la fermeture d’espaces fondamentaux de dialogue avec les autorités du pays et d’accès à la justice et à l’information.

24 ans après la signature des accords de paix en 1996, qui ont mis fin à 36 ans de guerre civile au Guatemala, les autorités continuent à faire face à de grands défis pour garantir les droits humains des personnes qui y vivent, notamment les droits et la protection des défenseur-ses des droits humains qui s’emploient à promouvoir et à protéger les droits humains dans le pays. Dans ce contexte, l’Unité de protection des défenseurs des droits humains (UDEFEGUA) a signalé que les défenseur-ses des droits humains et les journalistes sont confrontés à un risque généralisé et constant en raison de l’incapacité du gouvernement à mettre en œuvre des politiques publiques efficaces destinées à leur protection.

L’année dernière, l’UDEFEGUA a enregistré une hausse substantielle du nombre d’attaques contre des défenseur-ses des droits humains, passant de 494 attaques en 2019 à 1056 attaques en 2020. Dans son Analyse globale, Front Line Defenders a documenté qu’en 2020 seulement, au moins 15 défenseur-ses des droits humains ont été tués au Guatemala, probablement à cause à leur travail en faveur des droits humains.

Malgré la décision de la Cour constitutionnelle (CC) en mars 2020 d’accorder une injonction provisoire contre le décret n° 04-2020 — connu sous le nom de loi sur les ONG — en raison d’inquiétudes concernant son impact potentiellement négatif sur les droits humains, le caractère provisoire de l’injonction est une source de préoccupation tant au niveau national qu’international. D’éventuels changements du décret 2-2003 par le décret n° 04-2020, permettraient un plus grand contrôle gouvernemental sur les organisations nationales et étrangères opérant dans le pays, en accordant à l’exécutif le pouvoir de révoquer le statut juridique de toute ONG lorsque ses activités sont jugées contraires à « l’ordre public ».

Entre juin et juillet 2020 — en pleines restrictions de mobilité dues à la pandémie de COVID-19 — le président Alejandro Giammattei a annoncé la fusion de quatre institutions étatiques, auparavant dédiées à la protection des victimes de violations des droits humains et du conflit armé, et à la promotion des droits. Le Secrétariat présidentiel pour les femmes (SEPREM), le Secrétariat pour la paix (Sepaz), la Commission présidentielle de coordination de la politique exécutive en matière de droits humains (COPREDEH) et le Secrétariat aux affaires agraires (SAA) (dont trois résultaient des accords de paix de 1996) ont donc fusionné en une seule institution, la Commission présidentielle pour la paix et les droits humains (Copadeh). La fusion de ces institutions crée un sentiment d’incertitude et un manque de clarté quant à la manière dont le gouvernement remplira ses obligations internationales en matière de droits humains et de protection des DDH et des journalistes, car les responsabilités au sein de l’institution nouvellement créée restent floues.

La dissolution de la COPREDEH risque de compromettre le processus que l’institution avait engagé depuis 2015 pour concevoir une politique publique avec des ressources et une participation adéquates, visant à renforcer la réponse interinstitutionnelle face aux risques encourus par les défenseur-ses des droits humains. Par ailleurs, le 23 mars 2021, le Congrès de la République a voté contre le transfert de 20 millions de quetzales au Bureau du Médiateur des Droits humains (PDH), malgré l’affectation des fonds à la PDH dans le budget 2020, spécifiquement destinés aux salaires du personnel qui y travaille.

Le 14 avril 2021, les cinq nouveaux magistrats de la Cour constitutionnelle (CC) et leurs adjoints ont prêté serment et resteront en fonction jusqu’en 2026. Les organisations de la société civile et les universitaires ont fait part de leurs inquiétudes concernant d’éventuels conflits d’intérêts et l’assurance d’impartialité, en raison des relations étroites de certains des magistrats nouvellement nommés avec la branche exécutive et les dirigeants militaires, en particulier avec le général Efraín Ríos Montt.

À l’heure où les impacts sociaux causés par la pandémie de COVID-19 et les ravages causés par les ouragans Eta et Iota sont toujours présents, un schéma d’attaques et de menaces persiste contre les défenseur-ses des droits humains, les acteurs de la société civile et les journalistes qui mettent en évidence la situation de vulnérabilité de milliers de personnes au Guatemala. Front Line Defenders a précédemment dénoncé ces attaques, l’impunité dont jouissent les auteurs, et a souligné qu’elles visent principalement à intimider ceux et celles qui défendent l’environnement, les droits des femmes, les droits des peuples indigènes, ceux qui exercent leur liberté d’expression et plus particulièrement les défenseuses des droits humains autochtones.

Le 5 avril 2021, l’audience d’appel du défenseur des droits humains indigène Maya Q’eqchi Bernardo Caal a été suspendue. Les avocats du défenseur devaient présenter une défense contre sa condamnation. Bernardo Caal a été arrêté et condamné à sept ans de prison pour les accusations fabriquées de toutes pièces de « détention illégale avec circonstances aggravantes et vol qualifié » en 2018. La procédure pénale à son encontre est intentée en représailles contre son rôle de premier plan pour défendre le droit des communautés autochtones de Santa María Cahabón à bénéficier d’une consultation libre et éclairée concernant la construction d’un barrage hydroélectrique sur les rivières Oxec et Cahabón dans l’Alta Verapaz.

Le 31 mars 2021, le journaliste Marvin del Cid a été arrêté et interrogé pendant 20 minutes par des membres de la Police nationale civile (PNC) à Guatemala City. Marvin del Cid estime avoir été visé car il a dénoncé sur les réseaux sociaux la tentative de criminalisation de son collègue Sonny Figueroa, après la publication de son enquête « Los rostros y perfiles del Centro de Gobierno » en septembre 2020. Les tentatives de criminaliser Sonny Figueroa sont largement considérées comme des efforts visant à saper son travail journalistique et son intégrité. Les deux journalistes affirment que le harcèlement policier à leur encontre a augmenté depuis début 2020.

L’affaire de la défenseuse des droits humains et journaliste autochtone Maya K'iche, Anastasia Mejía Tiriquiz, qui est toujours assignée à résidence en vertu d’allégations infondées de « sédition et voies de fait graves », connaît de multiples retards et vices de procédure. La défenseuse des droits humains défend depuis longtemps le droit à la liberté d’expression malgré la discrimination, la persécution et la criminalisation dont elle est la cible à cause de ses actions et pour avoir exprimé son identité autochtone.

Front Line Defenders réitère son appel aux autorités guatémaltèques afin qu’elles adoptent et mettent en œuvre des mécanismes et des politiques efficaces qui reconnaissent la contribution précieuse du travail des défenseur-ses des droits humains à la société guatémaltèque. L’organisation rappelle également l’obligation du gouvernement de garantir l’intégrité personnelle des défenseur-ses des droits humains, ainsi que de reconnaître le droit de défendre les droits humains, conformément à l’ordre de la Cour interaméricaine des droits humains dans le jugement de 2014 « DÉFENSEUR-SES DES DROITS HUMAINS ET AUTRES contre le GUATEMALA » selon lequel la Cour a ordonné au Guatemala d’adopter une politique publique de protection des défenseur-ses des droits humains. L’aboutissement d’une telle politique publique est cependant compromis par la fusion de la COPREDEH, l’institution qui avait amorcé cette politique, avec trois autres institutions.

Front Line Defenders exhorte les autorités guatémaltèques à autoriser la poursuite de la collaboration avec les défenseur-ses des droits humains et les organisations de la société civile pour l’élaboration de politiques globales de protection publique avec une perspective de genre et une approche intersectionnelle, et à s’abstenir de commettre des actes de stigmatisation verbale, d’intimidation juridique, de criminalisation ou d’utilisation abusive du droit pénal contre les défenseur-ses des droits humains et les journalistes dans le pays.