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14 Novembre 2018

Sur la pente glissante de l'autoritarisme?

Résumé

Les défenseurs des droits humains (DDH) en Zambie sont la cible d'arrestations, de menaces violentes, de tactiques d'intimidations, de surveillance et de campagnes de diffamation tandis que le gouvernement persécute la société civile et remet en question la légitimité des DDH.

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Lors des interviews menées par Front Line Defenders à Lusaka en novembre 2017, dans des conversations téléphoniques en décembre 2017 et en janvier 2018, et dans quatre provinces de Zambie en août 2018(1) , les DDH ont expliqué que la réputation de la Zambie, qui passe pour un pays démocratique stable, masque le glissement du pays vers l'autoritarisme. Au cours des dernières années, le président Edgar Lungu a emprisonné ses opposants à la récente élection présidentielle en vertu d'accusations douteuses, après des résultats contestés ; il a décrété un "état d'urgence menacé"(2) national, théoriquement en réponse à une série d'incendies criminels ; il a remplacé les fonctionnaires par des personnes fidèles au parti afin de garantir une loyauté personnelle et de limiter un regard trop minutieux de l'administration gouvernementale ; et il a mis en garde et pratiquement menacé des membres du système judiciaire, qui reste l'un des seuls secteurs du gouvernement hors de son plein contrôle. Enfin, tout comme plusieurs autres présidents et dirigeants africains, Edgar Lungu tente de prolonger sa présidence par le biais d'un troisième mandat en cherchant à obtenir un verdict de la cour constitutionnelle qui annulerait son premier mandat.(3)

Les DDH font part d'une aggravation des risques relatifs à leur sécurité, notamment: les menaces ciblées et les intimidations par le biais des réseaux sociaux par des acteurs liés au parti au pouvoir (des cadres du Patriotic Front) ; des actes de harcèlement et d'intimidation perpétrés par des élus des autorités locales et provinciales ; la surveillance ; les campagnes de diffamation, les déclarations publiques calomnieuses et les messages postés par les représentants du gouvernement et les leaders du parti, dont beaucoup ont été repris par les grands médias qui sont de plus en plus contrôlés par l'État ; des mesures qui affaiblissent ou ternissent l'image de la société civile ; la fermeture ou l'intimidation des médias indépendants ; les actions ciblées contre les DDH par des acteurs liés au monde des affaires lors de rencontres avec les autorités ; et les arrestations d'éminents DDH qui seraient destinées à mettre en garde les DDH et l'ensemble de société civile.

Alors qu'il est en train de consolider son pouvoir, le président Lungu cherche à créer des liens avec d'autres leaders africains autoritaires, tels que le président Yoweri Museveni en Ouganda, le président Robert Mugabe (désormais destitué) au Zimbabwe, et le président Paul Kagame au Rwanda. Depuis qu'Edgar Lungu est au pouvoir, la Chine a considérablement augmenté ses investissements en Zambie (4), faisant passer au second plan la relation entre le pays etc ses partenaires occidentaux traditionnels, dont le Commonwealth, tout en conduisant à une hausse et une diversification des actes de corruption.(5)

En juin 2016, le gouvernement a fermé The Post, le plus grand journal indépendant en Zambie, soi-disant pour des questions fiscales. Plus tard dans l'été, en août, l'Independent Broadcasting Authority - IBA, une agence dirigée par des personnes nommées par le président, a suspendu les licences de trois chaines privées quelques jours après que l'opposition a porté plainte devant la cour suprême pour contester la réélection du président Lungu.

En mars 2017, la Law Association of Zambia (LAZ) a été prise pour cible par un parlementaire du parti au pouvoir, qui a menacé d'introduire des mesures afin d'abroger la Law Association of Zambia Act (décret) et de créer plusieurs associations de droit pour affaiblir la LAZ, la principale organisation de la profession juridique dans le pays. Fin avril 2017, en réponse au fait que la LAZ représente un avocat menacé (qui lui-même représentait le journal The Post), un groupe de jeunes militants du PF a fait irruption dans les bureaux de la LAZ et a menacé la présidente de l'Association, Linda Kasonde.

Le 11 avril 2017, le gouvernement a arrêté Hakainde Hichilema (appelé HH), leader du parti d'opposition United Party for National Development (UPND), qui s'était présenté contre le président lors des élections. Les accusations ont fini par être abandonnées, mais il avait déjà été incarcéré pendant près de cinq mois, et après les tentatives de médiation du commonwealth.

Le 5 juillet 2017, le président Lungu a déclaré un "état d'urgence menacé" pour 90 jours (approuvé par le parlement le 11 juillet), afin d'étendre les pouvoirs de la police et des forces de sécurité, en représailles à plusieurs incendies criminels (pour lesquels aucun coupable n'a été arrêté pendant ces 90 jours).(6)

Le 29 septembre 2017, la police a arrêté six membres de la société civile qui protestaient contre la corruption le jour de l'annonce du budget national - le groupe avait respecté la procédure et informé la police de cette action. Après une nuit en prison, les DDH et les manifestants ont été libérés, mais ils sont désormais jugés et risquent jusqu'à six ans de prison pour avoir violé la loi sur l'ordre public. En août 2018, le procès était toujours en cours mais plusieurs fois retardé à cause du parquet.

Tout au long de cette période, la rhétorique et les déclarations de hauts dignitaires du gouvernement - du président à des subalternes - et de cadres du parti au pouvoir, le PF, a directement menacé les organisations de la société civile ; elle vise les DDH en personne ; et elle génère une dynamique dans laquelle toutes voix ou opinions indépendantes sont taxées de partisanes dans le but de les réduire au silence, de les marginaliser ou des les intimider.

Du 3 au 7 novembre 2017 et du 30 juillet au 5 août 2018, Front Line Defenders a mené une mission d'enquête sur le terrain en Zambie et a rencontré des DDH de cinq provinces, des organisations de la société civile, des professionnels des médias et des membres de la communauté diplomatique afin de mieux comprendre la dynamique en jeu et pour avoir un aperçu de leurs attentes pour les 18 à 24 prochains mois, avant les prochaines élections présidentielles de 2021. Après cette mission sur le terrain, Front Line Defenders a interviewé trois autres DDH zambiens qui n'étaient pas dans le pays au moment de la visite. 26 DDH au total ont été interviewés, représentant cinq provinces, ainsi que trois missions diplomatiques.

1. Pour ce rapport, le responsable de la communication et de la visibilité à Front Line Defenders a effectué une mission d'enquête en rencontrant des DDH de Lusaka (province de Lusaka) ; Ndola, Kitwe et Chingola (province de Copperbelt) ; Solwezi (province du Nord-occidentale) ; Kabwe (province Centrale) et Choma et Monze (province Méridionale). Plusieurs organisations consultées pour ce rapport ont une portée nationale, dont le personnel est dans d'autres provinces non visitées.

2. Un "état d'urgence menacé" (threatened state of emergency) peut être décrété par le président en vertu de l'article 31 de la constitution dans des circonstances où "si elle est autorisée à continuer, la situation pourrait conduire à un état d'urgence national". Dans les faits, cela donne au président les pleins pouvoirs pour arrêter sans mandat et interdire tout rassemblement, ce qui s'apparente à suspendre les droits des citoyens. Voir: https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/26620/90492/F735047973/ZM...

3. Le président Lungu a été élu en janvier 2015 après le décès du président Michael Sata. La constitution zambienne limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais elle ne dit pas si un "mandat" doit commencer et se terminer par une élection ou si un mandat "hérité" compte également comme l'un des deux mandats que peut effectuer une personne. La question a été renvoyée devant la cour constitutionnelle afin de répondre à la question ; une procédure a été lancée en janvier 2017 lorsque le Popular Front (PF) a porté plainte devant la cour ; pendant ce temps, le président Lungu et d'autres membres du gouvernement et le PF ont fait des déclarations explicites concernant l'issue attendue et ont indiqué qu'il y aurait de probables conséquences s'il ne parvenait pas à obtenir un verdict favorable de la cour constitutionnelle.

4. Selon l'East Asia Forum, les investissements chinois en Zambie sont passés à 295 millions de dollars US en 2016, faisant passer l'économie du pays au premier rang.(http://www.eastasiaforum.org/2017/03/31/china-and-zambias-resource-natio...). Selon Zambia Invest, en 2015, la Chine est devenue le premier investisseur du pays, avec des projets d'un montant total de plus de 5,3 milliards de dollars US (http://www.zambiainvest.com/economy/china-becomes-zambia-number-one-inve...).

5. Les DDH et d'autres personnes consultées pour ce rapport reconnaissent que la corruption n'a pas commencée avec le président Lungu, mais plutôt qu'elle est devenue plus largement répandue, devenant un "mode de vie" pour que les choses se fassent dans le pays. En outre, l'enrichissement des représentants et des leaders n'est plus caché, car il est trop important pour être dissimulé et il ne semble plus être un sujet tabou pour ceux qui sont concernés. Le président Lungu a contribué à rendre le problème endémique à cause de la normalisation et l'échelle de la corruption. Selon l'indice de perception de la corruption (CPI) de Transparency International, la Zambie est passée de la 76e place en 2015, à la 87e en 2016 et à la 96e en 2017.

6. En fait, pendant cette période de 90 jours, aucune information liée aux incendies criminels n'a été révélée au public et beaucoup en sont venus à penser que cet exercice était soit: a) une ruse pour détourner l'attention des scandales de corruption ; soit: b) plus sinistrement, un test pour évaluer la réaction du public face à un régime d'état d'urgence; soit: c) les deux.