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14 Février 2018

Bahreïn: À l'occasion du 7e anniversaire du début du mouvement populaire, des ONG appellent à la fin des actions systématiques à l'encontre des défenseur-ses des droits humains et des journalistes

À l'occasion du 7e anniversaire du mouvement pacifique du peuple bahreini, qui a commencé le 14 février 2011, les organisations soussignées appellent la communauté internationale à œuvrer pour la libération des défenseur-ses des droits humains au Bahreïn, dont certains sont emprisonnés à vie, et à agir pour mettre fin aux persécutions contre les journalistes qui exercent simplement leur droit à la liberté d'expression et de réunion.

Le Bahreïn a désormais la réputation d'être l'un des quelques pays dans lesquels tous les défenseur-ses des droits humains les plus connus (qui ne sont pas déjà emprisonnés ou en exil) sont interdits de travailler librement ou de voyager. Cela vise à isoler le mouvement de défense des droits humains et à couper ses liens avec les mécanismes internationaux, notamment les Nations Unies. Une interdiction de voyager collective est imposée à tous les défenseur-ses des droits humains, les empêchant de participer aux activités des trois sessions organisées chaque année par le Conseil des droits de l'Homme (CDH) de l'ONU à Genève. De même, les ONG internationales et les journalistes, ainsi que les experts de l'ONU, ne peuvent visiter librement le Bahreïn.

Les défenseur-ses des droits humains emprisonnés, torturés et maltraités

Les défenseur-ses des droits humains bahreïnis les plus renommés sont emprisonnés et exposés au risque de mauvais traitements. Le 5 février 2018, Khadija Al-Mousawi a tweeté qu'elle avait rendu visite à son mari, l'éminent défenseur des droits humains Abdulhadi Al-Khawaja, qui a été pris pour cible et victime d'abus dans la prison Jaw. Il a été conduit à l'hôpital menotté.

Son tweet indique: "Lorsque j'ai rendu visite à mon mari, il parlait d'aller à l'hôpital enchainé". "Je m'attendais à ce qu'il dise qu'il se sente humilié, mais il a dit le contraire. Il marchait très lentement à cause du poids des chaines et de leur longueur entre ses pieds, mais il levait la tête l'air digne".

Abdulhadi Al-Khawaja est fondateur et ancien président du Gulf Centre for Human Rights (GCHR) et du Bahrain Center for Human Rights (BCHR), ainsi que l'ancien coordinateur de protection de Front Line Defenders pour la région MOAN. Il est détenu dans la prison Jaw depuis sa condamnation à la prison à perpétuité en 2011, tout comme d'autres défenseurs des droits humains et militants, dont le blogueur Dr Abduljalil Al-Singace, qui a formé avec d'autres personnes le Bahrain 13.

Au cours de l'année passée, Abdulhadi Al-Khawaja et d'autres prisonniers de conscience ont régulièrement manifesté contre les conditions de détention dans la prison Jaw, qui reflètent la détérioration générale des conditions pour les défenseur-ses des droits humains et la société civile au Bahreïn.

Après avoir envoyé une lettre au ministère de l'Intérieur en novembre 2017 à propos des conditions de détention, Abdulhadi Al-Khawaja s'est vu refuser le droit de passer des appels téléphoniques jusqu'au 17 décembre, en guise de représailles pour avoir fait entendre sa plainte.

Nabeel Rajab est un autre éminent défenseur des droits humains également maltraité en détention (il a notamment été renvoyé en cellule dans des conditions insalubres après une opération chirurgicale ce qui a entrainé une infection). Nabeel est l'un des fondateurs et directeur du GCHR et président du BCHR, secrétaire général adjoint de la FIDH et membre du conseil consultatif de Human Rights Watch MOAN. Le 15 janvier 2018, la Cour de cassation a confirmé la peine de deux ans de prison prononcée contre Nabeel Rajab, condamné pour avoir parlé à plusieurs médias de la question des droits humains. Rien que pour cette condamnation, il restera en prison jusqu'en décembre 2018, bien qu'il soit incarcéré depuis déjà 20 mois, depuis son arrestation le 13 juin 2016.

Nabeel Rajab est notamment accusé d'avoir injustement déclaré que les journalistes et les ONG n'étaient pas autorisés à entrer dans le pays. Cependant, il est difficile de contester que le pays est non seulement fermé en terme d'espace pour la société civile, mais qu'il est aussi inaccessible aux observateurs internationaux. Des signataires de cette lettre n'ont pas eu l'autorisation d'entrer dans le pays, dont la FIDH, Front Line Defenders et le GCHR, qui attendent le feu vert pour effectuer une mission relative aux droits humains depuis 2012.

Dans une autre affaire, Nabeel Rajab est poursuivi pour deux charges liées à des tweets postés ou repostés en 2015 à propos de la guerre au Yémen, et à propos d'allégations de torture dans la prison Jaw après une mutinerie en prison en mars 2015. La première accusation d'"insulte envers un organisme statutaire" (article 216 du Code pénal) fait référence au ministère de l'Intérieur, suite à des tweets postés dans lesquels il dénonce la torture des prisonniers dans la prison Jaw. La seconde accusation de "diffusion de fausses rumeurs en temps de guerre" (article 133 du Code pénal bahreini) est liée à des tweets qu'il a postés à propos des frappes aériennes de la coalition menée par l'Arabie Saoudite au Yémen. Un verdict est attendu lors de la prochaine audience le 21 février 2018 et Nabeel Rajab risque jusqu'à 15 ans de prison s'il est reconnu coupable.

Les défenseuses des droits humains ne sont pas épargnées par la torture et les abus en prison. Le 22 octobre 2017, Ebtisam Al-Saegh, chargée du suivi et de la documentation pour l'organisation Salam for Democracy and Human Rights, a été libérée en attendant son procès. Ebtisam Al-Saegh était détenue à l'isolement dans la prison pour femme d'Isa Town depuis son arrestation le 3 juillet 2017 et soumise à des interrogatoires sévères. Le procureur a ordonné l'incarcération d'Ebtisam Al-Saegh pour six mois le temps de l'enquête ouverte en vertu de la loi contre le terrorisme. En juillet 2017, un groupe d'experts de l'ONU a fait part de ses "profondes préoccupations concernant la détention arbitraire d'Ebtisam Al-Saegh, suite aux signalements d'actes de torture et d'abus sexuels dont elle a été victime, et car elle est désormais en grève de la faim".

Lors d'un autre incident, le 27 mai 2017, Ebtisam Al-Saegh a été torturée et victime d'abus perpétrés par des membres de la National Security Agency (NSA). Elle avait été convoquée au poste de police de Muharraq pour un interrogatoire à propos de ses activités en faveur des droits humains puis des membres de la NSA l'ont torturée et ont sexuellement abusé d'elle. Les agents de sécurité ont aussi menacé de les tuer elle et ses enfants. Elle a été libérée sept heures plus tard, mais a dû se rendre directement à l'hôpital en raison d'une "grave crise de nerfs".

Pendant l'interrogatoire en mai, elle a été interrogée à propos du travail des activistes au Bahreïn et en dehors, et à propos de son travail à Genève lors des sessions du CDH de l'ONU.

En 2017, les forces de sécurité ont arrêté et torturé de nombreux défenseur-ses des droits humains, puis les ont libérés après les avoir forcés à mettre fin à leur travail pour la défense des droits humains.  D'autres personnes interrogées au poste de police de Muharraq ont renoncé à leur activisme sur Twitter et ont arrêté d'envoyer des tweets.. Seule Ebtisam Al-Saegh a condamné ces pratiques illégales, les taxant sur Twitter de "crimes contre l'humanité".

Tous-tes les défenseur-ses des droits humains au Bahreïn sont soit en prison soit en exil, ou interdits de travailler ou circuler librement, comme Zainab Al-Khamees, interdite de voyager depuis novembre 2016, et Nedal Al-Salman, présidente par intérim du BCHR, régulièrement interdite de voyager depuis mai 2016 pour l'empêcher de se rendre aux sessions du CDH de l'ONU. Nedal Al-Salman est accusée de rassemblement illégal et a été interrogée quatre fois; les charges sont toujours en vigueur. L'interdiction de voyager a été levée deux fois et de nouveau prononcée, souvent pour des raisons inconnues.

Le 25 janvier 2016, le défenseur des droits humains et membre du conseil de la Bahrain Youth Society for Human Rights (BYSHR), Naji Fateel, faisait partie des 57 prisonniers condamnés à 15 ans de prison supplémentaires, pour sa participation présumée aux troubles dans la prison Jaw en mars 2015. Le procureur a notamment accusé les hommes d'avoir "déclenché des actes de chaos, des émeutes et la rébellion au sein des bâtiments (de la prison)", et ils ont été accusés de "dégradation de biens publics, attaque contre la police, incendie criminel et résistance aux autorités". Naji Fateel purgeait déjà une peine de 15 ans de prison pour avoir "établi un groupe dans le but de saper la constitution" et il est en prison depuis mai 2013. Il a gravement été torturé en prison et il semble qu'il soit emprisonné à cause de son travail en faveur des droits humains, notamment ses interactions avec l'ONU.

Des journalistes torturés et emprisonnés, des médias fermés

Les journalistes au Bahreïn ne sont pas autorisés à travailler librement et subissent de graves violations des droits humains. La journaliste Nazeeha Saeed, ancienne correspondante de France 24 et de Radio Monte Carlo Doualiya, a dit avoir été torturée en 2011. Elle ne peut plus travailler en tant que journaliste au Bahreïn et elle a été contrainte à quitter le pays. Le 18 juillet 2017, une cour d'appel de Manama a confirmé la peine prononcée contre elle pour "travail sans licence". Elle a été condamnée à une amende de 1000 dinars bahreinis (environ 2650 US$). Nazeeha Saeed est accusée d'avoir travaillé illégalement pour des médias internationaux, en vertu de l'article 88 de la loi 47/2002. Nazeeha Saeed avait fait une demande de renouvellement de sa licence, mais sa demande avait été rejetée sans raison. C'était la première fois en 12 ans que son accréditation n'était pas renouvelée. Elle a aussi été placée sous le coup d'une interdiction de voyager.

Avant cela, Nazeeha Saeed avait été arrêtée et torturée en mai 2011 après avoir couvert des manifestations. Elle avait été plusieurs fois passée à tabac et soumise 10 fois à des électrochocs alors qu'elle était détenue par la police. L'une des policières responsables de ces mauvais traitements a été jugée mais acquittée en octobre 2012. En novembre 2015, les autorités ont décidé de ne pas poursuivre d'autres policières identifiées pour "insuffisance" de preuves".

Le 30 octobre 2017, le défenseur et journaliste pour "Al-Wasat" Mahmoud Abdul-Ridha Al-Jazeeri a été condamné à 15 ans de prison et les autorités ont ordonné la révocation de sa nationalité. Mahmoud Abdul-Ridha Al-Jazeeri a été arrêté chez lui le 28 décembre 2015 par des agents des forces de sécurité en civil. Il a été arrêté un jour après avoir écrit un article dans lequel il parlait d'une session régulière du Conseil consultatif (Choura), lors de laquelle un membre du parlement avait demandé aux autorités de punir les Bahreinis dont la citoyenneté avait été révoquée pour des raisons politiques en les privant de logements gouvernementaux. Il a été accusé de soutenir le terrorisme, d'incitation à la haine du régime, de contacts avec un pays étranger et de chercher à renverser le gouvernement en rejoignant Al-Wafa et February 14 Youth Movement (mouvement du 14 février pour la jeunesse). Il a été maltraité en prison, notamment en ayant les yeux bandés et en n'étant pas autorisé à s'asseoir ou à dormir pendant près de trois jours. Il a fait appel de sa condamnation.

Le 24 juin 2017, le journal "Al-Wasat" a informé son personnel du renvoi des 160 employés. Le 4 juin 2017, l'Information Affairs Authority (IAA) du Bahreïn a suspendu "Al-Wasat" pour avoir soi-disant violé la loi et relayé la publication et la diffusion d'informations qui déchainent la communauté et affectent les relations du Royaume du Bahreïn avec d'autres pays. La suspension du journal est liée à un article publié le 4 juin 2017 à propos de manifestations au Maroc, accusé d'"aller à l'encontre de l'un des pays arabes".

Mansoor Al-Jamri, rédacteur en chef, a déclaré "après 15 ans de journalisme, nous réaffirmons que le succès de l'unique projet d'"Al-Wasat" n'aurait pas été atteint sans la confiance de ceux qui le constituaient et qui le considéraient comme un moyen civilisé de réforme, un pont vers la compréhension, la coopération, la coexistence et l'acceptation de l'opinion et de l'opinion contraire, selon la loyauté à une nation entière de tous les groupes de la société, tout en se réclamant d'un professionnalisme internationalement reconnu". " Le plus important de tout c'est l'honnêteté des mots et des actes" a-t-il ajouté.

Recommandations à la communauté internationale:

Nous, les organisations soussignées, appelons les mécanismes des Nations Unies, l'Union européenne, ainsi que tous les gouvernements ayant de l'influence, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni, à faire fortement pression sur le Bahreïn pour réclamer la libération immédiate de tous-tes les défenseur-ses des droits humains emprisonnés, ainsi que de tous les prisonniers de conscience; et à protéger les libertés publiques, en particulier la liberté d’expression, la liberté de rassemblement et la liberté d’association; et exhorter les forces de sécurité à pratiquer toute forme de torture ou de mauvais traitements contre les détenus, une pratique souvent signalée au cours des dernières années et considérée comme systématique au Bahreïn.

Nous appelons aussi les autorités bahreïnies à autoriser les Rapporteurs spéciaux de l'ONU sur les défenseur-ses des droits humains, la liberté d'expression et la torture, à se rendre immédiatement au Bahreïn afin de rencontrer les représentants des organisations de la société civile, ainsi que tous ceux qui peuvent transmettre des recommandations visant à résoudre la crise à laquelle les défenseur-ses des droits humains et les journalistes sont confrontés.

En outre, nous appelons le gouvernement du Bahreïn à respecter ses promesses faites lors de l'Examen périodique universel du Bahreïn, de garantir les normes internationales et le droit à la liberté d'expression et de réunion, notamment en prenant des mesures immédiates pour:

  • Infirmer les inculpations, prononcées au terme de procès inéquitables, des manifestants et défenseur-ses des droits humains, dont Abdulhadi Al-Khawaja, Nabeel Rajab, Dr. Abduljalil Al-Singace et Naji Fateel, et à les libérer immédiatement et sans condition;
  • Garantir en toutes circonstances l'intégrité physique et psychologique de tous-tes les défenseur-ses des droits humains au Bahreïn, mettre fin aux pratiques de torture et de mauvais traitements en prison, dans les postes de police ou les lieux secrets, et de traduire immédiatement les coupables en justice;
  • Autoriser les défenseur-ses des droits humains à travailler librement au Bahreïn et à se rendre à l'étranger, notamment en annulant les interdictions de voyager prononcées contre Nedal Al-Salman, Zainab Al-Khamees et Ebtisam Al-Saegh;
  • Autoriser les ONG étrangères, les journalistes et les représentants de l'ONU à se rendre librement au Bahreïn;
  • Mettre fin au harcèlement contre les journalistes et autoriser tous les journalistes à mener à bien leur travail sans craindre de représailles;
  • Respecter le droit à la liberté d’expression et d'opinion de tout le peuple du Bahreïn, comme le garantissent l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et la Constitution du Bahreïn.

Signataires:

Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI)
Bahrain Center for Human Rights (BCHR)
Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)
CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation
Committee to Protect Journalists (CPJ)
English Pen
FIDH, pour l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
Front Line Defenders
Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
International Service for Human Rights (ISHR)
OMCT (Organisation mondiale contre la torture), pour l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
Reporters Sans Frontières (RSF)