Back to top
3 Juin 2025

Panama : Inquiétude face à la répression violente exercée contre les communautés autochtones Ngäbe-Buglé dans le cadre de manifestations sociales

Front Line Defenders fait part de ses vives inquiétudes concernant l’usage excessif de la force et l’escalade de la répression contre les communautés autochtones au Panama, en particulier dans la comarque de Ngäbe-Buglé et la province du Darién. La violence et la répression ont eu lieu dans le contexte des manifestations contre la loi 462, la réouverture potentielle de la mine de Cobre Panamá et le protocole d’accord entre le Panama et les États-Unis. Des raids violents, des tirs de grenaille, des détentions arbitraires et des actes de criminalisation visant les défenseur⸱ses des droits humains autochtones ainsi que les défenseur·ses du droit à la terre et de l’environnement ont été signalés.

En mai 2025, des opérations de répression ont été menées dans les communautés indigènes Ngäbe-Buglé de Ojo de Agua, El Piro Trinidad, Viguí, Tolé, El Prado, San Félix et Horconcito. Le 14 mai, des incursions du Service national des frontières (Senafront) ont été signalées dans des zones résidentielles ; avec notamment utilisation du gaz lacrymogène à l’intérieur des maisons, des écoles et des églises, passage à tabac et persécution de maison en maison des membres de la communauté. Les jours suivants ont été marqués par des coupures d’électricité délibérées, la surveillance des rassemblements communautaires par des drones et des hélicoptères, des tirs de grenaille, l’utilisation d’armes à feu et une présence militaire sans précédent qui, selon les défenseur·ses locaux, n’avait jamais été observée, même sous la dictature militaire.

Au cours des dernières semaines, les manifestations se sont propagées à de nombreux groupes sociaux, notamment les étudiants, les syndicats, les pêcheurs et les paysans. Toutefois, la violence à l’encontre des communautés autochtones est particulièrement alarmante. La situation dans le territoire autochtone Ngäbe-Buglé est particulièrement complexe, car l’absence de consultation préalable et le mépris des droits des indigènes ont conduit à des politiques qui violent les droits fondamentaux et criminalisent celles et ceux qui s’opposent à la réouverture de la mine de Cobre Panamá.

Le 15 mai, Caleb Bejarano a été grièvement blessé par une balle dans l’abdomen lors d’une manifestation pacifique. Il fait partie de la communauté Ngäbe et étudie à l’université de Panama ; c’est un parent de la défenseuse des droits humains Mary Acosta Pinilla, membre de Mujeres Indígenas sobre la Biodiversidad Lac. Le coup de feu, qui aurait été tiré par la police nationale, a causé de graves blessures nécessitant trois opérations chirurgicales d’urgence et des soins intensifs. Le 5 mai, le défenseur et poète Esteban Binns Carpintero a été arrêté arbitrairement par le Senafront alors qu’il documentait une manifestation pacifique à Tolé. Bien qu’il ait été libéré, cet incident est le début d’une tendance croissante à la criminalisation de celles et ceux qui exercent le droit de défendre les droits humains.

Le 27 mai 2025, le gouvernement panaméen a déclaré l’état d’urgence dans la province de Bocas del Toro, intensifiant la militarisation dans les provinces limitrophes de Chiriquí et Veraguas et dans la Comarca Ngäbe-Buglé. Cela a conduit à un déploiement accru d’agents du Senafront, de la police nationale et d’unités aéronavales, ainsi qu’à des vols constants d’hélicoptères de surveillance et de drones. Les forces de sécurité entravent les réunions communautaires et intimident les populations rurales par le biais de raids, de détentions arbitraires et en faisant un usage disproportionné de la force.

Dans le même temps, le parquet a lancé des mandats d’arrêt contre des leaders autochtones, dont Elivardo Membache, chef général des terres collectives du Darién, et Lucrecia Caisamo, sa suppléante, qui se sont tous deux rendus de leur plein gré. Les organisations indigènes dénoncent ces actions qui sont des tentatives visant à criminaliser la contestation sociale et à démanteler les demandes légitimes des communautés. Front Line Defenders continue de recevoir des rapports faisant état de nouvelles détentions arbitraires et d’abus physiques à l’encontre de personnes dans ces communautés.

Les mobilisations nationales ont été déclenchées par l’approbation de la loi 462, qui réforme le système de sécurité sociale sans consultation préalable, ainsi que par les efforts déployés par le pouvoir exécutif panaméen pour réactiver le projet minier Cobre Panamá, déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême en 2023 et largement rejeté lors des manifestations nationales de 2023. Le protocole d’accord signé entre le Panama et les États-Unis en avril 2025, qui permettrait d’accroître la présence militaire américaine au Panama, suscite également des inquiétudes.

Bien que ces abus ne soient pas reconnus officiellement, le bureau du médiateur, en tant qu’institution publique autonome, a indiqué que six enquêtes nationales sur d’éventuelles violations des droits humains restaient ouvertes. Des preuves sont en train d’être recueillies dans le cadre de ces enquêtes et font partie d’un rapport préliminaire qui contient des recommandations basées sur le suivi effectué à ce jour.

Front Line Defenders souligne que le droit de manifester pacifiquement, la liberté d’expression et la défense des droits humains sont protégés par les traités internationaux ratifiés par le Panama. L’usage excessif de la force et de la violence institutionnelle par l’État, en particulier contre les peuples autochtones qui défendent leurs droits, le territoire et l’environnement, est une stratégie délibérée visant à empêcher la défense des droits humains et constitue une grave violation des droits humains par l’État panaméen.

Front Line Defenders appelle les autorités panaméennes à garantir l’exercice de la défense des droits humains et à cesser immédiatement toute forme de répression à l’encontre des communautés autochtones et de celles et ceux qui défendent l’environnement et le territoire, ainsi qu’à adopter des mesures de protection et de dialogue efficaces.