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22 Mars 2022

Lettre ouverte : Les entreprises de réseaux sociaux doivent prendre des mesures urgentes pour protéger les défenseur⸱ses des droits humains en Libye

Lettre ouverte : Les entreprises de réseaux sociaux doivent prendre des mesures urgentes pour protéger les défenseur⸱ses des droits humains en Libye

Aux présidents et au personnel de Facebook, Twitter et Telegram,

Front Line Defenders, une organisation internationale de défense des droits humains qui œuvre pour fournir un soutien pratique aux défenseur⸱ses des droits humains grâce à son programme de protection numérique, ainsi que les organisations libyennes, régionales et internationales de la société civile vous exhortent à prendre des mesures immédiates pour aider à mettre fin à la campagne de diffamation en ligne qui cible les défenseur⸱ses en Libye et met leur vie en danger. Nous vous demandons instamment de supprimer les vidéos, tous les discours haineux et tout autre contenu diffamatoire circulant sur vos plateformes, que les autorités libyennes utilisent pour diffamer les défenseur⸱ses pacifiques et qui ont des conséquences néfastes tangibles sur la vie des personnes concernées, notamment la violence physique, la détention et les poursuites arbitraires, les actes d’intimidation et les traitements discriminatoires.

En outre, nous vous exhortons à faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains afin de vous assurer que vous agissez conformément à vos obligations et à vos engagements en faveur des droits humains et que vous ne facilitez pas ou ne contribuez pas aux violations dans un contexte d’impunité totale où les cas de torture, de mauvais traitements, d’exécutions illégales et d’autres graves violations sont répandus.

Comme l’a documenté le Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), entre novembre 2021 et mars 2022, les Services de sécurité intérieure libyens (ISS) affiliés au Conseil présidentiel du gouvernement d’unité nationale (GNU) 1 ont arrêté au moins sept jeunes hommes — activistes, défenseurs des droits humains et jeunes actifs en ligne pour débattre des questions relatives aux droits humains, y compris de l’égalité des genres, de la liberté de croyance, des droits culturels et des droits des personnes déplacées à l’intérieur du pays, des migrants et des réfugiés.

Après leur arrestation, les services de renseignements ont publié des vidéos troublantes d’« aveux », dans lesquelles les jeunes hommes avouent être « athées », « laïques », « féministes » ou avoir collaboré avec des organisations internationales pour répandre des valeurs « immorales » au sein de la société libyenne.

Le contenu et l’apparence de ces hommes dans les vidéos indiquent que ces aveux ont très probablement été obtenus sous la contrainte et que ces personnes sont victimes de mauvais traitements, voire de torture. Les vidéos ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux et ont suscité des discours haineux, la diffamation et l’incitation à la violence contre un certain nombre de défenseur⸱ses des droits humains, de féministes et d’autres militants des droits civils dans le pays. Une liste de noms a été diffusée accompagnée d’appels à les arrêter et à les juger en vertu de la charia (loi islamique) qui appliquerait la peine de mort dans de tels cas.

Ces récents incidents font partie d’une attaque plus vaste contre la liberté d’expression et le travail de la société civile. La Commission de la société civile de Tripoli, affiliée au Gouvernement d’union nationale (GNA) 1, mène une campagne de diffamation en ligne contre la société civile libyenne, qualifiant ses membres d’agents étrangers ou moralement corrompus pervertissant la société libyenne. Les violations répétées contre les journalistes, les blogueurs et les individus qui expriment leurs opinions en ligne minent encore plus la liberté d’expression. Entre septembre et décembre 2021, au moins 16 blogueurs, journalistes et professionnels des médias ont été arrêtés arbitrairement ou ont disparu.

En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, et des engagements que vous avez pris à l’égard de la sécurité des utilisateurs et des droits humains, vous avez la responsabilité d’« éviter d’avoir des incidences négatives sur les droits de l’homme ou d’y contribuer par vos propres activités » et de « prévenir ou d’atténuer les incidences négatives sur les droits de l’homme qui sont directement liées à vos activités, produits ou services par vos relations commerciales, même si vous n’avez pas contribué à ces incidences. » On s’attend donc à ce que les entreprises fassent preuve d’une diligence raisonnable adéquate « afin d’identifier leurs incidences sur les droits de l’homme, prévenir ces incidences et en atténuer les effets, et rendre compte de la manière dont elles y remédient ». 2

En tant qu’entreprises de réseaux sociaux, vous avez la responsabilité de veiller à ne pas contribuer à une campagne violente et dangereuse qui utilise vos plateformes pour inciter à la violence ciblée contre les défenseur⸱ses des droits humains en Libye et met leur vie en danger. Il est urgent que Facebook, Twitter et Telegram retirent immédiatement ces vidéos et prennent les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des utilisateurs en Libye.

Nos organisations sont prêtes à vous aider à identifier les vidéos en question et les comptes sur lesquels elles sont hébergées/partagées.

Signé :

Front Line Defenders (FLD)

Gulf Centre for Human Rights (GCHR)

Iraqi Network for Social Media (INSM)

ARTICLE19

Access Now

Pen Iraq

Global Voices

Cairo Institute for Human rights Studies

Independent Organization for Human Rights

Youth for Tawergha

Aman organization against racial discrimination

Defender Center for Human Rights

Libya Organization for legal aid

Belady Foundation

Aswat Libya Network

Libyan Center for Freedom of the Press

Adala for All

1 La Commission de la société civile est actuellement divisée entre deux institutions qui prennent des décisions contradictoires. Le Conseil d’administration de la Commission est formé par la décision du gouvernement intérimaire en 2016 et dispose de 27 branches qui répondent au régime du gouvernement intérimaire dans l’est, à l’exception de la branche de Tripoli. Le 8 août 2018, le gouvernement intérimaire a décidé de destituer la présidente de la Commission de la société civile, Abeer Amnina, et de nommer Ali Al-Obeidi à sa place. La décision a été prise après que le Conseil présidentiel a publié la décision no 160 de 2018, le 2 août, pour former le Conseil d’administration de la Commission.

2Principe directeur de l’ONU