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16 Octobre 2023

Déclaration conjointe — Arrestations et raids visant les détracteurs du gouvernement

La loi antiterroriste est utilisée à mauvais escient pour harceler les journalistes et les militants

Les autorités indiennes utilisent à mauvais escient une loi antiterroriste abusive, des réglementations financières et d’autres lois pour réduire au silence les journalistes, les défenseur⸱ses des droits humains, les militants et les personnes qui critiquent le gouvernement, ont déclaré aujourd’hui 12 groupes internationaux de défense des droits humains.

Le 3 octobre 2023, la police de New Delhi a arrêté le rédacteur en chef et un employé du portail d’information NewsClick, et a perquisitionné les domiciles de 46 journalistes apparemment liés à la plateforme d’information numérique, en raison d’allégations de financement étranger illégal, ce que le portail dément. Peu après que l’écrivaine Arundhati Roy se soit exprimé lors d’une réunion de protestation organisée à la suite des perquisitions, les autorités ont annoncé qu’elles la poursuivraient, ainsi qu’un universitaire du Cachemire, pour avoir prétendument « encouragé l’hostilité entre différents groupes », « provoqué la discorde » et « semé des troubles », en raison d’un discours qu’elle a prononcé il y a treize ans, en 2010. Une affaire a également été ouverte contre eux en vertu de la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA), la loi sur la lutte contre le terrorisme.

Cette déclaration est portée par les organisations Amnesty International, Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA), Christian Solidarity Worldwide (CSW), Comité pour la protection des journalistes, Front Line Defenders, Human Rights Watch, la Fédération internationale des journalistes (FIJ), Reporters sans frontières, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) dans le cadre de l’Observatoire.

Selon les organisations, les arrestations et les perquisitions à NewsClick, un média connu pour critiquer le gouvernement dirigé par le Bharatiya Janata Party (BJP) qui ne respecte pas les droits humains, sont les dernières tentatives des autorités de harceler et d’intimider les journalistes indépendants. Les autorités ont mis sous scellés les bureaux de NewsClick à Delhi et ont saisi les appareils électroniques de plusieurs journalistes, y compris des ordinateurs portables et des téléphones, sans s’assurer de l’intégrité de leurs données, ce qui est essentiel pour garantir une procédure régulière.

Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement BJP, dirigé par le Premier ministre Narendra Modi, en 2014, les autorités indiennes mènent une répression croissante contre les médias et la société civile. Elles arrêtent des journalistes sur la base de fausses accusations de terrorisme et d’autres accusations criminelles, et ciblent régulièrement les critiques et les organisations de presse indépendantes en les accusant d’irrégularités financières. De même, elles utilisent la loi antiterroriste, les lois sur la sécurité nationale, les lois sur les financements étrangers et les réglementations relatives à l’impôt sur le revenu pour cibler et poursuivre les défenseur⸱ses des droits humains et les manifestants pacifiques. Les journalistes et les militants issus de groupes minoritaires sont particulièrement menacés.

Au cours des dernières perquisitions, les autorités ont également fouillé le domicile à Mumbai de Teesta Setalvad, une éminente défenseuse des droits humains apparemment en représailles à ses articles parus sur NewsClick dans lesquels elle critiquait le gouvernement. Le gouvernement prend régulièrement Teesta Setalvad pour cible et l’a emprisonnée sur la base d’accusations à caractère politique, notamment pour association de malfaiteurs et falsification, alors qu’elle cherchait à demander des comptes sur les violences de 2002 contre les musulmans dans l’État du Gujarat.

Indépendamment de la véracité des allégations de financement étranger, la perquisition d’un média et l’arrestation de ses journalistes pour terrorisme constituent une mesure manifestement disproportionnée, ont déclaré les groupes.

En septembre 2021, des régulateurs fiscaux et financiers ont effectué des perquisitions au domicile de journalistes et dans les bureaux des sites d’information Newslaundry et NewsClick, dans les locaux d’un acteur, ainsi qu’au domicile et dans les bureaux du militant des droits humains Harsh Mander.

En février 2023, des agents du fisc indien ont perquisitionné les bureaux de la BBC à New Delhi et à Mumbai, apparemment en représailles à un documentaire en deux parties qui mettait en lumière l’incapacité de Modi à protéger les musulmans. Le gouvernement a bloqué le documentaire de la BBC en Inde en janvier, en utilisant des pouvoirs d’urgence en vertu des règles sur les technologies de l’information.

Le gouvernement a de plus en plus recours à la loi antiterroriste, la loi sur la prévention des activités illégales (UAPA), pour cibler ses détracteurs. La loi définit le terrorisme de manière vague et excessivement large, renverse la présomption d’innocence, autorise la détention prolongée sans procès ni inculpation jusqu’à 180 jours, dont 30 jours de garde à vue, et complique la procédure de libération sous caution.

En novembre 2021, les autorités ont arrêté l’éminent militant des droits humains du Cachemire, Khurram Parvez, en vertu de l’UAPA. Le 22 mars 2023, les autorités ont ouvert une autre affaire de financement du terrorisme en vertu de l’UAPA contre Khurram Parvez, tandis qu’Irfan Mehraj, un journaliste anciennement associé à l’organisation de défense des droits humains de Parvez, a été arrêté dans le cadre de la même affaire.

Fahad Shah, rédacteur en chef du Kashmir Walla, et le journaliste Sajad Gul, sont détenus depuis le début de l’année 2022. Après avoir été libérés sous caution dans des affaires distinctes, tous deux ont été de nouveau arrêtés — sans être libérés — en vertu de la loi sur la sécurité publique (PSA) du Jammu-et-Cachemire, une loi draconienne sur la détention préventive qui permet de passer jusqu’à deux ans en détention sans procès. La Haute Cour de l’État du Jammu-et-Cachemire a annulé l’ordonnance de la PSA à l’encontre de M. Shah, mais ce dernier est toujours incarcéré et doit être jugé dans le cadre d’une autre affaire relevant de l’UAPA et liée à un article paru en 2011 sur son site web, dont l’auteur, le collaborateur Abdul Aala Fazili, est détenu depuis avril 2022. De même, un autre journaliste cachemiri, Aasif Sultan, détenu depuis août 2018, a été libéré sous caution dans une affaire relevant de l’UAPA en avril 2022, mais a été de nouveau arrêté en vertu de la PSA cinq jours plus tard.

Le gouvernement indien a également eu recours à l’UAPA pour arrêter 16 militants qui défendaient les droits des communautés les plus marginalisées de l’Inde, les accusant d’avoir incité à la violence lors d’un rassemblement de Dalits en janvier 2018. Huit d’entre eux sont toujours détenus sans jugement, sept ont finalement été libérés sous caution et un est décédé en détention. Selon les rapports de la société américaine Arsenal Consulting, des logiciels malveillants ont été utilisés pour surveiller les ordinateurs de deux accusés dans cette affaire et y introduire des preuves, ce qui renforce les inquiétudes concernant la saisie des appareils des journalistes de NewsClick sans respect des procédures.

La police de Delhi a porté des accusations de sédition et de terrorisme contre 18 militants, étudiants, personnalités politiques de l’opposition et résidents, en relation avec les violences communautaires qui ont eu lieu à Delhi en février 2020. Plusieurs des personnes arrêtées étaient impliquées dans l’organisation de manifestations pacifiques contre la loi sur la modification de la citoyenneté. En juin 2021, la Haute Cour de Delhi a accordé la liberté sous caution à trois militants inculpés en vertu de l’UAPA. Elle a déclaré que « dans son souci de réprimer la dissidence, l’État a l’impression que la ligne de démarcation entre le droit de manifester, garanti par la Constitution, et l’activité terroriste est de plus en plus floue ».

Une analyse des dernières données sur la criminalité réalisée par Amnesty International a révélé que, malgré le recours accru à l’UAPA, très peu de condamnations sont prononcées. Seuls 2,2 % des cas enregistrés en vertu de la loi entre 2016 et 2019 ont abouti à une condamnation judiciaire. Près de 11 % des affaires ont été classées par la police pour manque de preuves, tandis que les autres sont restées en suspens. Le retard dans le dépôt des accusations et plusieurs acquittements dans ces affaires montrent que la loi antiterroriste est utilisée pour garder les détracteurs enfermés pendant des années et pour envoyer un message effrayant à ceux qui prennent position, faisant du processus judiciaire lui-même un outil de persécution et de punition.

Les experts en droits de l’homme des Nations unies ont condamné à plusieurs reprises l’utilisation de l’UAPA pour cibler les journalistes, les défenseur⸱ses des droits humains et d’autres personnes critiques.

Les autorités indiennes devraient libérer immédiatement et sans condition tous les journalistes, les défenseur⸱ses des droits humains, les activistes et les critiques arrêtés pour des raisons politiques, abandonner toutes les charges retenues contre eux et cesser de les menacer, de les harceler et de les intimider, y compris par le biais de poursuites pénales, ont déclaré les groupes. Le gouvernement devrait également modifier la loi sur la prévention des activités illégales afin de la mettre en conformité avec les normes internationales en matière de droits humains et, dans l’attente de ces amendements, il devrait cesser de l’utiliser pour cibler les détracteurs.

Pour d’autres rapports d’Human Rights Watch sur l’Inde, veuillez consulter le site : https://www.hrw.org/asia/india