Back to top
12 Août 2022

Déclaration conjointe — Afghanistan : Un an après la prise de contrôle des talibans, les défenseur⸱ses des droits humains courent plus de risques que jamais

Un an après la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan, les conditions pour les défenseur⸱ses des droits humains, en particulier les femmes, se sont encore détériorées, ont déclaré aujourd’hui les membres soussignés de Protect Defenders.eu. Il y a un an, lorsque les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, ils ont promis de respecter les droits humains — y compris les droits des femmes et des filles ainsi que la liberté de la presse. Cependant, au cours de la dernière année, ils ont commis de graves violations des droits humains et cherché à réprimer la société civile, la liberté des médias et toute forme de dissidence en toute impunité.

Depuis le 15 août 2021, nous sommes témoins de l’érosion constante des gains en matière de droits humains en Afghanistan et des attaques, des représailles et de l’échec de toute protection efficace des défenseur⸱ses des droits humains dans le pays. Les femmes et les filles, les minorités religieuses et ethniques, celles et ceux qui dénoncent les violations et la protection des droits des plus vulnérables, sont délibérément ciblés. La communauté internationale n’a pas pris d’action suffisante face à ce modèle de violence. Les défenseur⸱ses des droits humains qui continuent d’œuvrer pour leurs communautés sont abandonnés et ne sont pas soutenus, restant sans accès aux ressources, sans protection et sans perspective d’être en sécurité.   

Les défenseur⸱ses des droits humains font face à des attaques quasi quotidiennes et à des représailles violentes, notamment des arrestations, des tortures, des menaces et des assassinats depuis la prise de contrôle des talibans. L’escalade de la violence dans les provinces pousse de nombreux défenseur·ses à quitter leurs maisons et à s’installer ailleurs. Les défenseur⸱ses des droits humains, en particulier les femmes, font face à de multiples risques et menaces de la part des talibans, notamment : des enlèvements ; des arrestations et emprisonnements arbitraires ; des actes de torture ; des sévices physiques et psychologiques ; des perquisitions à domicile ; des menaces de mort et physiques ; des actes d’intimidation et de harcèlement ; et des violences contre les membres de leur famille. Les défenseuses des droits humains font également face à l’oppression systématique et à la ségrégation de la vie publique. Elles sont privées de leurs droits au travail, à la liberté de mouvement, à l’éducation et à la participation aux affaires publiques. Pour celles et ceux qui cherchent à quitter l’Afghanistan en raison des dangers importants, les voies sûres et dignes pour sortir du pays restent extrêmement difficiles et pleines d’obstacles.

Les libertés d’expression et de réunion sont également sérieusement réduites. Ces libertés ne sont plus protégées juridiquement et institutionnellement, et toute forme de dissidence se heurte à des arrestations arbitraires, des détentions et des disparitions forcées. Les disparitions forcées de femmes et les arrestations arbitraires de journalistes et de militants de la société civile sont des tactiques adoptées par les talibans pour faire taire les voix qui dénoncent les exactions. Les femmes qui organisent et participent à des manifestations pacifiques font l’objet de violentes mesures de répression, y compris des arrestations et de la torture, ce qui sous-tend l’escalade illégale des efforts visant à réprimer les manifestations pacifiques et la liberté d’expression en Afghanistan. De plus, les talibans répriment continuellement la liberté de la presse. Au cours des trois premiers mois suivant la prise du pouvoir par les talibans, 43 % des médias afghans ont cessé d’exister. Les journalistes sont détenus et passés à tabac, en particulier lorsqu’ils couvrent des manifestations. Les professionnels des médias, en particulier les femmes, sont intimidés, menacés et harcelés, obligeant nombre d’entre eux à se cacher ou à quitter le pays. Des fouilles maison par maison ont été menées chez les journalistes, en particulier ceux qui travaillent ou sont perçus comme travaillant pour les médias occidentaux.

Les minorités religieuses et ethniques sont particulièrement ciblées. Les talibans organisent des attaques militaires contre des civils et ciblent des groupes minoritaires dans les provinces de Kunduz, Daikundy, Ghazni, Nangarhar, Faryab, Badakhshan, Panjshir et Baghlan. Ils ont également mené des attaques contre les Hazaras, les hindous et les sikhs, et il y a allégations crédibles de crimes de guerre, de génocide et de nettoyage ethnique contre ces communautés. Les défenseur⸱ses des droits humains issus de ces communautés, en particulier les femmes, sont particulièrement menacés. Celles et ceux qui cherchent à documenter et à dénoncer les violations font l’objet de graves représailles.

Depuis la prise de contrôle des talibans, les institutions indépendantes du pays, telles que la Commission afghane indépendante des droits humains (AIHRC), ont été dissoutes et son personnel dans le pays menacé. La dissolution de l’AIHRC souligne le mépris des principes des droits de la personne par les talibans, ce qui restreint encore davantage l’accès des citoyens afghans et des défenseur⸱ses des droits humains à un mécanisme indépendant et efficace de défense des droits humains dans le pays. Compte tenu des graves violations des droits humains, l’AIHRC jouait un rôle important en tant qu’organisme de contrôle pour surveiller et enquêter sur les violations et tenir les auteurs responsables de leurs actes par le biais de mécanismes régionaux et internationaux de défense des droits humains.

La crise des droits humains en Afghanistan comprend les souffrances des personnes déplacées en raison de la violence. La prise de contrôle par les talibans exacerbe l’une des plus longues situations de réfugiés au monde. À ce jour, plus de six millions d’Afghans ont été chassés de chez eux et/ou de leur pays à cause du conflit, de la violence et de la pauvreté. Parmi eux, 3,5 millions sont déplacés à l’intérieur de l’Afghanistan, et 2,6 millions de réfugiés afghans vivent dans d’autres pays1. Ces chiffres sont exacerbés par la prise du pouvoir par les talibans en Afghanistan en août 2021 ainsi que par la crise humanitaire critique à laquelle l’Afghanistan fait face aujourd’hui. L’impact de la situation est dévastateur pour les défenseur⸱ses des droits humains et leurs familles alors qu’ils fuient leur maison pour sauver leur propre vie. Les moyens sûrs pour les défenseur·ses de quitter le pays et d’échapper à la violence sont très limités. Ceux qui sont réfugiés dans les pays voisins souffrent d’un manque d’accès aux services, sont menacés d’être arrêtés et rapatriés de force, et vivent dans l’incertitude quant à leur avenir.

Malgré cette grave crise des droits humains, la communauté internationale n’assume pas ses responsabilités à l’égard des défenseur⸱ses des droits humains afghans qu’elle a financés et encouragés pendant deux décennies. Il est temps que la communauté internationale prenne des mesures concrètes pour offrir un soutien pratique aux défenseur⸱ses des droits humains et veiller à ce que les talibans soient tenus responsables de leurs actes.

Nous appelons donc la communauté internationale à :

• Respecter ses engagements et fournir aux personnes qui ont consacré leur vie à la défense des droits humains, à l’égalité des genres, à l’État de droit et aux libertés démocratiques un soutien pratique immédiat à tous les niveaux, y compris par les voies diplomatiques et politiques, avec des mesures de protection spécifiques et renforcées pour les femmes défenseuses des droits humains et journalistes.

• Prendre des mesures concrètes pour mettre immédiatement fin à toutes les violations des droits humains et aux abus perpétrés contre toutes les personnes en Afghanistan, y compris les défenseur⸱ses des droits humains, les minorités — en particulier les groupes ethniques et religieux — les LGBTIQ+, les journalistes, les femmes et les filles.

• Exhorter les talibans à veiller à ce que les filles et les femmes aient accès à une éducation de qualité, conforme au droit international relatif aux droits humains et égale à celle des hommes et des garçons, ainsi qu’à ouvrir des écoles pour les filles de tous âges et respecter le droit des femmes de participer aux affaires publiques.

• Prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir un passage en toute sécurité hors de l’Afghanistan. Il s’agit notamment de veiller à ce que les passages frontaliers restent ouverts, à ce que les visas ou les laissez-passer soient accélérés, à ce qu’un soutien rapide soit fourni pour les évacuations et à ce qu’une aide à la réinstallation soit fournie.

• Prendre fermement position devant le Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) afin de veiller à ce que la situation des droits humains en Afghanistan soit étroitement surveillée et à ce que les autorités de facto du pays soient contraintes de respecter les normes en matière de droits humains énoncées dans le droit international relatif aux droits humains, notamment en renforçant le mandat de surveillance des droits humains et de production de rapports de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA).

• S’engager à faire en sorte que le mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en Afghanistan soit prolongé jusqu’à ce que les objectifs visés soient atteints et qu’il dispose de ressources suffisantes pour remplir son mandat, et à évaluer la pertinence de ces ressources après avoir examiné son rapport.

• Prendre des mesures en vue de la création d’un mécanisme d’enquête indépendant par le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies pour enquêter, recueillir et préserver les preuves de toutes les exactions et violations du droit international relatif aux droits humains et de l’aide humanitaire internationale en Afghanistan, et pour veiller à ce que les coupables rendent des comptes pour des violations et abus.

• Demander une visite officielle en Afghanistan du Secrétaire général de l’ONU pour aider à rediriger l’attention du monde sur la situation, accentuer la pression sur les talibans afin qu’ils respectent les droits humains, et trouver des solutions mondiales pour mettre fin à la crise humanitaire.

• Appeler les talibans à rétablir immédiatement l’AIHRC indépendante et le ministère afghan des Affaires féminines et à lui fournir les ressources et le soutien nécessaires pour remplir pleinement ses fonctions et préserver son indépendance.

• Demander au parquet de la Cour pénale internationale d’aller rapidement de l’avant, dans un effort large et inclusif, pour enquêter et poursuivre les crimes relevant de la juridiction du tribunal qui ont été commis par tous les auteurs, et demander à tous les États membres de l’ONU d’établir et d’exercer efficacement leur compétence universelle pour tenir responsables de leurs actes tous les auteurs de crimes commis en Afghanistan.

• Prévenir et contrer l’intervention des talibans dans la distribution de l’aide humanitaire par l’ONU et d’autres organisations humanitaires ou caritatives. Toute l’aide humanitaire devrait être distribuée équitablement aux personnes touchées, peu importe leur origine ethnique, religieuse ou autre.

• Demander aux talibans de permettre au Rapporteur spécial des Nations Unies de se rendre dans toutes les zones demandées, y compris là où des crimes de guerre ont été signalés.

Signataires :

• FORUM-ASIA   

• Front Line Defenders   

• Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)   

• Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)

 

1 UNHCR, Afghanistan Refugee Crisis Explained : https://www.unrefugees.org/news/afghanistan-refugee-crisis-explained/