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8 Septembre 2023

Lettre conjointe en Inde : Inquiétude concernant la conférence du Forum Asie-Pacifique qui sera accueillie par la Commission nationale des droits de l’homme de l’Inde (NHRCI) en septembre 2023

M. Kieren Fitzpatrick

Secretariat

Forum Asie-Pacifique

Monsieur Fitzpatrick,

Nous vous écrivons avec une grande inquiétude au sujet de la proposition de conférence du Forum Asie-Pacifique des institutions nationales des droits de humains de 26 pays, qui devrait être accueillie par la National Human Rights Commission of India (NHRCI) à New Delhi les 20 et 21 septembre 2023. Nous sommes alarmés par le fait que la NHRCI ait été choisie comme hôte de cette prestigieuse conférence, étant donné sa position décevante concernant les graves violations des droits humains dans le pays dans un passé récent. Comme vous le savez sans doute, en mars 2023, le sous-comité d’accréditation (SCA) de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) a reporté d’un an la demande de ré-accréditation de la NHRCI, soulevant des inquiétudes quant à son fonctionnement, sa procédure de nomination, son manque de pluralisme, d’indépendance, de transparence et d’engagement à lutter contre les violations des droits humains. Il est donc troublant que la NHRCI se voie offrir une plateforme pour accueillir les institutions nationales des droits humains de 26 pays de la région Asie-Pacifique, ce qui équivaut à une approbation de ses performances médiocres en matière de protection et de promotion des droits humains.

Le SCA avait également reporté le renouvellement de l’accréditation de la NHRCI en 2016 pour une période d’un an et ne lui avait accordé le statut « A » qu’en 2017, après avoir obtenu l’assurance que ses recommandations seraient sérieusement prises en compte et reflétées dans la composition et les fonctions de la Commission. Cependant, dans les années qui ont suivi 2017, le rôle de la NHRCI a constamment régressé — un fait de nouveau rappelé par le SCA en 2023. Avant l’examen de l’accréditation du NHRCI par le SCA, sept organisations internationales de défense des droits humains avaient écrit au président de la GANHRI pour lui faire part de leurs préoccupations concernant l’inefficacité de la NHRCI et du fait qu’elle ne respecte pas les Principes des Nations Unies relatifs au statut des institutions nationales (les Principes de Paris).

Le 4 juillet 2023, la Cour suprême de l’Inde a demandé une réponse au gouvernement d’Union à la suite d’une pétition faisant état de trois postes vacants au sein de la NHRCI, à savoir deux membres judiciaires et une femme. Ces postes sont vacants depuis le 11 septembre 2021, le 4 avril 2022 et le 4 janvier 2023 respectivement, ce qui affecte gravement la capacité de la Commission à s’occuper efficacement des questions relatives aux droits humains dans le pays. Conformément aux modifications apportées en 2019 à la loi sur la protection des droits humains (PHRA), les membres de la NHRCI doivent inclure un président qui est un ancien juge en chef de l’Inde ou un juge de la Cour suprême, un membre qui est un juge actuel ou ancien de la Cour suprême, un membre qui est un juge en chef actuel ou ancien d’une haute cour, et trois membres, dont au moins une femme, nommés parmi les personnes ayant des connaissances ou une expérience pratique dans le domaine des droits humains.

Cependant, en mars 2023, le SCA, tout en reportant la ré-accréditation de la NHRCI, a noté que les amendements de 2019 n’étaient pas suffisants pour répondre « aux exigences de pluralisme des Principes de Paris ». Le SCA a recommandé que les postes vacants de la NHRCI soient pourvus sans plus attendre et de manière à refléter le « pluralisme » et à représenter les minorités religieuses et ethniques de l’Inde.

Le SCA a également critiqué le processus de nomination prévu par l’amendement de la PHRA, notant que le comité de sélection ne permet pas un engagement approprié avec la société civile, et a réitéré l’importance de la « formalisation d’un processus de sélection et de nomination clair, transparent et participatif ». Actuellement, les membres de la NHRCI sont nommés par le président sur recommandation d’un comité composé du Premier ministre, du président du Lok Sabha (Chambre du peuple), du ministre de l’Intérieur, du chef de l’opposition au Lok Sabha, du chef de l’opposition au Rajya Sabha (Conseil des États) et du vice-président du Rajya Sabha. Cela a conduit à la nomination de membres sympathisants du parti au pouvoir et partageant leurs sentiments politiques. Ce processus de nomination est également peu conforme à la recommandation du SCA de veiller à ce que la NHRCI soit en mesure de « fonctionner indépendamment de toute ingérence gouvernementale ».

Outre la composition, la procédure de nomination, le pluralisme et la représentation non partisane de la NHRCI, qui sont loin d’être satisfaisants, son silence total sur les graves questions de violations des droits humains dans le pays, y compris, mais sans s’y limiter, les attaques subies par les minorités religieuses et de caste, les expulsions forcées et les démolitions entreprises en toute impunité, la persécution constante des défenseur⸱ses des droits humains, la diabolisation des journalistes critiques par les autorités indiennes et les médias proches du gouvernement, la répression de la dissidence, de la liberté d’expression et de réunion pacifique, ainsi que les détentions arbitraires, les restrictions de voyage et le silence auxquels sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains, les militants et les civils au Cachemire, sont profondément décevants. Au cours des derniers mois, l’État du Manipur, dans le nord-est du pays, a été le théâtre de violences communautaires dévastatrices et d’attaques contre la tribu minoritaire Kuki. L’absence d’intervention de la NHRCI, même face à des allégations graves et inquiétantes de violences sexuelles et sexistes à l’encontre des femmes de ces tribus, contribue à l’impunité avec laquelle la communauté hindoue dominante des Meitei commet des violations rampantes des droits humains au Manipur. Après que la Cour suprême de l’Inde a pris connaissance, de sa propre initiative, de la question, la NHRCI a envoyé à contrecœur un avis demandant une réponse du gouvernement du Manipur le 24 juillet 2023 lorsqu’une vidéo de deux femmes Kuki exhibées nues devant une foule d’hommes Meitei hindous a fait surface deux mois et demi après le début des violences au Manipur, provoquant l’indignation du public.

Compte tenu de ces préoccupations concernant le fonctionnement de la principale commission indienne des droits humains, nous sommes surpris d’apprendre qu’elle a été choisie pour accueillir la prestigieuse conférence Asie-Pacifique. Si l’Inde joue un rôle géopolitique important dans la région Asie-Pacifique, en particulier en Asie du Sud, il est également essentiel que les NHRC de la région la tiennent pour responsable de son manque d’action face aux violations des droits humains et des libertés essentielles, plutôt que de lui donner l’occasion de blanchir son mépris et son non-respect des normes internationales en matière de droits humains.

Nous vous demandons instamment de reconsidérer votre décision de choisir la NHRCI comme hôte de la conférence et nous l’appelons également à adhérer aux recommandations faites par le SCA et la société civile indienne dans son ensemble afin de remplir son mandat de protection et de soutien des droits humains dans le pays.

Signé :

Amnesty International

CIVICUS : World Alliance for Citizen Participation (Alliance mondiale pour la participation citoyenne)

Front Line Defenders

Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH)

International Service for Human Rights (ISHR)

Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)