Back to top
15 Mars 2022

Colombie : L’absence de protection, les menaces et les assassinats de défenseur⸱ses des droits humains se poursuivent impunément dans le Magdalena Medio

Download the PDF statement.

Front Line Defenders est profondément préoccupée par l’incapacité de protéger les défenseur⸱ses des droits humains dans la sous-région du Magdalena Medio et l’incapacité à enquêter et à traduire en justice les responsables de menaces et d’homicides. L’absence de mesures de protection pour celles et ceux qui défendent l’autonomie de leurs communautés, l’environnement et la paix dans leur territoire a donné lieu à des situations telles que les assassinats récents des dirigeants communautaires et défenseurs des droits humains Teófilo Acuña et Jorge Alberto Tafur.

La sous-région de Magdalena Medio est formée par une vallée et le bassin du Rio Magdalena, qui traverse les départements de Santander, Antioquia, Bolivar et César dans la partie centrale de la Colombie. L’emplacement stratégique du fleuve Magdalena ainsi que sa diversité de ressources naturelles et minérales ont fait du territoire un lieu d’un grand intérêt économique et de contrôle géopolitique au fil des ans. Depuis plus de huit décennies, les activités extractives sont promues dans la région par le gouvernement national sans tenir suffisamment compte de l’impact socio-environnemental. Selon les défenseur·ses des droits humains, ces activités sont menées sans consultation préalable avec les communautés qui habitent et défendent leurs territoires, où un grand pourcentage de la population a toujours travaillé dans l’agriculture, l’élevage et la pêche.

Les industries et processus liés à l’extraction dans le Magdalena Medio se développent dans un contexte de problèmes structurels, notamment le manque d’accès aux services de base et la violence systématique à travers les menaces, les assassinats, les massacres et les disparitions forcées. La violence systémique est souvent due à la dynamique des combats entre les groupes paramilitaires, les forces de sécurité et d’autres acteurs armés, qui provoquent un déplacement généralisé vers différentes parties du pays1. La complexité de ce contexte et les luttes pour le contrôle territorial rendent la protection des défenseur⸱ses des droits humains et de l’environnement dans la région encore plus urgente et préoccupante.  

La plupart des défenseur·ses des droits humains en danger dans le Magdalena Medio défendent leurs terres, leurs communautés, leurs territoires et protègent l’environnement. Les individus et les communautés qui s’organisent pour revendiquer leur droit à une consultation libre et éclairée font face à de graves représailles lorsqu’ils essayent de mettre fin aux impacts négatifs de l’exploitation de leur environnement et du tissu social de leur territoire.

L’exemple le plus récent est la lutte de résistance des différents secteurs du Magdalena Medio contre l’utilisation de la technique de fracturation hydraulique pour extraire le gaz et le pétrole du sous-sol. La fracturation est encouragée par le gouvernement du président Iván Duque, malgré les graves préoccupations des communautés locales concernant l’impact environnemental qu’elle implique. Depuis 2019, la défenseuse des droits humains Linda Oneida Suárez Sánchez est constamment menacée et intimidée en représailles à la revendication de ses droits et aux tentatives pour mettre fin à l’impact négatif de la fracturation hydraulique dans la région.

Linda Oneida Suárez Sánchez est enseignante, militante et défenseuse des droits humains et de l’environnement. Elle a fondé un mouvement social de résistance contre les mines et l’industrie de l’extraction dans le département. Linda Oneida Suárez Sánchez fait également partie de la coordination de l’alliance Colombia Free of Fracking (Colombie sans fracturation) au niveau national, où elle accompagne les communautés opposées aux projets de fracturation et documente les violations contre les défenseur⸱ses des droits humains.

Le 15 février 2022, Linda Oneida Suárez Sánchez a reçu un SMS l’avertissant de se taire ou elle serait tuée. Les menaces ont déjà été signalées au département de police de Santander, mais jusqu’à présent la défenseuse environnementale n’a pas été informée des progrès ou des mesures de protection qui lui ont été accordées. Les menaces ont été proférées dans le contexte de manifestations et de participation citoyenne à un processus d’accord de licence pour un projet de fracturation dans la région où vit la défenseuse de l’environnement.

Les menaces proférées contre Linda Oneida Suárez Sánchez ne sont pas un cas isolé. Dans la nuit du 27 février 2022, des inconnus armés qui circulaient à moto ont tiré sur le défenseur des droits humains et président de la Corporación Acción Humanitaria para la Convivencia y la Paz del Nordeste Antioqueño (CAHUCOPANA) Carlos Arturo Morales Mallorga. Le défenseur a été attaqué alors qu’il était accompagné de sa femme et de son jeune fils dans la ville de Barrancabermeja, dans le département de Santander. Heureusement, le défenseur des droits humains et sa partenaire sont en sécurité après avoir été hospitalisés pour les blessures occasionnées pendant l’attaque. Le 28 février 2022, Carlos Arturo Morales Mallorga a porté plainte auprès du parquet général, mais jusqu’à présent rien ne prouve que l’incident fasse l’objet d’une enquête sérieuse. Le défenseur des droits humains et d’autres membres de CAHUCOPANA bénéficient des mesures de précaution de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) depuis 2018 ainsi que des mesures de l’Unité nationale de protection (UNP).

Les défenseur⸱ses des droits humains dans la région dénoncent les situations de risque auxquelles ils font face et demandent une réponse appropriée aux autorités. Les défenseurs Teófilo Acuña et Jorge Alberto Tafur étaient reconnus comme défenseurs du droit à la terre et des droits des communautés paysannes sur leur territoire. Ils avaient dénoncé publiquement le harcèlement, la persécution et les menaces dont les communautés paysannes de la municipalité de San Martin ont fait l’objet de la part du maire et de la police. Teófilo Acuña et Jorge Alberto Tafur avaient dénoncé les menaces dont ils faisaient l’objet avant d’être abattus le 22 février 2022 par des inconnus devant leurs familles à Puerto Oculto.

Par le passé, Front Line Defenders a fait part de sa vive préoccupation concernant la gravité du contexte dans lequel les défenseur⸱ses des droits humains exercent leur travail, et a signalé les risques accrus dans différentes régions de Colombie, en particulier contre celles et ceux qui promeuvent les droits des peuples autochtones, l’environnement et la mise en œuvre intégrale de l’accord de paix. Front Line Defenders rappelle que les assassinats systématiques de défenseur⸱ses des droits humains dans le pays ont un impact négatif au niveau national qui affecte profondément le tissu social, la démocratie et les libertés des communautés en Colombie. Rien qu’en 2021, le Mémorial des défenseur⸱ses des droits humains (Mémorial des DDH) a vérifié, aux côtés d’organisations partenaires dans le pays, au moins 138 homicides de défenseur⸱ses à cause de leur travail, ce qui fait de la Colombie le pays le plus meurtrier au monde pour les défenseur⸱ses des droits humains.

Front Line Defenders appelle les autorités colombiennes à faire cesser et à condamner les attaques contre celles et ceux qui exercent un travail légitime en faveur des droits humains et contre celles et ceux qui défendent le droit à la consultation et au territoire. En outre, nous rappelons que le mécanisme national de protection (Unidad Nacional de Protección), qui est un protagoniste dans la région, a la responsabilité de faire le maximum d’efforts pour répondre à la gravité de la situation dans le pays, en coordonnant son travail avec d’autres organismes publics chargés de traiter les différentes questions liées aux conflits dans le pays.

Enfin, Front Line Defenders réitère l’importance d’enquêter sur toutes les attaques et menaces signalées par les défenseur⸱ses des droits humains, ainsi que d’ouvrir des enquêtes rapides sur les homicides de défenseur⸱ses des droits humains, afin de briser le cycle de l’impunité et de la violence qui affligent le pays.