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10 Juillet 2023

Appel mondial contre la recrudescence de la répression des avocats en droits humains en Chine

La « répression 2.0 des 709’

Appel mondial contre la nouvelle répression des avocats en droits humains en Chine

Aujourd'hui, nous célébrons la Journée des avocats spécialisés en droits humains en Chine, en souvenir de la rafle par le gouvernement chinois de plus de 300 avocats et assistants juridiques dans les jours qui ont suivi le 9 juillet 2015, dans le cadre de ce qui est connu sous le nom de « 709 crackdown » (répression des 709). Les experts de l'ONU sont consternés par le fait que « la profession d'avocat spécialisé en droits humains » est criminalisée en Chine ».

Les avocats en droits humains sont la pierre angulaire du mouvement des droits humains en Chine. Qu'il s'agisse des Ouïghours, des Tibétains, des Hongkongais, des minorités religieuses, des LGBTQI, des féministes, des journalistes ou des dissidents politiques, les avocats en droits humains défendent l'ensemble de la société civile. Ils accompagnent et renforcent les capacités des plus vulnérables contre les expulsions de terres, les discriminations, les scandales sanitaires ou les détentions extrajudiciaires. Ils incarnent la promesse de l'État de droit et obligent le gouvernement à rendre compte des engagements qu'il a pris en vertu de la constitution, des lois et des traités internationaux sur les droits humains ratifiés par la Chine. Ils veillent à ce que personne ne soit laissé pour compte.

Aujourd'hui, nous demandons à la communauté internationale d'accorder une attention urgente à la nouvelle vague de répression que le gouvernement chinois mène à l'encontre des avocats en droits humains, qui se déroule depuis trois mois.

Le 10 avril, Ding Jiaxi et Xu Zhiyong ont été condamnés respectivement à 12 et 14 ans de prison et à 3 et 4 ans de privation de leurs droits politiques pour « subversion du pouvoir de l'État », ce qui a suscité les vives inquiétudes du Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme. Tous deux ont participé à une réunion privée dans la ville côtière de Xiamen en décembre 2019 pour discuter de l'avenir de la société civile en Chine. La compagne de Xu, la militante féministe Li Qiaochu, a récemment été jugée à huis clos pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État », et son avocat n'a pas été autorisé à interroger les témoins ou à examiner les preuves. Li s'est également vu refuser l'accès à des soins de santé adéquats malgré de graves problèmes de santé mentale en détention.

Le 8 juin, un autre participant au rassemblement de Xiamen, l'avocat Chang Weiping, a été condamné à trois ans et demi de prison pour les mêmes accusations. Les trois avocats avaient déjà été victimes d'une disparition forcée dans le cadre de leur placement en « résidence surveillée dans un lieu désigné » (RSLD), une procédure pénale systématiquement utilisée contre les avocats et les défenseur·ses, qui équivaut à une disparition forcée et à de la torture selon les experts de l'ONU.

Le 14 avril, l'avocat Yu Wensheng et son épouse Xu Yan ont été arrêtés alors qu'ils se rendaient à une réunion à la délégation de l'Union européenne à Pékin. Tous deux ont depuis été officiellement arrêtés, Yu pour « avoir provoqué des querelles et des troubles » et Xu pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». M. Yu a quitté la prison en mars 2022 après avoir purgé une première peine de quatre ans pour des raisons de sécurité nationale, ce qui a suscité des inquiétudes quant à l'aggravation de sa peine. Il est lauréat du prix Martin Ennals 2021 pour les défenseur⸱ses des droits humains et du prix franco-allemand 2019 pour les droits humains et l'État de droit.

Nous condamnons fermement l'utilisation abusive de la sécurité nationale par le gouvernement chinois, en droit et en pratique, pour cibler les avocats et les militants des droits humains, comme l'ont démontré les experts de l'ONU. Les autorités utilisent systématiquement les crimes contre la sécurité nationale prévus par le droit pénal chinois, en particulier la « subversion du pouvoir de l'État » ou l'« incitation à la subversion » (article 105), qui sont passibles de lourdes peines d'emprisonnement. Selon les experts des droits de l'homme de l’ONU, le code de procédure pénale chinois, dont les articles 39 et 85, “prévoit des exemptions et des restrictions explicites aux [dispositions légales garantissant une procédure régulière] pour les crimes relevant de la sécurité nationale, tels que la notification de l'arrestation aux membres de la famille dans les 24 heures ou l'accès à un avocat dans les 48 heures” ». Les experts des Nations unies ont appelé la Chine à abroger l'article 105 du Code pénal et les dispositions légales autorisant la RSDL. En 2015, le Comité des Nations unies contre la torture a demandé à la Chine d'abroger les restrictions relatives au droit à l'assistance d'un avocat et à la notification à la famille dans les affaires liées à la sécurité nationale.

Nous sommes également préoccupés par le fait que les autorités de Hong Kong suivent une voie similaire depuis l'imposition de la loi sur la sécurité nationale. Les éminents avocats, Chow Hang-tung, Albert Ho et Margaret Ng, attendent actuellement d'être jugés pour une série d'infractions liées à la sécurité nationale, en raison de leurs actions en faveur des droits humains. Des experts des Nations unies ont récemment appelé à la libération de Chow Hang-tung.

Nous restons profondément préoccupés par le fait que le gouvernement chinois a de plus en plus recours aux interdictions de sortie du territoire pour empêcher les avocats et les militants des droits humains de quitter le pays, parfois pour rendre visite à un parent gravement malade. Le 9 juin, l'avocat Li Heping et sa famille ont été interceptés par la police aux frontières à l'aéroport international de Chengdu. Comme dans le cas du militant Guo Feixiong et d'autres cas survenus ces dernières années, les autorités ont considéré que le voyage prévu par Li et sa famille mettait « en danger la sécurité nationale ». En mai 2021, les autorités ont empêché l’avocat Tang Jitian de rendre visite à sa fille placée sous assistance respiratoire à Tokyo. Il a été libéré en janvier 2023 après avoir disparu de force pendant 398 jours alors qu’il tentait d'observer la Journée des droits humains organisée à la délégation de l'Union européenne à Pékin en 2021.

Nous sommes alarmés par le harcèlement sévère dont sont victimes les avocats en droits humains et leurs proches, y compris les enfants, lorsqu’ils sont libérés. Li Heping et trois autres avocats ont signalé que des agents de la sécurité de l'État ou des personnes non identifiées agissant en leur nom intimident et menacent régulièrement les membres de leur famille, y compris les parents âgés, et empêchent leurs enfants d'accéder à l'éducation. Au cours des deux derniers mois, l'avocat Wang Quanzhang et sa famille ont été contraints de déménager 13 fois à Pékin. La famille subit également un harcèlement constant et des menaces à sa porte, et elle est la cible de coupures d'électricité et de gaz. Des individus non identifiés qui bloquaient sa porte ont empêché à plusieurs reprises l'avocat Bao Longjun à quitter son domicile. L'avocat Zhou Shifeng, arrêté dans le cadre de la « 709 crackdown » en 2015 et libéré après avoir purgé sa peine de sept ans de prison en novembre 2022, a indiqué avoir quitté Pékin en mai en raison de la pression et de la surveillance croissantes exercées par les autorités de l'État.

Nous demandons également qu'une plus grande attention soit accordée à la radiation par le gouvernement chinois des avocats spécialisés dans la défense des droits humains. Au moins 30 avocats en droits humains ont vu leur licence suspendue ou révoquée par les autorités depuis 2017. Depuis 2016, des mesures administratives criminalisent les avocats qui « utilisent Internet ou les médias pour exprimer leur mécontentement à l'égard du Parti ou du gouvernement », qui « se joignent à des sit-in, tiennent des banderoles, scandent des slogans, expriment leur solidarité » ou toute autre action dans l'exercice de leurs droits à la liberté d'expression et au rassemblement pacifique. Des règles similaires renforcent le contrôle idéologique des cabinets d'avocats, et au moins trois ont été sanctionnés au cours de la même période.

Les avocats en droits humains en détention provisoire et en prison sont constamment soumis à des tortures physiques et psychologiques et à des mauvais traitements. Ils sont régulièrement privés de contact avec leurs proches et d'accès aux soins médicaux, malgré des problèmes de santé critiques. Le gouvernement empêche les avocats nommés par les familles d’accéder aux tribunaux et de représenter des victimes en imposant des avocats de son choix dont les identités ne sont pas révélées ou qui refusent de communiquer avec les familles. Les avocats détenus sont souvent condamnés au termes de simulacres de procès à huis clos, sans que les familles ne soient informées ni que les verdicts des tribunaux ne soient divulgués pendant de longues périodes.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a déterminé que la Chine a un « problème systémique de détention arbitraire qui constitue une violation grave du droit international ».

Au fil des ans, l'attention soutenue de la communauté internationale a contribué à la libération et à l'amélioration des conditions de détention, et a apporté aux avocats et aux proches un soutien moral vital.

Face à cette nouvelle vague de répression, connue sous le nom de « 709 crackdown 2.0 », nous appelons la communauté internationale à demander au gouvernement chinois de :

  • Mettre fin à la répression contre les avocats et les défenseur·ses des droits humains ;
  • Libérer immédiatement et sans condition tous ceux détenus arbitrairement ;
  • Modifier les lois et règlements, y compris la législation sur la sécurité nationale, son droit pénal et son Code de procédure pénale, afin de les rendre pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits humains, et coopérer de manière significative avec les organes des Nations unies chargés des droits humains à cette fin.

Signataires :

Organisations de défense des droits humains :

American Association of the International Commission of Jurists

ARTICLE 19

Beijing Yirenping Center

Campaign for Uyghurs

China Aid Association

Chinese Democracy & Human Rights Alliance (CDHRA)

Chinese Human Rights Defenders

Committee to Support Chinese Lawyers

CSW (Christian Solidarity Worldwide)

Front Line Defenders

Global Centre for the Responsibility to Protect

Hong Kong Democracy Council

Hong Kong Watch

Humanitarian China

Human Rights in China

Human Rights Now

Human Rights Watch

International Campaign for Tibet

International Observatory for Lawyers in Danger (OIAD)

International Service for Human Rights (ISHR)

International Tibet Network

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains

Lawyers for Lawyers (L4L)

Lawyers’ Rights Watch Canada

Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies

Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseur⸱ses des droits humains

PEN America

Solidarity China France

The Rights Practice

The 29 Principles

Tibet Justice Center

Tibetan Centre for Human Rights and Democracy

Uyghur Human Rights Project

Women’s Rights in China

World Federalist Movement/ Institute for Global Policy

World Uyghur Congress

 

Barreaux :

Amsterdam Bar Association

Barreau de Genève

Council of Bars and Law Societies of Europe (CCBE)

Warsaw Bar Association

 

Universitaires :

Donald Clarke, George Washington University Law School

Edward Friedman, University of Wisconsin

Eva Pils, King's College London

Jean-Philippe Béja, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Jerome Cohen, New York University School of Law

Marie Holzman, Université Paris VII

Martin S. Flaherty, Leitner Center for International Law and Justice

Michael C. Davis, Wilson Center

Rana Siu Inboden, University of Texas at Austin

Terence Halliday, American Bar Foundation & Australian National University

Tomoaki Ishii, Meiji University

Tomoko Ako (阿古智子), University of Tokyo

Zhang Yutong

 

Défenseur⸱ses des droits humains chinois⸱es :

Anna Ruiqin Wang

Li Dabin

Liu Sifang

Lu Miaoqing

Luo Shengchun Sophie, wife of Ding Jiaxi

Shi Minglei, wife of Cheng Yuan

Wang Yonghong

Wu Shaoping

Xiang Li

Zhang Miao

– //–

Annexe : Affaires individuelles

Ding Jiaxi (丁家喜)

Ding Jiaxi est un avocat radié du barreau devenu activiste à Pékin. Né en 1967, Ding Jiaxi a commencé à militer en 2010 en soutenant l'égalité du droit à l'éducation pour les travailleurs migrants. Il a également offert une assistance juridique et de la nourriture aux « pétitionnaires » à Pékin.

Ding avait déjà purgé une peine de trois ans et demi de prison en 2014, pour sa participation au « Mouvement des nouveaux citoyens », un réseau informel de militants dirigé par le juriste Xu Zhiyong (voir ci-dessous) pour la promotion de la justice sociale et des réformes politiques et juridiques. Ding a été suspecté d’avoir participé à une campagne contre la corruption appelant à ce que les dignitaires chinois révèlent leurs avoirs financiers

Ding a été arrêté sans mandat le 26 décembre 2019 et a fait l'objet d'une disparition forcée dans le cadre d’une « RSLD », après avoir participé à une réunion privée avec d’autres activistes à Xiamen pour discuter de l'avenir de la société civile en Chine. Le 10 avril 2023, Ding a été condamné à 12 ans d'emprisonnement et à 3 ans de privation de ses droits politiques, à l'issue d'un procès secret qui s’est déroulé en juin 2022 pour « subversion du pouvoir de l'État ». Les procès verbaux contre Ding Jiaxi et Xu Zhiyong les accusent d'avoir formé le « Mouvement des citoyens », d'avoir créé un groupe de discussion sur Telegram et d'avoir organisé la réunion de Xiamen en décembre 2019. Sa demande et celle de son épouse d'exclure les preuves obtenues par la torture ont été rejetées.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a émis l'avis 30/2021, estimant que la détention de M. Ding était arbitraire au regard du droit international, et a demandé sa libération immédiate.

Xu Zhiyong (许志永) et Li Qiaochu (李翘楚)

Xu Zhiyong est un éminent professeur de droit et militant des droits humains à Pékin. Né en 1973, Xu a fondé l'« Open Constitution Initiative » (Gongmeng, 公盟), un mouvement prodémocratie qui a ensuite donné naissance au « New Citizens Movement » (Mouvement des nouveaux citoyens), un groupe informel d'activistes prônant des réformes démocratiques et l'État de droit, le constitutionnalisme, les droits humains et la justice sociale. Depuis 2003, Xu promeut la non-violence, défend des personnes injustement condamnées à mort, rédige des projets de réformes juridiques et fournit des conseils juridiques et d'autres formes d'assistance aux pétitionnaires sans-abri.

Xu a été arrêté le 24 février 2020 et a fait l'objet d'une disparition forcée dans le cadre d’une « RSLD », après avoir participé à une réunion privée avec d’autres activistes à Xiamen pour discuter de l'avenir de la société civile en Chine. Le 10 avril 2023, Xu a été condamné à 14 ans d'emprisonnement, à l'issue d'un procès secret qui s’est déroulé en juin 2022 pour « subversion du pouvoir de l'État ». Les procès verbaux contre Ding Jiaxi et Xu Zhiyong les accusent d'avoir formé le « Mouvement des citoyens », d'avoir créé un groupe de discussion sur Telegram et d'avoir organisé la réunion de Xiamen en décembre 2019. Les avocats de Xu se sont vu refuser des visites pour des raisons de sécurité nationale.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a émis l'avis 82/2020, estimant que la détention de Xu était arbitraire au regard du droit international, et a demandé sa libération immédiate.

La compagne de Xu, Li Qiaochu, milite pour les droits des femmes et des travailleurs migrants à Pékin. Li a été enlevée au domicile de Xu à Pékin quelques heures après l’arrestation de Xu le 16 février 2020, et a disparu de force dans le cadre d’une « RSLD ». L'affaire de Li serait liée à ses activités dans le domaine des droits humains et à ses liens avec son partenaire.

Le 20 juin 2023, un procès secret a eu lieu, pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». Lors de ce procès seul, l'un de ses deux avocats a été autorisé à entrer dans la salle d'audience, mais ses demandes pour accéder aux preuves et interroger les témoins ont été rejetées. Aucun verdict n'a encore été rendu public. Li Qiaochu souffre d'une grave dépression et d'hallucinations auditives quotidiennes, dont l'état se détériore constamment, sans accès à des soins médicaux adéquats. Les 10 demandes de libération sous caution déposées par sa mère pour raison médicale ont toutes été rejetées.

Les experts des Nations unies en matière de droits humains ont écrit au gouvernement chinois sur le cas de Li Qiaochu en avril 2021 et en février 2022.

Chang Weiping (常玮平)

Chang Weiping est un avocat spécialisé dans les droits humains qui défend les droits d'un large éventail de groupes marginalisés, notamment les femmes, les personnes LGBTQ, les personnes atteintes du VIH/SIDA et de l'hépatite B qui sont confrontées à la discrimination sur le lieu de travail, les victimes de démolitions forcées, les victimes de vaccins défectueux et les personnes réprimées pour leur appartenance au mouvement Falun Gong.

Chang a disparu de force pendant 10 jours en janvier 2020, après avoir participé à une réunion privée avec d’autres activistes à Xiamen pour discuter de l'avenir de la société civile en Chine. En octobre 2020, il a publié une vidéo décrivant les tortures infligées par des agents de l'État lors de sa disparition, notamment le fait d'être assis en permanence dans des positions en tension sur une « chaise tigre » lui provoquant de fortes douleurs, ainsi que la privation de nourriture et de sommeil suivie d'un interrogatoire alors qu’il se trouvait dans un état d'épuisement extrême.

Peu après la diffusion de la vidéo, il a de nouveau été victime d'une disparition forcée dans le cadre d’une « RSDL » le 22 octobre 2020. Un mois plus tard, il a été autorisé à parler à son père pendant 10 minutes, durant lesquelles il semblait réciter lentement uniquement ce que les autorités en charge de la RSLD lui avaient ordonné de dire, demandant à son père de ne pas parler en son nom. Il s’agit de sa dernière interaction avec le monde extérieur depuis près d'un an.

Le 8 juin 2023, Chang a été condamné à trois ans et demi d'emprisonnement au terme d'un procès secret qui s’est déroulé en juillet 2022 pour « subversion du pouvoir de l'État ».

Les experts des droits humains de l’ONU ont appelé à la libération de Chang dans une déclaration publique en décembre 2020, et ont soulevé son cas dans des lettres adressées au gouvernement chinois en décembre 2020, avril 2021, février 2022 et septembre 2022.

Yu Wensheng (余文生) et Xu Yan (许艳)

Yu Wensheng est un éminent avocat en droits humains basé à Pékin ; il a représenté un grand nombre de victimes de restrictions des libertés civiles, de « pétitionnaires », de militants et d'autres avocats en droits humains, dont Wang Quanzhang (voir ci-dessous). Né en 1967, Yu plaide également pour le changement dans de nombreux domaines de la société chinoise, en poursuivant le gouvernement pour pollution atmosphérique en 2016, et en exprimant son soutien au mouvement Occupy Central de Hong Kong.

Yu a été arrêté pour la première fois par la police en janvier 2018, après avoir publié une lettre ouverte appelant à une réforme constitutionnelle et à la supervision du Parti communiste chinois. Les jours précédents, il avait été radié du barreau, s'était vu refuser l'autorisation de créer un cabinet d'avocats et avait été interdit de voyager à l'étranger pour des raisons de sécurité nationale. En juillet 2017, le cabinet d'avocats Daoheng avait licencié Yu sous la pression des autorités, après qu'il a rendu visite à son client, l'avocat détenu Wang Quanzhang (voir ci-dessous).

Yu a été victime de disparition forcée dans le cadre d’une RSLD et a été autorisé à voir son avocat pour la première fois en août 2020. Son épouse, Xu Yan, qui n'a jamais cessé de plaider publiquement pour la libération de son mari, a été informée en juin 2020 que Yu avait été condamné à quatre ans d'emprisonnement pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État », à l'issue d'un procès secret qui s'est tenu en mai 2019. Yu est lauréat du prix Martin Ennals 2021 pour les défenseur⸱ses des droits humains et du prix franco-allemand 2019 pour les droits humains et l'État de droit.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a émis l'avis 15/2019, estimant que la détention de Yu était arbitraire au regard du droit international, et a demandé sa libération immédiate. Yu a quitté la prison à la fin de sa peine, le 1er mars 2022.

Le 13 avril 2023, la police a arrêté Yu Wensheng et Xu Yan dans le métro alors qu'ils se rendaient à une réunion avec de hauts responsables de l’UE à la délégation de l'Union européenne à Pékin. La détention de Yu pourrait aussi être liée à des tweets dans lesquels il condamnait le verdict prononcé contre Xu Zhiyong et Ding Jiaxi trois jours plus tôt. Tous deux ont depuis été officiellement arrêtés, Yu pour avoir « provoqué une querelle et des troubles » et Xu pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». La police a aussi surveillé et agressé le fils du couple âgé de 18 ans.

Li Heping (李和平) et sa famille

Né en 1971, Li Heping est un avocat renommé spécialisé dans les droits humains ; il a représenté des militants, des écrivains dissidents, des agriculteurs dont les biens avaient été expropriés, d'autres avocats en droits humains, des membres d'églises clandestines et des adeptes du Falun Gong. En 2008 il a reçu le prix des droits de l'homme du Conseil des barreaux européens.

Li et ses assistants juridiques ont été arrêtés et ont disparu de force lors de la répression des 709 en juillet 2015. Au moment de leur arrestation, ils travaillaient sur un projet visant à promouvoir la Convention internationale contre la torture, que la Chine a ratifiée en 1988.

Le 28 avril 2017, Li Heping a été condamné à trois ans de prison et un sursis de quatre ans pour « subversion du pouvoir de l'État », à l'issue d'un procès secret qui a eu lieu trois jours auparavant. Il est rentré chez lui le 9 mai 2017 et a déclaré avoir été enchaîné pendant des semaines et contraint de prendre des médicaments pendant sa détention. Après sa libération sa famille est restée sous surveillance. Le 6 juin 2018, Li a été radié du barreau par les autorités judiciaires de Pékin.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois à propos du cas de Li Heping en mars et en avril 2017.

Le 9 juin, Li et sa famille ont été interceptés par la police aux frontières à l'aéroport international de Chengdu, leur voyage à l'étranger étant considéré comme « dangereux pour la sécurité nationale ».

Wang Quanzhang (王全璋), Li Wenzu (李文足) et leur famille

Né en 1976, Wang Quanzhang est la personne qui a été le plus longtemps maintenue en détention provisoire à la suite de la répression des 709 de juillet 2015. Wang représente un large éventail de victimes, notamment des adeptes du Falun Gong, des membres du Mouvement des nouveaux citoyens, la militante du droit au logement Ni Yulan et le journaliste Qi Chonghuai. Il a également écrit de nombreux articles sur la profession juridique et les droits humains. Depuis 2008, il est constamment harcelé et subit des représailles à cause de son travail.

Wang a été victime d'une disparition forcée dans le cadre d'une RSLD. En août 2016, des fonctionnaires ont indiqué à Yu Wensheng (voir ci-dessus), l'avocat désigné par la famille de Wang, que ce dernier avait remis à la police une lettre dans laquelle il affirmait ne pas vouloir engager d'avocat et vouloir congédier l’avocat désigné par sa famille, mais les fonctionnaires ont refusé de divulguer ce document. Il est probable que Wang ait été contraint de signer une telle lettre dans le cadre de sa RSLD. Wang a d’abord été autorisé à recevoir la visite d'un autre avocat en juillet 2018.

Le 28 janvier 2019, Wang a été condamné à quatre ans et demi de prison et à cinq ans de privation de ses droits politiques pour « subversion du pouvoir de l'État », à la suite d'un procès secret en décembre 2018 pendant lequel son épouse, Li Wenzu, a été assignée à résidence.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a émis l'avis 62/2018, estimant que la détention de Wang était arbitraire au regard du droit international, et a demandé sa libération immédiate. Wang a quitté la prison à la fin de sa peine, le 5 avril 2020.

Au cours des deux derniers mois, Wang et Li ont indiqué qu'ils avaient été contraints de déménager 13 fois à Pékin en raison de la pression exercée par les autorités. La famille subit également un harcèlement constant et des menaces à sa porte, et elle est la cible de coupures d'électricité et de gaz.

Bao Longjun (包龙军)

Bao Longjun, le mari de l'avocate de renom Wang Yu, a été libéré sous caution en août 2016 suite aux « aveux » télévisés de sa femme le 31 juillet, après avoir été arrêté en janvier 2016 pour « incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». Au cours de la répression des 709 en juillet 2015, Bao Longjun et son fils, Bao Zhuoxuan, ont été arrêtés à l'aéroport de Pékin alors que Bao Zhuoxuan s'apprêtait à prendre un vol pour l'Australie, où il avait l'intention de poursuivre ses études. Le même jour, Wang Yu a été arrêtée chez elle à Pékin et accusée d'« incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». En octobre 2015, la police birmane a arrêté Bao Zhuoxuan au Myanmar et l'a ramené en Chine.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois à propos du cas de Bao Longjun en juillet 2015.

En juin 2023, Bao a déclaré que des individus non identifiés qui bloquaient sa porte l’ont empêché de quitter son domicile à plusieurs reprises, dans le contexte d'une vague de harcèlement plus vaste à l'encontre des avocats libérés de prison.

Zhou Shifeng (周世锋)

Né en 1964, l'avocat Zhou Shifeng a défendu plusieurs affaires très médiatisées, notamment les victimes du scandale du lait en poudre contaminé en 2008, le dissident et écrivain Tie Liu et Zhang Miao, un assistant de presse détenu pour avoir soutenu les manifestations de Hong Kong en 2014. Sous sa direction, le cabinet d'avocats Fengrui à Pékin a employé près d'une centaine d'avocats, dont plusieurs éminents avocats en droits humains détenus lors de la répression des 709 en juillet 2015, tels que Wang Yu et Wang Quanzhang (voir ci-dessus).

Zhou a été arrêté en juillet 2015 et accusé par les médias contrôlés par l'État de diriger un « syndicat du crime » et d’inciter au « désordre social ». Zhou a été condamné à sept ans de prison pour « subversion du pouvoir de l'État » à l'issue d'un court procès le 4 août 2016. D'après le procès-verbal du tribunal, les autorités l'accusent de travailler avec des militants sur des campagnes de sensibilisation autour d'affaires « politiquement sensibles », d'utiliser des fonds provenant d'une ONG étrangère et de se réunir dans un restaurant pour organiser de telles activités.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois à propos du cas de Zhou Shifeng en septembre 2016. Zhou a quitté la prison à la fin de sa peine, le 24 septembre 2022.

Zhou a déclaré avoir quitté Pékin en mai 2023 en raison des pressions et de la surveillance croissantes exercées par les autorités de l'État, dans le contexte d'une vague de harcèlement plus vaste à l'encontre des avocats libérés de prison.

Tang Jitian (唐吉田)

Né en 1969, Tang Jitian est un avocat en droit humain qui a défendu des victimes d'accaparement de terres, des adeptes du mouvement Falun Gong et des groupes vulnérables, notamment des victimes de discriminations liées sur leur contamination au VIH/sida. À cause de ses actions en faveur des droits humains, Tang a été radié du barreau en 2010, détenu et torturé pendant 15 jours en 2014 alors qu'il manifestait devant une « prison noire » où des adeptes du Falun Gong étaient supposés être détenus, et il s'est vu imposer une interdiction de voyager pour des raisons de sécurité nationale alors qu'il tentait de se rendre à Hong Kong pour y recevoir un traitement médical en 2017.

En décembre 2021, Tang Jitian a disparu de force alors qu'il se rendait à une manifestation organisée dans le cadre de la Journée des droits humains à la délégation de l'Union européenne à Pékin, peu avant les Jeux olympiques d'hiver de Pékin 2022. Tang aurait été soumis à des privations de sommeil et à des passages à tabac, comme lors de sa détention en 2014, malgré la détérioration de son état de santé. Ses amis ont déclaré qu'il était « au bord de l'effondrement physique et mental » lorsqu'il a disparu, après qu'on l'a empêché une nouvelle fois de quitter le pays pour des raisons relatives à la sécurité nationale. Tang avait prévu de se rendre au Japon en mai 2021 pour rendre visite à sa fille de 24 ans, plongée dans le coma à la suite de complications dues à la tuberculose.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois sur le cas de Tang Jitian en juillet 2014, février 2022 et décembre 2022.

Il a été libéré en janvier 2023 après avoir disparu de force pendant 398 jours.

Chow Hang-tung (鄒幸彤)

Chow Hang-tung est une éminente avocate de Hong Kong. Née en 1985, Chow Hang-tung a été active dans plusieurs ONG à Hong Kong, notamment en tant que vice-présidente de la Hong Kong Alliance in Support of Patriotic Democratic Movements of China (Hong Kong Alliance), qui organise une veillée annuelle le 4 juin pour commémorer l'anniversaire du mouvement prodémocratique de Tian'anmen en 1989. En 2021, le gouvernement central chinois l'a qualifiée comme une organisation « Contre la chine ».

Le 4 juin 2021, Chow a été arrêtée pour avoir soi-disant organisé un rassemblement non autorisé à l'occasion du 32e anniversaire du mouvement de Tian'anmen. Chow avait déclaré aux médias que les gens devaient commémorer l’événement à leur manière, étant donné que les autorités avaient interdit la veillée pour des raisons liées au Covid-19.

Le 9 septembre 2021, la police de Hong Kong a fermé le musée du massacre de Tian’anmen, géré par la Hong Kong Alliance, et a accusé le président de l'Alliance, Lee Cheuk-yan, ainsi que les vice-présidents Chow Hang-tung et Albert Ho, d’« incitation à la subversion du pouvoir de l'État ». Chow, ainsi que quatre autres membres, ont été inculpés séparément pour « ne pas avoir respecté une injonction stipulant de fournir des informations », suite à la décision de l'Alliance de ne pas coopérer à une demande de la police en vertu de la loi sur la sécurité nationale. Les demandes de libération sous caution ont toutes été rejetées.

Le 13 décembre 2021, Chow a été condamnée à 12 mois de prison pour avoir organisé et participé à la veillée Tian'anmen en 2020 ; le 4 janvier 2022, elle a été condamnée à 15 mois supplémentaires pour avoir participé à la veillée Tian'anmen en 2021.

Le 14 décembre 2022, la Haute Cour de Hong Kong a statué en faveur de l'appel de Chow contre sa condamnation et sa peine de 15 mois. Chow reste toutefois sous le coup d’autres accusations liées à la sécurité nationale.

Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a émis l'avis 30/2023, estimant que la détention de Chow était arbitraire au regard du droit international, et a demandé sa libération immédiate.

Albert Ho (何俊仁)

Albert Ho est avocat à Hong Kong, ancien membre du Conseil législatif et ancien président du Parti démocratique. Il est vice-président de la Hong Kong Alliance in Support of Patriotic Democratic Movements of China (Hong Kong Alliance), qui organise une veillée annuelle le 4 juin pour commémorer l'anniversaire du mouvement prodémocratique de Tian'anmen en 1989. En 2021, le gouvernement central chinois l'a qualifiée comme une organisation « Contre la chine ».

Le 9 septembre 2021, Hong Kong a accusé le président de l'Alliance, Lee Cheuk-yan, ainsi que les vice-présidents Chow Hang-tung et Albert Ho, d’« incitation à la subversion du pouvoir de l'État ».

Le 22 août 2022, Albert Ho a été libéré sous caution par la Haute Cour de Hong Kong pour être soigné d'un cancer du poumon. Il a de nouveau été arrêté le 21 mars 2023, alors qu'il était en liberté sous caution, pour avoir prétendument détourné le cours de la justice.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois à propos du cas de Albert Ho en mai 2020.

Margaret Ng (吳靄儀)

Margaret Ng est avocate à Hong Kong et ancienne membre prodémocratie du Conseil législatif. Le 18 avril 2020, Margaret Ng a fait partie des 15 personnalités arrêtées pour avoir prétendument « organisé et participé à des rassemblements non autorisés » lors des manifestations de masse de 2019 contre le projet de loi sur l'extradition. Le 16 avril 2021, elle a été condamnée à un an de prison et deux ans de sursis.

Le 29 décembre 2021, Margaret Ng et six autres personnes liées au média « Stand News » ont été arrêtées pour avoir prétendument conspiré en vue de publier des ouvrages séditieux en vertu d'une loi datant de l'époque coloniale. Elle a été libérée sous caution et sans charge le lendemain.

Les experts des Nations unies ont écrit au gouvernement chinois à propos du cas de Margaret Ng en mai 2020.