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1 Juin 2023

THAïLANDE/LAOS : IL FAUT ENQUÊTER SUR LE MEURTRE D’UN RÉFUGIÉ LAO ET METTRE FIN À LA RÉPRESSION TRANSNATIONALE DES DÉFENSEUR⸱SES DES DROITS HUMAINS

26 mai 2023

Déclaration Conjointe :

En réponse à l’annonce, le 17 mai 2023, de la mort par balle de Bounsuan Kitiyano, un défenseur des droits humains laotien âgé de 56 ans et reconnu en tant que réfugié par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dans une ville frontalière du nord-est de la Thaïlande, nous, les dix organisations soussignées, demandons instamment au gouvernement thaïlandais de mener une enquête indépendante, efficace et rapide sur cet incident et de garantir que la famille et les proches de la victime puissent engager un recours efficace. Nous appelons également les gouvernements lao et thaïlandais, ainsi que les communautés diplomatiques au Laos et en Thaïlande et les organes des Nations Unies, à s’attaquer aux violations des droits humains auxquelles sont confrontés les défenseur⸱ses des droits humains laotiens qui demandent l’asile en Thaïlande.

L’assassinat de Bounsuan KITIYANO

Le 17 mai 2023, les autorités thaïlandaises ont trouvé le corps de Bounsuan dans le district de Pho Sai de la province d’Ubon Ratchathani, dans le nord-est de la Thaïlande, à la frontière du Laos. Bounsuan, membre de « Free Lao », un réseau de travailleurs migrants et de défenseur⸱ses des droits humains laos basés en Thaïlande, a participé à des activités, y compris des manifestations pacifiques devant l’ambassade du Laos à Bangkok et à des ateliers sur des sujets tels que les droits humains, le droit de l’environnement, la démocratie et la lutte contre la corruption. Selon les médias, il a été abattu de trois balles alors qu’il conduisait une moto. 1 Bien que les organisations soussignées n’aient pas d’information sur les auteurs de cet assassinat, nous avons pu vérifier que le défenseur avait fui la persécution du Laos et vivait en Thaïlande depuis de nombreuses années. Selon les médias, Bounsuan était en train de présenter une demande de réinstallation en Australie. 2

D’autres personnes associées au réseau Free Lao font face à des détentions arbitraires et à de présumées disparitions forcées au Laos ou en Thaïlande.

La répression dans le pays et à l’étranger

Les organisations soussignées constatent des actions ciblées récurrentes à l’encontre des défenseur⸱ses des droits humains affiliés à Free Lao. La fusillade mortelle de Bounsuan a eu lieu seulement un mois après l’arrestation et la détention de Savang Phaleuth, un autre membre de Free Lao qui vit à Bangkok. Le 20 avril 2023, Savang se serait rendu à Done Sart, son village d’origine situé dans le district de Song Khon, province de Savannaket, au Laos, où il a été arrêté par des policiers d’une unité non identifiée3. Il est toujours détenu au secret. Selon les informations obtenues par les signataires, la police n’a pas informé ses proches des accusations portées contre lui, ni autorisé les visites de sa famille.

Le 26 août 2019, l’éminent défenseur des droits humains Od Sayavong a « disparu » de son domicile à Bangkok après que lui et ses collègues de Free Lao, y compris Phetphouthon Philachane, ont rencontré le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains 4. Od Sayavong avait également activement participé à une manifestation à Bangkok le 16 juillet 2019 pour appeler à la libération d’autres membres de Free Lao emprisonnés au Laos et à la protection de l’environnement et du droit à la terre dans le pays5. Dans cette affaire, les autorités thaïlandaises n’ont pas ouvert d’enquête impartiale et efficace sur cette présumée disparition, malgré les nombreux appels de l’ONU et des organisations de la société civile6.

Trois mois plus tard, Phetphouthon, un autre membre de Free Lao qui était également un colocataire de Od Sayavong, a également disparu après avoir quitté Bangkok pour rendre visite à sa famille à Vientiane. 7 On ignore comment il va et où il se trouve.

Avant cela, le 5 mars 2016, trois défenseurs des droits humains membres du même groupe — Somphone Phimmasone, Soukane Chaithad et Lodkham Thammavong — ont été arrêtés et détenus au secret par les autorités laotiennes en raison de leurs critiques en ligne du gouvernement lao et de leur participation à une manifestation pacifique devant l’ambassade du Laos à Bangkok. Le 22 mars 2017, la Cour populaire de Vientiane les a reconnus coupables d’avoir violé l’article 56 (trahison à la nation), l’article 65 (propagande contre l’État) et l’article 72 (rassemblements visant à provoquer des troubles sociaux) du Code pénal du Laos. Ils ont été condamnés respectivement à 20, 16 et 12 ans de prison.

Ces allégations répétées d’arrestation, de détention, de condamnation et, dans certains cas, de disparition de membres de Free Lao, suggèrent que ce qui semble être des attaques ciblées ne se déroule pas seulement sur le territoire lao. Au contraire, cela faire partie d’un schéma continu de répression transnationale contre les activistes et les défenseur⸱ses des droits humains qui fuient la persécution du Laos vers la Thaïlande, afin de réduire au silence l’exercice des droits humains, y compris les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression liés à la dissidence pacifique.

Dans ce contexte, le 11 décembre 2020, huit experts indépendants du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont présenté une lettre aux gouvernements lao et thaïlandais faisant part de leurs préoccupations concernant un « modèle de disparitions » avec « les pays de la région qui coordonnent, aident ou acceptent les enlèvements extraterritoriaux de militants politiques menant à des disparitions. » 8 La lettre indiquait également que les ministères des Affaires étrangères du Laos et de la Thaïlande ont publié en 2018 une déclaration conjointe à propos du renforcement de leur collaboration pour « rester ferme sur la politique consistant à ne permettre à aucune personne ou groupe de personnes planifiant des troubles ou des activités antigouvernementales dans un autre pays de s’installer sur leur territoire ». 

Selon les témoignages recueillis par les organisations soussignées, l’impunité omniprésente dans les cas cités ci-dessus a eu un effet paralysant parmi les défenseur⸱ses des droits humains laos. Dans ce climat répressif, ces défenseur⸱ses des droits humains qui ont fui leur pays continuent de vivre dans la crainte d’être pris pour cible pour vouloir exercer leurs droits.

LES OBLIGATIONS DES ÉTATS EN VERTU DU DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS HUMAINS

La Thaïlande et le Laos sont deux États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), en vertu duquel ils doivent respecter et garantir le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, à la protection contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique et le droit à la participation du public, entre autres droits. La disparition forcée constitue une violation de plusieurs dispositions du PIDCP. Ils ont le devoir d’enquêter rapidement, efficacement et en profondeur avec indépendance, impartialité et transparence, et de poursuivre en justice les privations de vie potentiellement illégales, y compris les disparitions forcées, conformément aux normes internationales pertinentes, telles que le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux. 9 Les États doivent également assurer l’accès à un recours effectif et à une réparation pour remédier à toute violation des droits humains relevant de leur juridiction.

La protection des droits susmentionnés couvre également les défenseur⸱ses des droits humains qui font face à des risques accrus de violence ciblée en raison de leur travail légitime en faveur des droits humains.

Au cours du troisième cycle de l’Examen périodique universel (EPU) de la Thaïlande en 2021, le gouvernement thaïlandais a « appuyé » au moins six recommandations sur la protection des défenseur⸱ses des droits humains, notamment : « [l]’assurance de la protection des défenseur⸱ses des droits humains notamment par le biais d’une enquête rapide et approfondie sur les attaques » ; « l’adoption de nouvelles mesures pour garantir un environnement sûr et propice aux défenseur⸱ses des droits humains, mettre fin à toutes les formes de harcèlement, de violence et d’intimidation à leur égard et assurer une enquête rapide, transparente et indépendante sur tous les cas signalés » ; « créer un environnement sûr et propice à l’exercice des droits de réunion pacifique et de liberté d’expression et à la prévention des attaques et de l’intimidation contre les défenseur⸱ses des droits humains. » 10

Le gouvernement du Laos a également reçu des recommandations similaires dans le cadre de son EPU en 2020, notamment en ce qui concerne la liberté d’expression, la levée des restrictions pour les médias indépendants et la création d’un environnement sûr pour le travail des journalistes et des défenseur⸱ses des droits humains ; « garantir la pleine jouissance de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et des progrès réalisés pour enquêter pleinement sur toutes les allégations d’arrestations arbitraires, les disparitions forcées et les inculpations pénales pour l’expression de l’opposition politique ou de critiques des politiques menées par l’État » ; et « mener des enquêtes nationales indépendantes sur les disparitions et les décès d’activistes pour la démocratie et les droits humains ». Malheureusement, le gouvernement lao a rejeté la plupart de ces recommandations11.

Le nombre croissant de cas de répression transnationale, y compris le meurtre récent de Bounsuan, indique que les deux gouvernements n’ont pas mis en œuvre efficacement leurs obligations en matière de droits humains, qui consistent à veiller à ce que les défenseur⸱ses des droits humains puissent exercer leurs droits et leurs libertés fondamentales en toute sécurité dans les deux pays.

Appels aux gouvernements de la Thaïlande, du Laos et de la communauté internationale

En réponse à la situation susmentionnée, les organisations soussignées demandent instamment que :

-->Les gouvernements du Laos et de Thaïlande :

  • Ouvrent immédiatement une enquête rapide, approfondie, efficace, impartiale et indépendante sur l’assassinat de Bounsuan, ainsi que sur d’autres exactions et violations possibles des droits humains, conformément au droit et aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment le Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux ;
  • S’assurent que les enquêtes établissent les responsabilités pour ces crimes, en identifiant, poursuivant et sanctionnant toute personne responsable ;
  • Permettent l’accès à un recours efficace et à une réparation pour la famille et les proches de ces crimes ;
  • S’engagent publiquement à prévenir la persécution, l’intimidation et le harcèlement, à offrir un environnement sûr, respectueux et propice à tous les défenseur⸱ses des droits humains et à cesser de criminaliser la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ;
  • Mettent de toute urgence fin à l’accord officiel susmentionné entre les deux gouvernements et à toute autre mesure permettant la répression transnationale de l’activisme légitime en faveur des droits humains ;

-->Les communautés diplomatiques et donateurs au Laos et en Thaïlande

  • Exigent que des comptes soient rendus rapidement et efficacement et mettent fin aux violations des droits humains qui sont depuis longtemps imprégnées de la culture de l’impunité dans les deux pays ;
  • Pour les gouvernements impliqués dans des dialogues intergouvernementaux avec les autorités laotiennes et thaïlandaises, soulever la question de la répression transnationale présumée contre les défenseur⸱ses des droits humains dans les deux pays et veiller à rendre publiques les conclusions de ces dialogues ;

-->Les organes de l’ONU

  • Garantissent la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile qui vivent dans la crainte de la répression transnationale et facilitent immédiatement le traitement de leurs demandes de réinstallation dans un pays tiers.

Liste des organisations signataires

Amnesty International

Human Rights Watch

International Commission of Jurists

La Fédération Internationale des Droits de l’Homme

Manushya Foundation

Focus on the Global South

CIVICUS: World Alliance for Citizen Participation (Alliance mondiale pour la participation citoyenne)

Front Line Defenders

Asia– Europe Peoples Forum (AEPF) International Organising Committee

Fresh Eyes

Contact

Pour toute question supplémentaire, veuillez contacter eseapro@amnesty.org.

1 Thai Rath,สลดหนุ่มใหญ่ นักเคลื่อนไหวชาวลาว ถูกยิงตายที่อุบลฯ คาดตามฆ่าล้างแค้น, 19 mai 2023, https://www.thairath.co.th/news/crime/2695135

2 Khaosod English, Thai Police: A Lao activist’s relatives may murder him, 21 mai 2023, khaosodenglish.com/news/2023/05/21/thai-police-a-lao-activists-relatives-may-murder-him/

3 Radio Free Asia, « Thailand-based rights activist arrested in Laos after returning to home village » 9 mai 2023, rfa.org/english/news/laos/activist-returns-arrest-05092023164548.html

4 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, « Thailand/Lao PDR : UN experts concerned by disappearance of Lao human rights defender » 1er octobre 2019, ohchr.org/en/press-releases/2019/10/thailandlao-pdr-un-experts-concerned-disappearance-lao-human-rights-defender

5 Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, , Letter to the Governments of Load and Thailand (UA LAO 2/2019), 25 septembre, 2019, spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=24867

6 Voir quelques exemples sur amnesty.or.th/en/latest/news/7581/ fidh.org/en/region/asia/thailand/investigate-disappearance-of-lao-activist-seeking-asylum et hrw.org/news/2019/09/07/thailand-lao-refugee-feared-disappeared

7 Radio Free Asia, « Lao Migrant Goes Missing, Friends Suspect Government Abduction » 9 décembre 2019, rfa.org/english/news/laos/phetphouthon-philachane-12092019161409.html

8 Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Letter to the Governments of Load and Thailand (AL LAO 4/2020), 11 December 2020, spcommreports.ohchr.org/TMResultsBase/DownLoadPublicCommunicationFile?gId=25648

9 Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultants potentiellement d’actes illégaux, 2017, ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/MinnesotaProtocol.pdf

10 Conseil des droits de l’Homme, Rapport du groupe de travail sur l’Examen périodique universel : Thaïlande, recommandations reçues de la Norvège, de la République tchèque et de l’Italie, respectivement, A/HRC/49/17/Add.1, Para 19 and 51. ohchr.org/sites/default/files/2022-03/A_HRC_49_17_Add.1_AV_Thailand_E.docx

11 Conseil des droits de l’Homme, Rapport du groupe de travail sur l’Examen périodique universel : Thaïlande, recommandations reçues de l’Italie, de la République tchèque et des États-Unis d’Amérique, A/HRC/44/6/Add.1, Para.6. undocs.org/A/HRC/44/6/Add.1