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4 Août 2023

Lettre ouverte : les entreprises de réseaux sociaux doivent prendre des mesures urgentes pour protéger les défenseuses des droits humains

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Mesdames et messieurs les présidents et personnel de Meta, X (anciennement Twitter) et Telegram :

Front Line Defenders, une organisation internationale de défense des droits humains qui œuvre pour la protection des défenseur-ses des droits humains en danger, et les organisations de la société civile régionales et internationales soussignées vous demandent instamment de prendre des mesures immédiates pour aider à mettre fin aux campagnes de diffamation en ligne contre les défenseuses des droits humains en Irak, en Jordanie et en Syrie.

Les plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook, WhatsApp, X (anciennement Twitter) et Telegram sont toujours utilisées efficacement pour diffuser des discours de haine et proférer de graves menaces, y compris des menaces de mort, à l'encontre des défenseuses des droits humains au Moyen-Orient. Nous sommes préoccupés par le fait que vos plateformes n'agissent pas assez rapidement pour contrer ces attaques agressives et continues - vos procédures sont parfois trop lentes pour protéger ces femmes et, dans de nombreux cas, vous n'avez pas agi pour les aider.

En Irak, où l'environnement est difficile pour les défenseur⸱ses des droits humains, en particulier dans la ville méridionale de Bassorah, une campagne de désinformation est en cours concernant l'utilisation du terme « genre », qui associe à tort l'utilisation de ce terme à l'homosexualité, à la perversion et à la destruction de la société. Profitant de la difficulté d'accès à l'information en Irak, certains créateurs de contenu en ligne et leaders religieux et politiques utilisent les plateformes de réseaux sociaux pour diffuser ces idées par le biais d'images et de vidéos qui ciblent clairement le travail des organisations de la société civile en Irak. Ces campagnes visent les organisations de la société civile en général, mais les défenseuses des droits humains et les femmes qui travaillent sur des questions féministes sont particulièrement touchées.

En Syrie, une campagne de diffamation en ligne a récemment visé la défenseuse des droits humains Hiba Ezzideen Al-Hajji. Nous vous demandons spécifiquement de retirer toutes les images, discours haineux et autres contenus diffamatoires qui circulent sur vos plateformes et qui sont utilisés pour calomnier Hiba Ezzideen Al-Hajji. Cette campagne de diffamation a des conséquences néfastes tangibles sur la vie des personnes qui travaillent avec elle, ainsi que sur la vie des membres de sa famille.

Comme l'ont documenté Front Line Defenders et le Gulf Centre For Human Rights, la campagne contre Hiba Ezzideen Al-Hajii a commencé le 4 juillet 2023. Des pages Facebook anonymes l'ont personnellement ciblée avec des propos obscènes après qu’elle a appelé à mettre fin à la discrimination à l'égard des femmes, et ces campagnes de diffamation se poursuivent encore aujourd'hui. Entre le 11 et le 18 juillet 2023, la campagne s'est étendue aux applications Telegram et WhatsApp.

Le 21 juillet 2023, l'imam d'une mosquée rurale dans le gouvernorat d'Idlib a directement incité à agir contre la défenseuse des droits humains et contre son organisation, Equity and Empowerment (E&E), devant plus de 200 fidèles. Le sermon a été largement relayé sur WhatsApp, mettant la vie de Hiba Ezzideen Al-Hajji et de son équipe en danger imminent.

De même, en Jordanie, la défenseuse des droits humains Hala Ahed a été la cible d'une vaste campagne de diffamation sur Twitter après l'annonce, le 13 juin 2023, d'une formation qu'elle animait sur le concept du féminisme. De même, la campagne en ligne contre la défenseuse s'est traduite par des préjudices et des menaces au delà d’internet.

La campagne contre Hala Ahed a rapidement pris de l’ampleur sur Twitter et est devenue organisée et systématique en impliquant des centaines de comptes. Alors que certains comptes Twitter anonymes ont été utilisés dans le seul but de publier des contenus diffamatoires sur la défenseuse, de nombreuses photos et vidéos diffamatoires ont été publiées par des créateurs de contenu célèbres et des chefs religieux et politiques pour discréditer son travail, et ces contenus ont été largement diffusés. Le contenu comprenait des informations erronées sur le travail de la défenseuse, des accusations de blasphème et une incitation à déchoir Hala Ahed de sa nationalité. La campagne de diffamation a été un « sujet tendance » sur Twitter en Jordanie pendant des jours, qui s’est accentuée avec l'utilisation de hashtags qui ont fini par attirer l'attention dans toute la région.

Les tactiques odieuses utilisées dans les campagnes susmentionnées contre les défenseuses visent à susciter davantage de haine et de violence à leur encontre, dans le but de saper leur travail en faveur des droits humains. Les auteurs de ces campagnes ont recours à des mesures comme les menaces de mort, le harcèlement et les incitations à agir contre ces personnes et leurs familles, ainsi qu'au doxing, aux deep fakes, aux menaces de viol et aux insultes à caractère sexuel.

Malgré leur ampleur et leur gravité et le signalement de ces cas via les canaux directs disponibles par plusieurs des organisations soussignées et par E&E sur les différentes plateformes de réseaux sociaux, ces attaques, qui mettent en danger la vie des défenseuses des droits humains et de leur famille, sont banalisées et ne sont pas prises au sérieux par vos entreprises.

Pour atténuer l'impact de ces violations des droits humains, les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains et les principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales exigent des entreprises qu'elles élaborent des politiques en matière de droits humains et de diligence raisonnable afin de protéger les droits de leurs clients et des autres personnes concernées.Vos plateformes doivent placer les droits humains au premier plan et œuvrer sérieusement à l'éradication des discours de haine visant les défenseuses des droits humains et à l'élaboration d'un mécanisme efficace, en coopération avec les organisations de la société civile, pour mettre un terme à ces attaques immédiatement et efficacement.

En tant qu'entreprises de réseaux sociaux, vous avez la responsabilité de veiller à ne pas contribuer à des campagnes violentes et dangereuses, ou à ne pas permettre aux utilisateurs d'utiliser vos plateformes pour inciter à la violence ciblée contre les défenseuses des droits humains qui mettent leur vie en danger. Il est extrêmement urgent que Facebook, WhatsApp, X (anciennement Twitter) et Telegram retirent immédiatement ces images et messages et prennent les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de leurs utilisateurs.

Nos organisations se tiennent prêtes à vous aider à identifier les images et les messages en question ainsi que les comptes sur lesquels ils sont hébergés ou partagés.

Signé :

  • Front Line Defenders
  • SMEX
  • Access Now
  • Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
  • INSM Foundation for Digital Rights