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Lettre ouverte à la Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et au Président du Conseil européen Charles Michel pour s’abstenir d’approuver les fonds de relance aux gouvernements de la Pologne et de la Hongrie

Appel urgent à la Commission européenne et au Conseil pour s’abstenir d’approuver les fonds de relance destinés aux gouvernements de la Pologne et de la Hongrie et pour fournir un soutien direct aux autorités locales, à la société civile et aux défenseur⸱ses des droits humains qui fournissent une aide aux réfugiés de guerre

Bruxelles, le 23 mars 2022

Madame la Présidente von der Leyen,  

Monsieur le Président Michel,

Nous sommes profondément préoccupés par le fait que la Commission européenne et le Conseil envisagent de débloquer les fonds de la Facilité pour la reprise et la résilience afin de les attribuer aux gouvernements de la Pologne et de la Hongrie, et que la Commission envisage de retarder davantage l’activation de la réglementation sur la conditionnalité de l’État de droit à leur égard, en raison de la crise politique et humanitaire qui fait suite à l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février.

Revenir maintenant sur la décision cruciale de suspendre l’approbation du financement de la relance de l’UE pour la Pologne et la Hongrie enverrait le mauvais signal politique aux gouvernements de la Pologne et de la Hongrie qui n’ont fait aucun progrès pour corriger des lois, des politiques et des pratiques qui minent l’équilibre des pouvoirs et l’architecture globale de l’état de droit. Une telle décision risque également de créer un dangereux précédent et sape le mécanisme de conditionnalité de l’État de droit de l’UE, conçu pour protéger le budget de l’UE à long terme.

En tant qu’organisations œuvrant dans toute l’Europe pour défendre les droits fondamentaux et l’état de droit, nous demandons à la Commission européenne et au Conseil de s’abstenir d’approuver à la hâte les fonds de relance destinés aux gouvernements de la Pologne et de la Hongrie, sans garanties réelles et solides que les préoccupations relatives à l’état de droit, notamment le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire et les garanties démocratiques anticorruption, soient résolues.

La guerre en Ukraine ne devrait pas servir de prétexte pour affaiblir le mécanisme de l’état de droit et laisser n’importe quel État membre s’en tirer avec de graves atteintes à l’état de droit. Au contraire, cette guerre montre les dangers très réels qui accompagnent un pays qui démantèle l’état de droit et la surveillance démocratique. Ce n’est pas le moment de mettre de côté les préoccupations concernant l’état de droit et le respect des droits fondamentaux dans les États membres de l’UE. Débloquer des fonds alors que les préoccupations dans les pays restent aussi graves que jamais serait préjudiciable.

L’UE a l’obligation légale d’atténuer les risques d’utilisation abusive des fonds de l’UE et de rester ferme sur la nécessité de poursuivre les négociations avant de verser les fonds de relance, tout en déclenchant sans plus tarder le mécanisme de conditionnalité. Les procédures contenues à l’article 7.1 du TUE doivent se poursuivre tant que l’article 2 du TUE continue d’être miné. Ni la Pologne ni la Hongrie n’ont fait de progrès significatifs pour rétablir l’équilibre du pouvoir nécessaire au maintien de l’état de droit et au rétablissement d’un système judiciaire indépendant. Si l’UE permet au gouvernement polonais d’ignorer la décision de la CJUE concernant la Chambre disciplinaire de la Cour suprême, il y a un réel risque que la société civile indépendante en Pologne, qui est le principal répondant à la crise des réfugiés ukrainiens, soit davantage criminalisée et soit contrainte de mettre fin à ses activités.

Au lieu de faire des réformes positives, le Parlement polonais a tenté de modifier une loi pour garantir l’impunité des autorités pendant la crise ukrainienne. En outre, une proposition législative visant à faire en sorte que les représentants du gouvernement ne puissent pas être tenus responsables de ce qu’ils font des fonds d’urgence a été rejetée de justesse par un seul vote au Parlement polonais.

Soutenir directement les autorités locales, la société civile et les défenseur⸱ses des droits humains qui s’occupent des réfugiés de guerre

La guerre en Ukraine a déjà forcé plus de trois millions de personnes à quitter l’Ukraine pour se mettre en sécurité. Soutenir des millions de personnes représente un défi de taille en ce qui concerne le logement, la nourriture, les vêtements, les soins aux enfants, les soins de santé, le soutien psychologique, l’aide juridique et d’autres services essentiels. La société civile, les autorités locales, les citoyens et les défenseur⸱ses des droits humains ont réagi rapidement, fournissant la grande majorité des services aux personnes fuyant la guerre. En revanche, l’aide du gouvernement central en Hongrie et en Pologne est limitée. Tandis que d’autres arrivées sont prévues et qu’un soutien à plus long terme est nécessaire, une aide financière directe à la société civile est urgente, afin d’éviter une catastrophe humanitaire qui se développerait rapidement.

Le gouvernement polonais ne manque pas seulement à son devoir humanitaire et à l’effort de secours local. Il est soupçonné de mauvaise gestion des fonds de l’UE et de la Pologne destinés à soutenir les groupes vulnérables. Il existe sans aucun doute un risque sérieux que le versement de moyens d’urgence au gouvernement affecte la gestion des fonds de l’UE contrairement à leur objectif et en violation des normes généralement reconnues de gestion responsable. 41 organisations de la société civile polonaise ont averti qu’il y a aussi un risque sérieux que si les fonds passent par le gouvernement, ils puissent être détournés à des fins politiques, et dépensés de manière inefficace sans servir ce à quoi ils sont destinés. Nous partageons leurs inquiétudes.

Ce n’est pas le moment de mettre de côté les conditionnalités de l’état de droit. En Hongrie, le gouvernement n’a toujours pas exécuté le jugement de la CJUE qui estime que la loi dite « loi Stop Soros », qui criminalise l’aide aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, viole le droit de l’UE et devrait être abrogée. La loi expose les organisations de la société civile et les défenseur⸱ses des droits humains qui sont en première ligne et qui fournissent une assistance aux réfugiés fuyant l’Ukraine à de graves risques, y compris des peines de prison. L’UE ne peut pas permettre au gouvernement polonais de continuer à rejeter les décisions de la CJUE concernant la Chambre disciplinaire et risquer de nouvelles attaques. Un examen minutieux est nécessaire.

Nous vous demandons, en tant que présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, d’être fermes dans la lutte pour la liberté, la démocratie et le respect des droits fondamentaux et de l’état de droit que l’invasion russe en Ukraine a remis au centre de nos vies. L’aide d’urgence peut être fournie par d’autres moyens et nos organisations sont prêtes à se rencontrer et à discuter de la façon dont nous pouvons aider la Commission européenne à faire en sorte que les fonds d’urgence parviennent à ceux qui ont un besoin urgent d’aide.

 

Nous vous prions d’agréer l’expression de notre haute considération

Organisations Signataires :

 

ILGA-Europe

European Partnership for Democracy

Democracy Reporting International gGmbH

International Planned Parenthood Federation European Network

Amnesty International

Transparency International EU

International Federation for Human Rights

Open Society European Policy Institute

Netherlands Helsinki Committee

Front Line Defenders

Human Rights Watch