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19 Mars 2024

Une lettre conjointe signée par 43 ONG demande le renouvellement des mandats du Rapporteur spécial et de la Mission d’enquête sur l’Iran

À l’attention de : États membres du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies

Votre Excellence,

Nous, soussignés, organisations iraniennes et internationales de défense des droits humains, appelons votre pays à soutenir le renouvellement du mandat du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en République islamique d’Iran ainsi que l’extension du mandat de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République islamique d’Iran (FFMI) lors de la 55e session du Conseil des droits de l’homme. Le maintien de ces deux mandats distincts et complémentaires est essentiel pour que le Conseil puisse remplir son mandat de promotion et de protection des droits humains en Iran.

Nous demandons également à votre gouvernement de saisir cette occasion pour exprimer publiquement son inquiétude à propos des violations graves et persistantes des droits humains commises dans le pays, dont certaines, selon la FFMI, « constituent des crimes contre l’humanité… commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile, à savoir les femmes, les jeunes filles et d’autres personnes qui soutiennent les droits humains » 1, et pour demander qu’il soit mis fin à ces violations et que justice, vérité et réparation soient rendues.

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Le renouvellement du mandat du Rapporteur spécial est essentiel, compte tenu de la gravité de la crise des droits humains en Iran, caractérisée par des crimes incessants au regard du droit international et de graves violations des droits humains qui affectent des millions de personnes dans le pays, ainsi que par la grande variété des droits restreints. Le suivi, les rapports publics réguliers et la capacité du Rapporteur spécial à dialoguer avec les autorités et les autres parties prenantes sont une planche de salut dans ce contexte.

Lors de cette session, le Conseil se voit à nouveau présenter un grand nombre de preuves démontrant la crise persistante de l’impunité systémique qui fait que les crimes relevant du droit international et les autres violations des droits humains restent impunis dans le pays. Il s’agit notamment de violations généralisées du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, du droit à la sécurité et à la liberté de la personne, du droit à un procès équitable, du droit à un recours effectif, du droit à la liberté de religion ou de croyance, du droit à la liberté d’expression, du droit à la liberté de réunion pacifique et du droit à la liberté d’association, ainsi que du droit à la vie privée, à la santé, à l’éducation, aux moyens de subsistance et au travail, comme indiqué dans l’annexe de la présente lettre.

Les femmes et les jeunes filles continuent d’être traitées comme des citoyens de seconde zone, dans un contexte de répression accrue pour avoir défié les lois dégradantes et abusives sur le port obligatoire du voile. Les personnes lesbiennes, gays, bi, trans et intersexes, ainsi que les minorités ethniques et religieuses, font également l’objet d’une discrimination systémique. Les personnes visées sont les Arabes Ahwazi, les Azéris, les Baloutches, les Kurdes et les Turkmènes ; les personnes appartenant à des minorités religieuses ou de croyance, notamment les Baha'is, les chrétiens, les Derviches Gonabadi, les juifs, les Yarsan (Ahl-e Haq), les musulmans sunnites et les athées.

Dans un tel contexte, le renouvellement du mandat du Rapporteur spécial est essentiel pour suivre et documenter l’évolution de la situation et faire des rapports au Conseil sur la question de savoir si les autorités iraniennes respectent ou non leurs obligations en matière de droits humains. Le Rapporteur du pays est essentiel pour engager le dialogue avec les autorités iraniennes et pour lancer des appels urgents et d’autres communications susceptibles de sauver des vies, notamment en cherchant à mettre un terme aux exécutions imminentes et à améliorer la situation des personnes détenues ainsi que leur accès à des soins médicaux d’urgence. Dans un contexte marqué par des tactiques extrêmement répressives visant à nier l’espace civique, ce mandat attire également l’attention sur les voix des survivants, des victimes et de leurs familles, des défenseur⸱ses des droits humains et d’autres personnes à la recherche de la vérité et de la justice. Au cours de la dernière décennie, les conclusions, les recommandations et l’expertise du Rapporteur spécial se sont avéré essentielles pour orienter et informer les efforts des organes des Nations unies et des États membres afin d’encourager les autorités iraniennes à prendre des mesures pour respecter leurs obligations en matière de droits humains et les obliger à rendre compte de leurs actes.

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Le mandat de la FFMI, établie à la suite du décès en détention de Jina Mahsa Amini, pour traiter les violations commises dans le contexte des manifestations nationales de 2022 avec une attention particulière pour les femmes et les enfants, reste également essentiel. Non seulement les violations liées aux manifestations de 2022 continuent de se répercuter en Iran, mais le mandat a un rôle crucial à jouer dans la lutte contre l’impunité qui alimente ces abus et d’autres.

Comme indiqué, la litanie des crimes relevants du droit international liés aux manifestations de 2022 se poursuit. Des milliers de personnes, dont des enfants, ont été soumises à des interrogatoires abusifs, à des détentions arbitraires, à des poursuites injustes et à la suspension ou à l’expulsion de l’éducation ou de l’emploi pour avoir exercé pacifiquement leurs droits. Les services de renseignement et de sécurité ont continué à s’en prendre aux membres des familles des personnes illégalement tuées lors des manifestations, qui cherchent à obtenir la vérité et la justice pour l’assassinat de leurs proches. Au moins neuf personnes ont été exécutées arbitrairement suite aux manifestations, à l’issue de procès clairement inéquitables. En janvier 2024, les experts des Nations unies ont fermement condamné l’exécution de Mohammad Ghobadlou et ont noté qu’au moins quatre personnes risquaient toujours d’être exécutées en lien avec les manifestations nationales, tandis qu’au moins 15 autres étaient passibles de la peine de mort2. Dans le même temps, l’impunité persiste et il n’y a pas eu d’enquêtes nationales impartiales, indépendantes et efficaces sur le recours à la force illégale et meurtrière, la torture et les mauvais traitements, notamment le viol et d’autres formes de violence sexuelle, ainsi que sur d’autres abus graves.

Les violations persistantes des droits humains décrites dans l’annexe sont favorisées par ce que la FFMI a décrit comme une situation d’« impunité généralisée » 3, où « les autorités n’ont pas enquêté sur les allégations de violations des droits humains, ni poursuivi ou puni les responsables, et ont délibérément et systématiquement entravé les efforts déployés par les victimes et leurs familles pour obtenir réparation et établir la vérité » 4.

Comme l’a souligné le Conseil dans sa résolution de l’année dernière, « l’impunité soutenue et systématique pour les violations flagrantes des droits humains et l’absence d’obligation de rendre des comptes […] créent un environnement favorable aux auteurs de violations, bafoue le droit des victimes à un recours effectif et perpétuent les cycles de violence » 5. Pour que les violations du passé ne se répètent pas à l’avenir, il faut remédier à cette situation d’impunité généralisée en cas de violations des droits humains et de crimes internationaux. Seul un organisme indépendant d’enquête, doté des ressources adéquates, de personnel et de temps suffisants, peuvent convenablement relever ce défi fondamental. La FFMI a clairement un rôle important à jouer à cet égard.

Conformément à son mandat, la FFMI a placé la situation des femmes et des filles au cœur de son enquête. Elle a conclu que le crime contre l’humanité de persécution fondée sur le sexe a été commis et que « la discrimination structurelle et institutionnalisée omniprésente et profondément enracinée à l’encontre des femmes et des filles, qui s’infiltre dans tous les domaines de leur vie publique et privée » 6 en Iran est à la fois « un déclencheur et un catalyseur » des violations et des crimes qu’elle a constatés. L’extension du mandat de la FFMI permettrait d’approfondir l’analyse de la dimension genrée des violations des droits humains et des crimes documentés.

Malgré des retards dans le processus de mise en place et des difficultés budgétaires indépendantes de sa volonté, la FFMI a réalisé des progrès significatifs dans l’enquête sur les violations commises dans le contexte des manifestations. Des lacunes subsistent toutefois, comme indiqué ci-dessus, et la FFMI a besoin de plus de temps et de ressources appropriées pour traiter l’importante quantité de documents probants recueillis. Ce délai supplémentaire permettra à la FFMI de combler les lacunes laissées dans ses conclusions avant de présenter son rapport final, et de continuer à promouvoir la justice, la vérité et la réparation pour les violations flagrantes des droits humains et les crimes relevant du droit international commis par les responsables iraniens. Cela garantira également que les survivants, les victimes et leurs familles qui partagent leurs témoignages et s’efforcent d’établir la vérité et la justice puissent faire entendre leur voix.

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Les deux mandats sont clairement distincts et complémentaires. La FFMI mène temporairement une mission d’enquête sur un ensemble spécifique d’événements marqués par une violence d’État paroxystique que le mandat du Rapporteur spécial n’est pas en mesure de remplir, et elle est spécifiquement mandatée pour traiter de l’impunité et des droits des femmes et des enfants. Le mandat à long terme du Rapporteur spécial est essentiel pour garantir que d’autres violations ne relevant pas du mandat de la FFMI soient dûment traitées et que les autorités iraniennes maintiennent un certain engagement avec le Conseil sur le large éventail de violations des droits humains qu’elles commettent en toute impunité sur la population iranienne. Le Rapporteur spécial joue également un rôle essentiel en travaillant sur des cas individuels, notamment en ce qui concerne la peine de mort, dont le recours est monté en flèche en 2023.

Les victimes et les survivants des violations passées et présentes ont besoin que ces deux mécanismes soient en place et opérationnels. C’est également le cas de leurs familles, des défenseur⸱ses des droits humains, des journalistes et autres professionnels des médias, des dissidents et d’autres personnes qui continuent à subir des représailles de la part des autorités iraniennes uniquement parce qu’ils ont exercé pacifiquement leurs droits.

Pour toutes ces raisons, lors de cette session, nous demandons instamment à votre gouvernement de soutenir l’extension du mandat du Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Iran et du mandat de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République islamique d’Iran (FFMI), et de faire pression sur l’Iran pour qu’il accorde à ces mécanismes un accès sans entrave au territoire. Nous demandons également à votre gouvernement d’exprimer publiquement sa vive inquiétude face à la crise des droits humains en Iran et d’envoyer un message clair aux autorités iraniennes : les violations en cours doivent cesser, tout comme l’impunité pour les violations et les crimes internationaux, et les responsables iraniens devront rendre compte de leurs actes.

Abdorrahman Boroumand Center for Human Rights in Iran (ABC)

The Advocates for Human Rights

Ahwaz Human Rights Organization

All Human Rights for All in Iran

Amnesty International

Arseh Sevom

Article 18

ARTICLE 19

Association for the Human Rights of the Azerbaijani People in Iran (AHRAZ)

Baloch Activists Campaign

Balochistan Human Rights Group

Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS)

Center for Human Rights in Iran

The Centre for Supporters of Human Rights (CSHR)

Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM)

Femena

Front Line Defenders

Global Centre for the Responsibility to Protect

Harm Reduction International

Hengaw Organization for Human Rights

Human Rights Watch

Impact Iran

International Bar Association's Human Rights Institute (IBAHRI)

International Commission of Jurists (ICJ)

International Federation for Human Rights (FIDH)

International Service for Human Rights (ISHR)

Iran Human Rights

Iran Human Rights Documentation Center (IHRDC)

Justice for Iran

Kurdistan Human Rights Association - Geneva (KMMK-G)

Kurdistan Human Rights Network (KHRN)

Kurdpa Human Rights Organization

Miaan Group

Minority Rights Group International

OutRight Action International

PEN America

Siamak Pourzand Foundation (SPF)

United for Iran

UNPO - Unrepresented Nations and Peoples Organisation

Women's International League for Peace and Freedom (WILPF)

World Coalition Against the Death Penalty

World Organization Against Torture (OMCT)

6Rang – Iranian Lesbian & Transgender Network

1 Report of the independent international fact-finding mission on the Islamic Republic of Iran, A/HRC/55/67, 2 February 2024 (FFM Report), para. 108, accessible at: https://undocs.org/A/HRC/55/67

2 https://www.ohchr.org/en/press-releases/2024/01/un-experts-urge-iran-respect-international-law-and-stop-horrific-executions

3 FFM Report, para. 124

4 FFM Report, para. 116

5 Resolution A/HRC/RES/52/27, Situation of Human Rights in the Islamic Republic of Iran, 13 April 2023, PP5, accessible at https://undocs.org/A/HRC/RES/52/27

6 FFM report, para. 122