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3 Avril 2025

Pérou : Appel à l’application de la procédure régulière dans la décision à venir concernant onze défenseur⸱ses des droits humains autochtones et paysans criminalisés à Cotabambas

Front Line Defenders exprime son inquiétude concernant le processus de criminalisation, entamé il y a dix ans, contre onze défenseur⸱ses des droits humains et leaders communautaires de Cotabambas (Apurímac) en raison de leur opposition au projet minier Las Bambas. L’organisation exhorte l’État péruvien à suivre la procédure d’appel de la condamnation, qui a débuté le 19 mars 2025, dans le respect de la légalité et du droit légitime des accusés à défendre les droits humains, reconnu par la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme. Les audiences de la procédure d’appel ont commencé le 31 mars 2025 et devraient se terminer dans les 15 prochains jours. La prochaine audience est prévue le 4 avril, et présentera la défense des accusés. Chaque défenseur⸱ses des droits humains disposera de deux minutes pour témoigner.

Les leaders campesinos et autochtones criminalisés sont Virginia Pinares Ochoa, Rodolfo Abarca Quispe, Lisbeth Abarca Peña, Ronald Andrés Bello Abarca, Juan Pablo Cconislla Gallegos, Maximiliano Huachaca Mamani, Alem Torre Garcés, Jacinto Lima Lucas, Walter Moreano Andrada, Romualdo Ochoa Aysa et Cosme Bolívar Escudero, ils sont membres de diverses communautés de la région d’Apurímac touchées par les activités de la société minière Las Bambas. Ils parlent le quechua, défendent l’environnement et sont leaders communautaires ; ils font tous partie de communautés originelles qui luttent contre les effets néfastes de l’exploitation minière à grande échelle sur leurs territoires et leurs communautés.

La procédure judiciaire contre les DDH est liée à des événements qui ont eu lieu en septembre 2015, lorsque des membres des communautés paysannes et autochtones de Cotabambas, affectées par le projet minier Las Bambas, ont manifesté ensemble pour exiger la transparence concernant les informations partagées avec les communautés, ainsi que l’application du processus de consultation préalable sur les impacts environnementaux et sociaux du projet minier, liée à la modification de l’évaluation de l’impact environnemental du projet. Au lieu d’être entendue et prise en compte, la manifestation a été réprimée par la police, qui a fait un usage disproportionné de la force. En outre, le gouvernement et la société propriétaire du projet minier ont déposé des plaintes contre les leaders de la communauté pour des délits présumés de dommages aggravés, d’émeutes et d’entrave au fonctionnement des services publics.

La procédure pénale a débuté en 2015 et est marquée par des vices de procédure et des préjugés judiciaires en faveur de la société minière. Les avocats des accusés et les organisations de la société civile péruvienne soulignent, entre autres, l’absence de preuves fondamentales et concrètes permettant de relier les accusés aux crimes, même après l’examen de vidéos, d’échantillons audio et de déclarations. En outre, les condamnations prononcées ultérieurement ne prouvent pas clairement la responsabilité des accusés, omettant des aspects essentiels de l’affaire et violant le principe de cohérence procédurale.

En juillet 2024, le tribunal pénal de Cotabambas a rendu un jugement (dossier n° 41-2016) condamnant les onze défenseur⸱ses des droits humains à des peines de huit à neuf ans de prison, ainsi qu’à verser une indemnisation de 50 000 soles à l’État et de 88 600 dollars américains à la société minière. Les avocats des accusés ont interjeté appel (dossier n° 00041-2016-40-0307-JR-PE-01) ; la procédure a débuté le 19 mars 2025 devant la Chambre pénale d’appel de la Cour suprême de justice d’Apurímac. En outre, le procureur général du ministère de l’Intérieur a demandé une augmentation de la réparation civile, en faveur de l’État, à 200 000 soles. Le recours vise à annuler la décision, dont les effets sont suspendus jusqu’à ce qu’un jugement définitif soit rendu. Les audiences de la procédure d’appel devraient se terminer dans les 15 prochains jours, et la date de la prochaine audience est prévue le 4 avril 2025.

Le projet minier Las Bambas est la plus grande opération d’extraction de cuivre au Pérou et la plus grande propriété d’une entreprise chinoise en Amérique latine. Elle a d’importantes répercussions sociales et environnementales à Apurímac, notamment la pollution atmosphérique et sonore causée par le passage quotidien de 370 camions de fort tonnage transportant des minerais sur 450 km jusqu’au port de Matarani. Ce trafic traverse 169 villes, affectant la qualité de vie des communautés locales. Les organisations et les leaders locaux signalent sans relâche que le projet se caractérise par un manque de consultation préalable et que ses plans ont été modifiés sans la participation ni le consentement des communautés concernées.

Front Line Defenders considère que cette procédure judiciaire a commencé en représailles contre le rôle de leader que les accusés jouent pour défendre les droits des populations autochtones et l’environnement, en dénonçant les impacts négatifs du projet minier sur leurs territoires et en exerçant leur droit de protestation. Il est urgent que la procédure d’appel se déroule dans le respect des normes relatives aux procédures régulières et aux procès équitables, car la confirmation de la condamnation créerait un précédent inquiétant qui mettrait en péril le droit de défendre les droits humains au Pérou.

Cette persécution judiciaire des onze leaders paysans est un exemple de la criminalisation systématique des défenseur⸱ses des droits humains, dans le contexte des conflits socio-environnementaux au Pérou. Ces dernières années, de nombreux leaders communautaires ont été poursuivis sur la base d’accusations disproportionnées, simplement pour avoir exercé leur droit de manifester pacifiquement et de participer à des questions touchant à leurs territoires et à leurs moyens de subsistance. Les institutions et les experts internationaux en matière de droits humains, notamment la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseur⸱ses des droits humains, ont fait part de leur inquiétude quant aux schémas de criminalisation au Pérou et ont exhorté l’État à garantir la protection des DDH et à éviter le recours injustifié au droit pénal pour restreindre leur travail.

Front Line Defenders réitère sa profonde inquiétude concernant la criminalisation des leaders paysans et autochtones et des défenseur⸱ses des droits humains à Apurímac et l’utilisation indue du système judiciaire pour restreindre les protestations sociales et la défense des droits humains et des territoires. L’organisation demande instamment aux autorités péruviennes d’abandonner toutes les charges retenues contre les onze défenseur⸱ses des droits humains d’Apurímac et d’adopter des mesures efficaces pour leur protection. Front Line Defenders appelle également les investisseurs du projet minier Las Bambas à reconnaître les actions néfastes que l’entreprise mène au Pérou, et demande instamment à l’entreprise minière de se retirer de la procédure judiciaire et de se conformer aux principes de diligence raisonnable. Front Line Defenders demande également à l’État péruvien de mettre en place des mécanismes de protection efficaces pour les communautés affectées par les projets d’extraction et de garantir des processus de consultation préalable, libre et informée, comme le prévoit la Convention 169 de l’OIT. Enfin, Line Defenders exhorte le Pérou à garantir que tous les défenseur·ses des droits humains puissent mener à bien leur travail dans le pays, sans craindre de représailles, y compris l’acharnement judiciaire.