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29 Novembre 2018

Lettre ouverte au Premier Ministre éthiopien : Mettre fin aux restrictions fixées par le projet de loi sur la proclamation des organisations caritatives et protéger la liberté d'association

Votre Excellence,

Les organisations internationales, régionales et nationales de défense des droits humains et de développement soussignées vous écrivent pour exhorter votre gouvernement à garantir que le projet de loi sur la proclamation des organisations caritatives (en anglais Charities and Societies - CSO) respecte les normes internationales et régionales relatives à la liberté d'association. Le dépôt du projet de loi est l'occasion idéale pour remédier aux défaillances de longue date de la législation existante, créer une société civile solide et résistante et un environnement favorable aux défenseur-ses des droits humains en Éthiopie. Les autorités doivent garantir que le nouveau texte est conforme aux lignes directrices de la Commission africaine sur la liberté d'expression et de réunion en Afrique, la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples et le droit international.

Nous comprenons que le projet de loi développé par le Legal Advisory Council, qui est actuellement examiné par le parquet général, doit être déposé au Parlement dans les semaines à venir. Le projet de loi aborde des inquiétudes relatives aux contraintes de financement, les pouvoirs intrusifs de la CSO Agency, et l'absence de procédure d'appel pour les enregistrements ; tandis qu'il s'agit d'une nette amélioration de l'actuel cadre juridique relatif au fonctionnement des CSO, nous restons préoccupés par le fait que cela inclut plusieurs restrictions injustifiées des activités et de l'indépendance des organisations internationales et nationales.

Nous sommes particulièrement préoccupés par des limites vagues et injustement lourdes sur l'indépendance et le fonctionnement de la société civile nationale. La loi impose notamment un procédé d'obtention des autorisations qui oblige toutes les organisations caritatives à s'enregistrer auprès de la CSO Agency, ce qui permettra une potentielle criminalisation des organisations qui opèrent de manière informelle. Les CSO déjà enregistrées en vertu de la loi précédente devront s'enregistrer de nouveau. Cette procédure, qui peut prendre jusqu'à quatre mois, est principalement supervisée par la CSO Agency nommée par le gouvernement, qui pourra à discrétion ordonner les fermetures et le gel des avoirs des CSO.

En outre, les critères plafonnant les frais administratifs des CSO à 20% de leurs revenus entravera leur capacité à déterminer de manière indépendante quelles activités légitimes elles soutiendront et feront passer en priorité. Compte tenu de la diversité des initiatives mises en place par la société civile en Éthiopie, de telles limites strictes entraveront de manière déraisonnable le travail de nombreuses CSO.

Nous sommes également préoccupés par les dispositions trop larges qui entraveront la portée du plaidoyer et du lobbying des organisations internationales, et par les critères d'enregistrement lourds qui risquent d'être invoqués pour stopper les activités des organisations internationales et pour menacer les initiatives basées sur le droit.

De telles mesures fragilisent l'engagement pris par l'Éthiopie de promouvoir, protéger et respecter le droit à la liberté d'association. Des experts internationaux et régionaux ont appelé à plusieurs reprises les autorités Éthiopiennes à amender ou abroger la loi de proclamation des organisations caritatives, en annulant les restrictions injustifiées relatives à la liberté d’association.

L'annonce d'un examen des lois qui étaient utilisées pour étouffer la dissidence par le passé, faisait partie d'une série de réformes prévues par votre cabinet et était très attendu aussi bien par les Éthiopiens que par les acteurs internationaux. Par conséquent, nous, les organisations soussignées, avons étroitement surveillé l'examen de la première de ces lois, la proclamation des organisations caritatives, afin de voir si elle reflète les inquiétudes que les acteurs nationaux et internationaux ont depuis longtemps. Malgré les réserves susmentionnées, nous sommes encouragés par le Conseil consultatif juridique et nous suivons avec un intérêt particulier comment le projet de loi sur la proclamation des organisations sera considéré par le parquet général puis le Conseil des ministres pour une éventuelle approbation par la Chambre des représentants. Le processus par lequel la loi sur la proclamation des OSC a été révisée par le Legal Advisory Council et sera examinée par la chambre des représentants, la première des trois lois à passer par ce type de révision, est un signe avant coureur important qui montrera la manière dont les différents organes du gouvernement sont engagés à examiner des lois, conformément aux normes internationales à l'approche des élections de 2020.

Pendant cette réforme importante, nous exhortons le gouvernement d'Éthiopie à prendre en comptes les recommandations et mesures suivantes :

1. Garantir que la majorité des membres des conseils d'administration des OSC proviennent de la société civile et soient choisis par le biais d'un processus de nomination transparent ;
2. Remplacer les dispositions qui requierent une autorisation pour s'enregistrer par une disposition nécessitant une simple approbation ;
3. Le cas échéant, réduire la durée de la décision lors d'une demande d'enregistrement d'OSC, ou d'un appel, et garantir que la CSO Agency  et son conseil fournissent des raisons détaillées écrites en cas de rejet d'une demande d'enregistrement ;
4. Inclure des justifications précises et concises pour expliquer sous quelles conditions la CSO Agency peut enquêter et geler les biens des organisations, et garantir que cela soit soumis à une supervision judiciaire ;
5. Revoir le seuil des frais administratif placé à 20% des revenus et le remplacer par une norme non obligatoire ;
6. Garantir que toutes les OSC étrangères et nationales qui opèrent en Éthiopie puissent choisir les domaines dans lesquelles elles œuvrent et qu'elles puissent effectuer un travail de lobbying et de plaidoyer.

Merci pour votre considération.

Sincères salutations,

Front Line Defenders
ARTICLE 19 Eastern Africa
Association for Human Rights in Ethiopia (AHRE)
CIVICUS
Civil Rights Defenders
Consortium of Ethiopian Rights Organizations (CERO)
DefendDefenders (EHAHRDP)
FIDH, dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains
Human Rights Watch (HRW)
PEN International
Robert F. Kennedy Human Rights (RFKHR)
Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains