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10 Novembre 2020

Les défenseuses des droits humains en Égypte continuent de souffrir d'acharnement judiciaire, de représailles et de violations de leurs droits humains fondamentaux

Dans le contexte de l'actuel groupe de travail organisé avant la 79e session de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), du 7 au 13 novembre 2020, Front Line Defenders regrette que d'éminentes défenseuses des droits humains égyptiennes et les organisations qu’elles dirigent continuent d’être confrontées à de graves formes de représailles. Les défenseuses des droits humains qui luttent pour un large éventail de droits humains et de libertés dans le pays sont victimes d'acharnement judiciaire, de détention arbitraire ou voient leur travail fortement restreint par les autorités. Les défenseuses des droits humains sont fréquemment criminalisées, beaucoup étant placées en détention préventive pendant deux ans ou plus, où elles sont détenues dans des conditions inhumaines et où elles peuvent se voir arbitrairement refuser l'accès à leurs avocats et à leur famille ou se voir interdire de se rendre dans les tribunaux pour leurs propres audiences de renouvellement de la détention.

Des défenseuses des droits humains, telles qu'Esraa Abdel Fattah, Mahienour El-Masry et Solafa Magdy sont placées en détention préventive depuis 2019, où elles continuent de se voir refuser leurs droits fondamentaux en tant que prisonnières. D'autres, comme Sanaa Seif, ont été emprisonnées plus récemment. De nombreuses défenseuses des droits humains, qui à ce jour ont évité la prison, sont confrontées à d'autres restrictions de leur travail, telles que des interdictions de voyager, contre lesquelles Mozn Hassan, Azza Soliman et Hoda Abdelwahab luttent depuis plus de quatre ans.

Solafa Magdy est journaliste et défenseuse des droits humains. Elle est cofondatrice de «Everyday Footage», une école qui propose des programmes de formation au journalisme mobile. Le 26 novembre 2019, Magdy a été arrêtée avec son mari Hossam Saiad et le journaliste Mohamed Salah, dans un café du Caire. Le couple a disparu de force pendant près de 24 heures. Le 28 novembre 2019, Solafa Magdy a comparu devant les procureurs de la Sûreté de l'État, qui l'ont accusée d'être impliquée dans l'affaire 488, ouverte en mars 2019 après plusieurs manifestations pacifiques et des reportages critiquant la mauvaise gestion du gouvernement suite à l'accident de la gare Ramsès. Plusieurs défenseuses des droits humains, dont Mahienour El-Masry et Esraa Abdel Fattah sont toujours détenues dans le cadre de cette affaire 488. Solafa Magdy est accusée d'avoir «rejoint une organisation illégale», de «mauvaise utilisation des réseaux sociaux» et de «diffusion de fausses nouvelles». La défenseuse aurait été violemment passée à tabac pendant son interrogatoire. Depuis mars 2020, elle est placée en détention préventive dans la prison de Qanater où les autorités pénitentiaires interdisent toutes les visites familiales ; le fils de Magdy, âgé de sept ans, n’a pu contacter aucun de ses parents depuis plusieurs mois, ce qui bafoue les droits de Magdy en tant que mère.

La défenseuse des droits humains et journaliste Esraa Abdel Fattah est en détention préventive depuis octobre 2019 et la défenseuse des droits des prisonniers Mahienour El-Masry, depuis septembre 2019. Après les avoir faites disparaître pendant 24 heures, le parquet les a accusées d'être impliquées dans l'affaire 488. Cependant, près d'un an plus tard, le 31 août 2020, le parquet suprême a ouvert une nouvelle enquête sur les deux défenseuses, l'affaire n ° 855, dans laquelle elles sont toutes deux accusées d'avoir «rejoint une organisation illégale».

Les femmes défenseuses des droits humains sont fréquemment maltraitées et soumises à des sévices physiques depuis qu'elles sont détenues. L'avocat d'Esraa Abdel Fattah a indiqué que pendant son interrogatoire, qui a duré 24 heures, on lui avait bandé les yeux, elle avait été menottée et violemment battue. Elle aurait été contrainte de donner le mot de passe de son téléphone ou soumise à des décharges électriques. La défenseuse a entamé plusieurs grèves de la faim pendant sa détention pour protester contre les mauvais traitements et les tortures dont elle est victime. Esraa Abdel Fattah a été la cible d'une campagne de diffamation à caractère sexuel peu après son arrestation en 2019. Un journal public a accusé la défenseuse des droits humains d'avoir une liaison avec le collègue masculin avec lequel elle avait été arrêtée. Ces campagnes de diffamation sexualisées constituent un défi supplémentaire pour le travail des défenseuses des droits humains égyptiennes et visent à les discréditer parce qu’elles remettent en question les rôles des genres dans une société largement conservatrice.

Le 23 juin 2020, Sanaa Seif a été enlevée par des agents de sécurité devant le parquet. Quelques heures plus tard, elle a été traduite devant le procureur qui l'a condamnée à 15 jours de détention préventive. Elle est accusée d'avoir "diffusé des fausses rumeurs", d'"incitation à commettre des crimes terroristes" et de "mauvaise utilisation des réseaux sociaux". Le 9 août 2020, le parquet a ajouté deux nouveaux chefs d'accusation : "insulte envers un policier en fonction" et "diffamation à l'encontre d'un policier". La prochaine audience est prévue le 10 novembre 2020.

D'autres défenseuses des droits humains sont ciblées à cause de leur travail par d'autres moyens, notamment par le biais d'interdictions de voyager. Les défenseuses des droits des femmes Mozn Hassan, Azza Soliman et l'avocate en droits humains Hoda Abdelwahab ont chacune vu la portée de leur travail limitée après s'être vu interdites de voyages à l'étranger, dans le cadre d'une affaire de financement étranger illégal ouverte début. 2016. L'affaire, appelée Affaire N° 173, implique 41 organisations qui font l'objet d'une enquête, et certains leaders et employés ont été cités à comparaître pour des accusations telles que "réception de fonds illégaux étrangers" et "travail sans autorisation légale". Le 18 juillet 2020, la Cour d'appel du nord du Caire a rejeté l'appel de Mozn Hassan contre l'interdiction de voyager dont elle fait l'objet. L'interdiction de voyager imposée à Mozn Hassan et Azza Soliman est non seulement considérée comme un obstacle au travail des deux défenseuses en faveur de la promotion des droits des femmes, mais elle est également un acte d'intimidation contre tous ceux qui militent contre la discrimination et la violence sexiste en Égypte.

Bien que le Code pénal égyptien stipule que la détention préventive ne doit être utilisée que dans certaines circonstances, et doit être une exception à la règle de la mise en liberté provisoire, elle est devenue la norme de facto pour persécuter les défenseur-ses des droits humains en Égypte. Les détentions doivent être renouvelées tous les 15 à 45 jours pendant une période de deux ans maximum. Souvent, les tribunaux organisent une seule audience pour le renouvellement d’un grand nombre de détentions, sans tenir compte des circonstances individuelles. La situation s'est encore détériorée pendant la pandémie de COVID-19 lorsque les avocats et les accusés ont été interdits de participer aux audiences de renouvellement de détention, qui se sont déroulées à huis clos sans égard pour les prisonniers à risque. Les autorités égyptiennes enfreignent de plus en plus la règle des deux ans maximum pour la détention préventive, en ouvrant de nouvelles enquêtes sur les défenseur-ses des droits humains détenus. On ignore si Esraa Abdel Fattah et Mahienour El-Masry seront désormais maintenues en détention pendant une année supplémentaire, à compter du 31 août 2020, date à laquelle les charges les plus récentes ont été ajoutées.

Front Line Defenders est profondément préoccupée par les actions ciblées systématiques contre les défenseuses des droits humains en Égypte, qui font face à de multiples obstacles lorsqu'elles défendent les droits humains. Elle est particulièrement préoccupée par les défis supplémentaires auxquels sont confrontées les défenseuses des droits humains qui remettent en question les normes sexospécifiques et promeuvent les droits des femmes dans le pays. Les campagnes de diffamation à caractère sexuel, la restriction des droits des femmes en tant que mères et la fermeture des mouvements de défense des droits des femmes ont des effets néfastes sur l’environnement dans lequel les défenseuses des droits humains exercent leur travail et sur les droits qu’elles s’efforcent de protéger et de promouvoir. Dans le contexte du groupe de travail de pré-session de la 79e session de la CEDAW, Front Line Defenders appelle l'Égypte à garantir la protection de toutes les défenseuses des droits humains, en créant un environnement sûr et propice pour qu'elles puissent mener à bien leur travail contre la discrimination structurelle contre tous les défenseur-ses et pour la promulgation de lois qui reconnaissent et protègent les besoins spécifiques des femmes défenseuses.