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10 Mars 2021

Déclaration : Les autorités chinoises doivent cesser les attaques personnelles contre les défenseuses des droits humains turciques

Front Line Defenders condamne fermement les attaques personnelles des autorités chinoises et de l'appareil des médias d'État contre les femmes ouïghoures, kazakhes et turciques, qui se sont publiquement prononcé contre les graves violations des droits humains commises contre elles, les membres de leur famille ou d'autres minorités dans le nord-ouest de la Chine, un région que le peuple ouïghour appelle le Turkistan oriental mais qui est désignée par le gouvernement chinois sous le nom de région autonome ouïghoure du Xinjiang (XUAR). Les défenseuses des droits humains qui ont été ciblées par de telles attaques se sont exprimées publiquement sur les violations des droits humains, notamment la détention arbitraire, le viol, la torture, la séparation des familles et la stérilisation forcée, et résident toutes actuellement en dehors de la Chine.

Ces attaques publiques perpétrées par des représentants du gouvernement chinois et des médias d’État comprenaient des références explicites aux détails personnels et privés des femmes, y compris des informations relatives à leurs antécédents médicaux ou à leur état de santé. Les attaques sont ad hominem et souvent sans rapport avec les témoignages des femmes, exploitant les stéréotypes enracinés de genre, le sexisme et la misogynie, et jouant explicitement et implicitement sur les figures de style genrées.

Des membres des familles des défenseuses des droits humains ont également été utilisés dans des articles, des conférences de presse organisées par l'État et des vidéos publiées par les médias publics, dans lesquels ils critiquaient les femmes pour « avoir répandu des rumeurs » et « menti » à propos de leur expérience en détention. La diffusion des témoignages de membres des familles, vraisemblablement obtenus sous la contrainte, pour discréditer les personnes qui dénoncent des violations des droits humains, s'inscrit dans une stratégie plus large consistant à utiliser les médias d’État pour présenter négativement les défenseur-ses des droits humains et obtenir des aveux forcés, qui sont souvent ensuite diffusés à la télévision.

Lors d'une conférence de presse quotidienne le 23 février 2021, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères (MAE), Wang Wenbin, a attaqué Tursunay Ziyawudun, une défenseuse des droits humains ouïghoure, pour avoir révélé à la BBC et à CNN les abus dont elle avait été victime et témoin pendant près de dix mois de détention arbitraire au Xinjiang en 2018, y compris le viol et l'insertion forcée d'un dispositif intra-utérin. Il brandissait une photo de Tursunay Ziyawudun et d'une autre défenseuse des droits humains ouïghoure, Zumrat Dawut, pendant qu'il parlait.

Lors d'une conférence de presse le 4 février 2021, le même porte-parole a attaqué Zumrat Dawut, tout en brandissant une photo d'elle, après qu'elle a révélé aux médias internationaux qu'elle avait été stérilisée de force, prétendument car elle a eu trop d'enfants. En novembre 2019, le tabloïd d’État The Global Times a publié un article et une vidéo dans lesquels l’un des frères de Zumrat Dawut au Xinjiang l’appelait à cesser de «répandre des rumeurs». Deux jours plus tard, le 6 février 2021, les médias d’État ont de nouveau attaqué Zumrat Dawut dans un article publié simultanément par de nombreux médias d’État, dont Xinhua News et China Global Television Network (CGTN), la chaîne sœur de la chaîne publique chinoise CCTV.

Le même article du 6 février 2021 attaquait également les récits faits aux médias internationaux par la défenseuse des droits humains ouïghoure Mihrigul Tursun concernant les coups et les tortures qu'elle aurait subis au cours de plusieurs périodes de détention arbitraire depuis 2015. En mars 2019, CGTN a diffusé une séquence en anglais dans lequel la mère et le frère de Mihrigul Tursun l'accusaient d'avoir menti sur la mort de l'un de ses fils triplés. La séquence comprenait également un entretien avec un médecin chinois Han qui mentionnait les détails médicaux personnels de l’un des fils de Mihrigul. Des plans rapprochés de ce qui semble être des documents médicaux et d'identité dans lesquels le nom, la date de naissance et d'autres informations personnelles de son fils sont visibles, ont également été inclus dans la séquence.

Lors d'une conférence de presse le 10 février 2021 à Pékin, Xu Guixiang, chef adjoint du département de la propagande du Comité du Parti communiste chinois de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, a attaqué Gulbahar Haitiwaji, une défenseuse des droits humains ouïghoure qui a été poussée à revenir en Chine depuis la France puis détenue pendant trois ans entre 2016 et 2019. Gulbahar Haitiwaji a publié un livre relatant son calvaire après sa libération et son retour en France fin 2019. Le responsable du Xinjiang a tourné en dérision son allégation de stérilisation forcée et a déclaré qu'il était «risible» que la stérilisation soit encore nécessaire pour une femme de son âge (55 ans).

Les survivants et d'autres témoins qui apportent des preuves crédibles de violations des droits humains flagrantes dans le but de promouvoir le droit à la vérité et à ce que les responsabilités soient établies, sont des défenseur-ses des droits humains. La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains stipule que chacun a le droit de « publier, communiquer ou diffuser librement à d'autres des opinions, des informations et des connaissances sur tous les droits humains et les libertés fondamentales » et « d'attirer l'attention du public sur ces questions ».

Les témoignages de survivants concernant les crimes internationaux les plus graves en Chine sont essentiels pour promouvoir le droit à la vérité, en particulier lorsque le gouvernement chinois refuse d'accorder un accès significatif et sans entrave à des observateurs indépendants et impartiaux. La collecte, la consolidation, la conservation et l'analyse de ces témoignages et autres preuves peuvent faciliter et accélérer des procédures pénales équitables et indépendantes devant des cours ou des tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux qui ont ou pourraient à l'avenir avoir compétence sur ces crimes.

Ces attaques personnelles de la part de hauts fonctionnaires et de l'appareil de propagande d'État contreviennent à la fois au droit chinois et au droit international, ainsi qu'aux engagements en matière de droits humains que le gouvernement a pris envers la communauté internationale.

La loi chinoise sur la protection des droits et des intérêts des femmes garantit les droits des femmes à la réputation, à l’honneur, à la vie privée et au droit à l'image. La loi interdit d'injurier ou de dévaloriser la réputation des femmes ou la dignité personnelle à travers des insultes, la calomnie ou d'autres moyens dans les médias publics ou autres. La loi interdit également l'usage de l'image d'une femme sans son consentement.

Entre le 1er et le 5 mars 2021, le Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) a entamé son examen préliminaire du dernier rapport du gouvernement chinois sur son application de la convention. Le rapport du gouvernement indique clairement que « ... pour promouvoir l'égalité des sexes dans les médias grand public et favoriser une opinion publique qui respecte les femmes et l'égalité des sexes, la Chine renforce continuellement son mécanisme de surveillance de l'égalité des sexes dans l'industrie des médias, en s'appuyant sur les nouveaux médias pour diffuser largement le concept d’égalité des sexes ». En octobre 2020, le président chinois Xi Jinping a déclaré lors d'un événement de haute importance à l'ONU que son gouvernement était « prêt à faire encore plus » pour faire progresser les droits des femmes dans le monde et a exhorté le monde à « éliminer les préjugés, la discrimination et la violence à l'égard des femmes et à faire de l'égalité des sexes une norme sociale et un impératif moral observés par tous. » L'attaque du gouvernement contre les femmes ouïghoures et d'autres défenseuses des droits humains va à l'encontre de ces déclarations.

Front Line Defenders est préoccupée par le fait que l'état et les antécédents médicaux, quelle que soit leur véracité, de ces défenseuses des droits humains aient été partagés publiquement, sans leur consentement, dans le but de discréditer leurs témoignages sur les violations ; en outre, il est inquiétant que certains professionnels de la santé soient impliqués dans ces attaques genrées. Front Line Defenders fait écho aux préoccupations soulevées la semaine dernière par la Rapporteuse spéciale chargée des droits de l’Homme dans le contexte de lutte contre le terrorisme, selon lesquelles les gouvernements ont « fait basculer les institutions et les professions qui traditionnellement protégeaient la santé, la maternité, l’éducation et le bien-être dans le camp des garants des politiques nationales de sécurité ». La Rapporteuse spéciale a averti que l'impact de « ce caractère *sécuritaire donné aux soins et interventions de première ligne a des conséquences importantes pour les familles, en particulier les familles marginalisées, tant sur le plan de la qualité des soins qu’elles reçoivent qu’eu égard à la stigmatisation et aux préjudices qui découlent du fait d’être traitées comme des menaces pour la sécurité plutôt que comme des personnes et des familles ayant des besoins et des droits. »

Front Line Defenders appelle le gouvernement chinois à immédiatement cesser toute forme de calomnie, de fausses rumeurs et de harcèlement contre les familles et les défenseuses des droits humains ouïghoures, kazakhes et turciques qui dénoncent les graves crimes internationaux.

Cette campagne de dénigrement orchestrée par l'État et les figures de style genrées sur lesquelles elle joue sont un rappel brutal du caractère mensonger et peu crédible de la rhétorique répétée du gouvernement chinois sur son engagement en faveur de la protection des droits humains et de l'égalité des sexes. Cela renforce l'urgence pour la communauté internationale de prendre des mesures décisives, comme l'ont demandé 50 titulaires de mandat au titre des procédures spéciales de l'ONU en juin 2020, pour garantir la responsabilité des violations généralisées et systématiques des droits humains en Chine.

Front Line Defenders réitère ses recommandations aux États membres de l'ONU de : convoquer une session extraordinaire du Conseil des droits de l'Homme pour évaluer l'éventail des violations commises par le gouvernement chinois, y compris les violations contre les défenseur-ses des droits humains ; établir et fournir des ressources adéquates à un mécanisme des Nations Unies impartial et indépendant pour suivre de près, analyser et faire des rapports annuels sur ces questions ; et aider le Secrétaire général à nommer un Envoyé spécial pour la Chine, conformément à son Appel à l'action sur les droits humains, et la Haut-Commissaire aux droits de l'Homme pour s'acquitter de son mandat indépendant de surveillance et de rapport public sur les violations généralisées des droits en Chine.