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16 Mai 2018

Lettre ouverte au président de la FIFA Gianni Infantino

28 avril 2018

M. Gianni Infantino
Président, Fédération Internationale de Football Association (FIFA)
FIFA-Strasse 20
Zurich, Suisse

Objet: Oyub Titiev, défenseur des droits humains en Tchétchénie, lieu où sera basée l'équipe d'Égypte

Monsieur Infantino,

Nous vous écrivons à propos de la crise des droits humains en Tchétchénie, dont la capitale Grozny sera le camp de base de l'équipe d'Égypte, comme l'a confirmé la FIFA. En janvier 2018, les autorités tchétchènes ont intensifié les attaques contre l'éminente organisation de défense des droits humains russe Memorial, en emprisonnant le responsable du bureau local de Memorial, Oyub Titiev, en vertu de fausses accusations.

Nous appelons la FIFA à parler aux autorités russes de la crise des droits humains en Tchétchénie, notamment de l'attaque contre Titiev et Memorial. Un tel engagement est cohérent avec la responsabilité de la FIFA à respecter les droits humains en vertu des Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme. Il est également cohérent avec l'article 3 des statuts de la FIFA, relatif à la promotion de la protection des droits humains et prouverait la détermination à mettre en œuvre sa nouvelle politique en terme de droits humains.

Contexte en Tchétchénie

Depuis dix ans le leader de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, réprime même la plus infime dissidence: que cela soit par le biais de dignitaires ou par le biais d'intermédiaires qui agissent en toute impunité; les défenseur-ses des droits humains sont menacés, passés à tabac et tués, tandis que leurs bureaux sont incendiés. Les forces de sécurité de Kadyrov perpètrent des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées contre de présumés combattants islamistes et ceux qui critiquent le gouvernement et mettent en place des punitions collectives. En mai 2017, Sports and Rights Alliance vous a écrit à propos des purges anti-gays perpétrées en Tchétchénie; des douzaines d'hommes présumés homosexuels ont été arrêtés, humiliés et torturés. Nos organisations travaillent en Tchétchénie depuis de nombreuses années et ont recensé un très grand nombre d'exactions.

En décembre 2017, deux semaines avant l'arrestation de Titiev et juste après qu'Instagram a bloqué le compte du leader tchétchène, Magomed Daudov (le plus proche associé de Kadyrov et porte-parole du parlement de Tchétchénie) a publiquement déclaré que le blocage est du aux activités des défenseur-ses des droits humains. Magomed Daudov a taxé les défenseur-ses des droits humains d'"ennemis" qui doivent être "séparés de la société normale". Après l'arrestation de Titiev, Kadyrov lui-même a déclaré: "ils [les défenseur-ses des droits humains] doivent savoir: ils ne travailleront pas dans notre région". Kadyrov avait alors promis de "casser le dos de nos ennemis". Ces déclarations viennent appuyer notre conclusion, à savoir que l'affaire contre Oyub Titiev a un motif politique.

La FIFA peut faire la différence et a la responsabilité de le faire

Nous craignons, compte tenu de notre expérience dans la région, que Kadyrov cherche à profiter de l'utilisation de Grozny comme lieu d'entrainement pour remonter sa crédibilité et son prestige, et que cela renforce la répression contre les défenseur-ses des droits humains à l'approche et après la Coupe du monde, et en particulier contre les voix critiques dans la région.

La politique de la FIFA en matière de droits humains requiert que les nombreuses entités liées à la FIFA respectent les droits humains. La politique stipule que la FIFA ira "au-delà de sa responsabilité de respecter les droits humains" notamment en prenant des "mesures pour promouvoir la protection des droits humains et de contribuer positivement à leur jouissance, en particulier lorsqu'elle peut user de son influence". Le Troisième pilier de la politique "protection et solution", confirme que " Lorsque les libertés des défenseurs des droits de l’homme (...) sont menacées, la FIFA prendra les mesures adéquates pour assurer leur protection, notamment en usant de son influence auprès des autorités compétentes".

La FIFA peut agir immédiatement sur la base de cet engagement en usant de son influence auprès des autorités russes et directement auprès du président Poutine, pour protéger Oyub Titiev et Memorial. Un tel engagement montrerait que la présence de la FIFA dans la région ne détourne pas l'attention des violations des droits humains flagrantes mais qu'au contraire, elle protège et promeut les droits humains.

Contexte de l'affaire d'Oyub Titiev

Oyub Titiev, 60 ans, est directeur du bureau local de Memorial à Grozny depuis huit ans. Le 9 janvier 2018, la police tchétchène l'a arrêté en vertu de fausses accusations de possession de drogue. Ce n'est pas la première fois que des personnes qui critiquent les autorités de la république tchétchène sont accusées de possession de drogue. Par ailleurs, deux incendies criminels distincts contre des biens appartenant à Memorial dans le Nord Caucase, dans des régions voisines de la Tchétchénie, ont été perpétrés dans la semaine après l'arrestation de Titiev.

Oyub Titiev est toujours en détention préventive et risque jusqu'à 10 ans de prison. Au vu de notre expérience collective de travail dans cette région, nous sommes convaincus que seul un engagement ferme peut éviter à Oyub Titiev une peine de prison et faire en sorte que Memorial, la seule organisation de défense des droits humains sur le terrain, puisse continuer son travail vital en Tchétchénie.

Notre expérience collective nous pousse aussi à conclure qu'Oyub Titiev ne sera pas jugé équitablement. Le système judiciaire n'est pas indépendant en Tchétchénie; les autorités harcèlent, intimident et font directement pression sur les juges et les membres du jury. L'inculpation de Titiev, si le procès a lieu, et la fermeture forcée de Memorial en Tchétchénie qui s'en suivrait inévitablement, seraient un scandale, en particulier car cela aurait lieu dans une région qui serait le camp de base d'une équipe finaliste. Ce scandale jetterait une ombre sur la Coupe du monde 2018 et entacherait les efforts de la FIFA pour annoncer une politique en faveur des défenseur-ses des droits humains et des journalistes.

Nous sommes convaincus que les autorités agissent en guise de représailles contre Oyub Titiev, à cause de son travail en faveur des droits humains, et pour évincer Memorial hors de Tchétchénie. Les persécutions contre Oyub Titiev et Memorial menacent la défense des droits humains en Tchétchénie. C'est une tentative effrontée qui vise à réduire au silence tous ceux qui critiquent les autorités tchétchènes et laisse les victimes d'exactions avec pas ou peu de soutien. Nous sommes certains que la FIFA peut jouer un rôle crucial pour aider à trouver une solution à cette situation et qu'elle a une position unique pour influencer le gouvernement russe à cet égard. La FIFA peut plus particulièrement appeler les autorités russes et le président Poutine à libérer immédiatement et sans condition Oyub Titiev, à enquêter de façon impartiale sur les attaques contre Memorial et à garantir un environnement sûr et encourageant dans lequel il est possible de défendre et promouvoir les droits humains sans la crainte de punition, représailles et intimidation.

Nous vous remercions pour votre attention et attendons votre réponse.

Sincères salutations,

Front Line Defenders,
Norwegian Helsinki Committee
FIDH (within the framework of the Observatory for the protection of human rights defenders)
OMCT (within the framework of the Observatory for the protection of human rights defenders)
Conflict Analysis and Prevention Center,
Human Rights Watch
Committee against Torture
International Memorial
Civil Rights Defenders
Amnesty International
Russian LGBT Network
People in Need
Freedom House
Civic Assistance Committee