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19 Mai 2020

Acharnement judiciaire contre des défenseur-ses des droits humains à l'approche des élections présidentielles

Entre fin avril et début mai 2020, plusieurs défenseur-ses des droits humains en Biélorussie ont été arbitrairement détenus et la cible d'acharnement judiciaire pour avoir participé à des rassemblements pacifiques et critiqué les politiques gouvernementales. Cette vague de poursuites intentées contre les défenseur-ses des droits humains se déroule dans le contexte de la campagne des élections présidentielles, qui doit avoir lieu le 9 août 2020.

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Depuis le début du mois de mai, environ 120 personnes, dont plusieurs défenseur-ses des droits humains, ont été arrêtées, condamnées à une amende ou condamnées à une peine pouvant aller jusqu'à 25 jours de détention pour avoir enfreint la procédure de manifestation, conformément à l'article 23.34 du Code des infractions administratives. Les arrestations sont liées à trois mouvements de protestation, à savoir des manifestations hebdomadaires contre une usine de batteries à Brest ; le rassemblement du Youth Bloc à Minsk contre la décision d'organiser le défilé annuel du Jour de la Victoire le 9 mai dans le contexte du COVID-19 ; et de nombreux rassemblements pour protester contre l'arrestation du célèbre YouTubeur Syarhei Tikhanousky. Syarhei Tsikhanouski a voyagé à travers le pays ces derniers mois, interviewant des gens dans la rue pour sa chaîne YouTube "Un pays pour la vie", sur laquelle il critique les politiques gouvernementales. Après son arrestation le 6 mai 2020, il est apparu que Syarhei Tsikhanouski avait l'intention de se présenter aux élections présidentielles. En outre, des défenseurs des droits humains et des journalistes qui ont observé ou couvert les manifestations ont également été pris pour cible. Plusieurs autres défenseur-ses des droits humains qui ont critiqué la politique environnementale de l’État ou commenté la question du COVID19 ont également été pris pour cible et pourraient être poursuivis au pénal. Cinq des défenseur-ses des droits humains arrêtés appartiennent à la principale organisation de défense des droits humains en Biélorussie, Human Rights Centre Viasna (HRC Viasna).

Aliaksandr Burakou est un défenseur des droits humains, membre du HRC Viasna et journaliste à mspring.online, un site Web qui couvre les violations des droits humains en Biélorussie. Le 8 mai 2020, Aliaksandr Burakou a été arrêté à Moguilev dans le cadre d'une manifestation organisée le 6 mai contre la détention de Syarhei Tsikhanouski. Il a été détenu pendant 72 heures, dont les sept premières heures dans une pièce froide et sans fenêtre ne dépassant pas 2,5 m sur 2,5 m. Le 11 mai, il a comparu devant le tribunal du district de Leninsky où il a été condamné à 10 jours de détention pour violation de la procédure d’organisation et de tenue d’une manifestation (article 23.34 du Code des infractions administratives).

Le fils d'Aliaksandr Burakou, Ales Burakou, est défenseur des droits humains, journaliste et également membre du HRC Viasna. Le 15 mai 2020, Ales Burajou a été arrêté chez lui et conduit au département des affaires intérieures du district de Leninsky dans la ville de Moguilev. Il a été condamné le même jour à 10 jours de détention administrative pour sa participation présumée à un événement de masse non autorisé le 6 mai.

Le 10 mai 2020, les défenseurs des droits humains Raman Kisliak, membre du conseil d'administration de For Freedom Movement, et Uladzimir Vialichkin, membre du HRC Viasna, ont été arrêtés arbitrairement alors qu'ils surveillaient une manifestation contre la construction d'une usine de batteries à Brest. Les manifestations, appelées "nourrir les pigeons", ont lieu dans la ville chaque dimanche depuis mars 2018. Lorsqu'ils ont été arrêtés, les deux défenseurs ont été placés dans un lieu inconnu et leurs familles et collègues n'ont pas pu les contacter. Il s'est finalement avéré qu'ils avaient été conduits au département des Affaires intérieures du district de Kobrinsky, à environ 40 km de Brest, avant d'être transférés le 12 mai au centre de détention provisoire du département des Affaires intérieures du district de Leninsky à Brest.

Raman Kisliak a d'abord été arrêté pour avoir surveillé les manifestations de "nourrir les pigeons", puis a été accusé d'avoir participé à des manifestations pacifiques les 12 avril et 3 mai. L'audience relative à son cas a été reportée à deux reprises, en raison de la motion présentée par son avocat selon laquelle des vidéos montrant que le défenseur des droits humains surveillait simplement la manifestation et n'y participait pas devraient être versées au dossier. Il a été libéré le 14 mai en attendant le procès. L’audience de Raman Kisliak, prévue pour le 19 mai, a été reportée car il est actuellement malade et elle aura lieu lorsqu’il sera guéri.

Le 12 mai 2020, Uladzimir Vialichkin a comparu devant le tribunal du district de Leninsky ; il est accusé d'avoir participé à un événement de masse illégal le 12 avril 2020. Le défenseur des droits humains a été condamné à une amende équivalente à 500 euros et a de nouveau été arrêté dans la salle d'audience après son audience. Il a été détenu pendant deux jours et, le 15 mai 2020, il a de nouveau comparu devant le tribunal pour avoir participé à un événement de masse "non autorisé" le 3 mai. Il a été reconnu coupable, condamné à payer une amende équivalant à environ 300 euros et été remis en liberté.

Alena Masliukova est défenseuse de l'environnement et membre du HRC Viasna à Svetlogorsk. Elle a été particulièrement engagée dans des activités contre la construction d'une usine de blanchiment de pâte à Svetlogorsk en raison de son impact environnemental négatif. Le 23 avril 2020, Alena Masliukova a été interrogée dans le cadre d'une enquête pénale relative à une plainte déposée contre elle en vertu de l'article 189 du code pénal par une femme nommée Galina Zobova. Son téléphone et son ordinateur portable ont aussi été saisis dans le cadre de l'enquête. La plainte est liée à un commentaire que la défenseuse des droits humains a posté sur les médias sociaux le 16 février 2020 comprenant une vidéo du président Loukachenko visitant l'usine de blanchiment de pâte à papier de Svetlogorsk, où Galina Zobova travaille. Dans ce message, Alena Masliukova critiquait le président et les autorités pour avoir prétendument diffusé des informations fausses et inexactes concernant le but de l’usine. Elle a également critiqué Galina Zobova, qui appairait dans la vidéo et qualifie les militants écologistes de "hurleurs" dans sa question au président. Suite à la saisie de son téléphone et de son ordinateur portable, le 24 avril 2020, la défenseuse de l'environnement a déposé plainte contre la saisie illégale de son téléphone et de son ordinateur portable auprès du parquet du district de Svetlogorsk.

Andrei Miadzvedzeu est journaliste et membre du HRC Viasna à Rechytsa. Le 7 mai 2020, il a été interrogé à propos d'un commentaire critique qu'il avait écrit et publié sur le réseau social Vkontakte, en réponse à un article publié dans le journal local Dniprovets. Bien qu'aucune plainte n'ait été déposée par le rédacteur en chef du journal, qui est une condition légale à l'ouverture d'une enquête, Andrei Miadzvedzeu est actuellement sous le coup d'une enquête et pourrait faire l'objet de poursuites pénales en vertu de l'article 189 (insulte) du Code pénal.

Front Line Defenders est préoccupée par le récent ciblage des défenseur-ses des droits humains, des défenseur-ses de l'environnement, des journalistes et de ceux qui critiquent les politiques gouvernementales en Biélorussie. Il est particulièrement préoccupant que l'augmentation des actions ciblées coïncide avec l'annonce des élections présidentielles et que ceux qui protestaient contre l'arrestation d'un candidat potentiel de l'opposition aient à leur tour été arrêtés. Les actions ciblées contre les défenseur-ses des droits humains auront un effet dissuasif sur la société civile et affecteront le rôle important des défenseur-ses des droits humains qui assurent un suivi indépendant pendant la campagne électorale et le jour du scrutin.

Front Line Defenders exhorte les autorités de Biélorussie à libérer immédiatement Aliaksandr Burakou et Ales Burakou et à mener immédiatement une enquête approfondie et impartiale sur la détention arbitraire des défenseur-ses des droits humains. Elle exhorte les autorités à abandonner toutes les charges contre les six défenseur-ses des droits humains énumérés ci-dessus, car il semble que cela soit uniquement motivé par leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains. Elle demande également aux autorités de mettre fin au harcèlement du HRC Viasna, qui semble motivé par les activités pacifiques de l'organisation en faveur des droits humains. Front Line Defenders exhorte les autorités à garantir qu'en toutes circonstances, tous-tes les défenseur-ses des droits humains en Biélorussie puissent mener à bien leur travail légitime, sans craindre ni restrictions ni représailles, y compris l'acharnement judiciaire.