Back to top
6 Septembre 2022

DÉCLARATION CONJOINTE: LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DEMANDENT UN CADRE COMMUNAUTAIRE EFFICACE EN MATIÈRE DE VISAS POUR LES DÉFENSEUR⸱SES DES DROITS HUMAINS EN DANGER

 Les défenseur⸱ses des droits humains ont le droit de mener à bien leur travail légitime en toute sécurité et d'accéder à un soutien et à une protection lorsqu'ils sont en danger, en particulier ceux qui opèrent dans les contextes les plus difficiles. Leur droit de défendre les droits est systématiquement consacré par l'Union européenne dans ses orientations et déclarations politiques, ainsi que dans sa programmation financière et ses actions extérieures. En fait, l'Union européenne est un acteur majeur dans la promotion et la protection des droits humains dans le monde et elle est considérée par la communauté des défenseur⸱ses des droits humains comme une source inestimable d'autonomisation et de légitimité.

Les défenseur⸱ses des droits humains exercent souvent leur activité au péril de leur vie et sont de plus en plus souvent victimes d'assassinats, d'attaques, de menaces et d'actes d'intimidation en raison de leurs activités pacifiques, sans compter qu'ils sont soumis à la répression, à une législation restrictive et au harcèlement judiciaire. Pour ces défenseur⸱ses des droits humains à risque, la possibilité d'accéder à un visa pour un territoire européen apparaît comme un outil de sécurité et de protection essentiel, qui leur permet de mener leurs activités dans leur pays de manière plus sûre et protégée. Les visas et les visas à entrées multiples sont largement considérés par la communauté internationale des défenseur⸱ses des droits humains comme un élément vital d'une stratégie de sécurité globale, qui permet aux défenseur⸱ses d'envisager la possibilité d'entrer et de sortir de leur pays d'une manière qui leur permette de gérer le niveau de risque auquel ils sont confrontés en raison de leur travail, et de continuer à travailler dans leurs communautés sans les obliger à recourir à des voies d'asile permanentes lorsqu'ils sont confrontés à des menaces aggravées. Cependant, malgré les engagements politiques et les lignes directrices existantes, le soutien déclaré de l'UE et de ses États membres aux défenseur⸱ses des droits humains n'est pas compatible avec les politiques et pratiques actuelles de l'UE en matière de visas, car les défenseur⸱ses des droits humains en danger dans le monde entier ne disposent pas de procédures cohérentes pour accéder de manière efficace et prévisible aux visas pour le territoire de l'UE.

La communauté de soutien aux défenseur⸱ses des droits humains, y compris le Consortium d'organisations mettant en œuvre le mécanisme de l'Union européenne pour les défenseur⸱ses des droits humains ProtectDefenders.eu, a systématiquement constaté et documenté avec beaucoup d'inquiétude les obstacles nombreux, divers et flagrants que rencontrent les défenseur⸱ses pour accéder aux visas européens. ProtectDefenders.eu - qui a aidé plus de 45 000 défenseur⸱ses des droits humains et organisations de la société civile à poursuivre leur travail dans les situations les plus difficiles depuis 2015 - se heurte à ces obstacles également dans le cadre de ses activités quotidiennes de mise en œuvre de programmes de soutien pratique aux défenseur⸱ses des droits humains financés par l'UE. Chaque jour, les défenseur⸱ses des droits humains sont confrontés à un ensemble d'obstacles qui entravent leur accès à cet outil essentiel de sécurité et de protection, les empêchant d'accéder à un refuge sûr lorsque cela est nécessaire, ainsi que de s'engager dans les possibilités existantes de repos et de répit et les programmes de relocalisation temporaire, ou de mener des activités internationales essentielles de plaidoyer, de mobilisation ou de mise en réseau sur le territoire de l'UE.

Ce manque d'accès fiable, prévisible et cohérent aux visas européens pour les défenseur⸱ses des droits humains aggrave inutilement le risque, l'isolement et la vulnérabilité auxquels ils sont confrontés en raison de leur travail, ce qui est exacerbé pour les défenseur⸱ses appartenant à des groupes particulièrement menacés - tels que les femmes défenseur⸱ses des droits humains, les défenseur⸱ses des droits des LGBTI ou les défenseur⸱ses des droits des autochtones -, pour ceux qui sont confrontés à des processus de criminalisation fallacieuse visant à entraver leur mobilité, ou pour ceux qui n'ont pas un accès sûr aux documents de voyage de base. Les crises majeures qui touchent les défenseur⸱ses des droits humains et les réactions massives contre la société civile révèlent notoirement les lacunes dans la mise en œuvre effective des engagements politiques et des lignes directrices de l'UE en matière de visas, comme l'a récemment illustré la demande de soutien des défenseur⸱ses des droits humains et des membres de la société civile en Afghanistan qui ont besoin d'une évacuation urgente. Une politique plus prévisible, coordonnée et cohérente en matière de visas pour les défenseur⸱ses des droits humains - permettant des protocoles flexibles et réactifs dans les situations critiques - aurait permis d'éviter, ou du moins d'atténuer, les déficiences de la réponse de l'UE, ou son absence.

À l'exception des exemples positifs de bonnes pratiques et d'initiatives mises en œuvre par certains États membres, institutions européennes ou acteurs politiques de l'UE, l'UE dans son ensemble n'a pas encore fait d'efforts sérieux pour intégrer l'accès aux défenseur⸱ses des droits humains à risque dans ses politiques de visas. Les instruments législatifs actuels et les pratiques établies ne respectent pas la cohérence requise pour les actions de l'Union inscrite dans les traités de l'UE et témoignent d'un manque d'harmonisation, de partage des efforts et de coordination entre les États membres et les institutions européennes.

ProtectDefenders.eu et les organisations soussignées sont convaincues qu'avec une volonté politique et des lignes directrices claires, l'UE peut et doit revenir à son mandat politique en faveur des droits humains et des défenseur⸱ses des droits humains, et prendre la tête de la mise en œuvre d'initiatives concrètes, de bonnes pratiques et de changements de politique pour faire en sorte que les défenseur⸱ses des droits humains à risque puissent accéder aux visas de l'Union européenne avec des garanties, une sécurité et une prévisibilité.

Plus spécifiquement, ProtectDefenders.eu et les organisations soussignées appellent les parties prenantes de l'UE à :   i) proposer une procédure facilitée spécifique pour les défenseur⸱ses des droits humains au sein du code des visas de l'UE, en fixant des critères communs et en définissant les éléments d'une procédure             facilitée ;   ii) inclure des instructions dans le manuel des visas de l'UE sur l'octroi de facilités aux défenseur⸱ses des droits humains et aux membres de leur famille,   iii) travailler à la modification des instruments juridiques relatifs aux visas, en particulier le Code des Visas, et   iv) introduire des amendements à la directive sur la protection temporaire qui permettent d'accorder un statut de protection temporaire dans l'UE aux défenseur⸱ses en danger.

En outre, ProtectDefenders.eu et les organisations soussignées appellent les États membres de l'UE à mettre en œuvre des politiques et des lignes directrices cohérentes pour reconnaître le droit des défenseur⸱ses des droits humains à accéder aux visas ; ainsi qu'à promouvoir l'utilisation exhaustive de leurs prérogatives actuelles pour garantir d'urgence l'accès aux visas pour ceux qui sont confrontés à des menaces et des risques graves. En coordination avec la communauté internationale de défense des droits humains,ProtectDefenders.eu et les organisations soussignées se réjouissent de collaborer avec tous les acteurs publics de l'UE à tous les niveaux dans les efforts visant à assurer la mise en œuvre urgente d'un cadre permettant aux défenseur⸱ses d'accéder aux visas dans l'UE.

ProtectDefenders.eu est le mécanisme de défense des droits humains de l'Union européenne, dirigé par un consortium de 12 ONG actives dans le domaine des droits humains :

  • Asian Forum for Human Rights and Development (FORUM-ASIA)
  • DefendDefenders – East and Horn of Africa Human Rights Defenders project
  • Euro-Mediterranean Foundation of Support to Human Rights Defenders (EMHRF)
  • ESCR-Net
  • Front Line Defenders
  • ILGA World
  • Peace Brigades International
  • Protection International
  • Reporters Without Borders
  • The International Federation for Human Rights (FIDH)
  • The World Organisation against Torture (OMCT)
  • Urgent Action Fund for Women’s Human Rights (UAF)

Cette initiative est soutenue par:

  • AfricanDefenders
  • Amnesty International
  • Araminta
  • Artist Protection Fund
  • Artists at Risk (AR)
  • Asociación Zehar-Errefuxiatuekin
  • Brot für die Welt
  • Cairo Institute for Human Rights Studies
  • Center for Applied Human Rights (CAHR), University of York
  • Civil Rights Defenders
  • Comissió Catalana d’Ajuda al Refugiat (CCAR)
  • Defenders in Dordrecht (DiD)
  • Docip (Indigenous Peoples’ Center for Documentation, Research and Information),
  • European Center for Press and Media Freedom (ECPMF)
  • Free Press Unlimited (FPU)
  • Freedom House
  • Gulf Centre for Human Rights (GCHR)
  • Hamburg Foundation for politically persecuted persons
  • Heinrich Böll Stiftung
  • Human Rights House Foundation (HRHF)
  • Human Rights House Tbilisi
  • Humanists International
  • Iniciativa Mesoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Humanos
  • International Arts Rights Advisors (IARA)
  • International Dalit Solidarity Network (IDSN)
  • International Partnership for Human Rights (IPHR)
  • International Service for Human Rights (ISHR)
  • Justice & Peace
  • Mundubat
  • Open Society Foundations (OSF)
  • PEN America's Artists at Risk Connection (ARC)
  • Pen International
  • Réseau de Défenseurs des Droits Humains de l’Afrique Centrale (REDHAC)
  • Scholars at Risk
  • Southern Africa Human Rights Defenders Network
  • Tbilisi Shelter City
  • Un Ponte Per
  • Unit for the protection of human rights defenders of Guatemala (UDEFEGUA)
    _________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

ANNEXE 1 :

Chaque jour, les défenseur⸱ses des droits humains en danger sont confrontés à des défis, des barrières et des obstacles lors de leur demande de visa pour l’UE. Voici une liste non exhaustive de ces obstacles :

Les difficultés à répondre aux exigences des demandes — également à cause de leur travail en tant que défenseur⸱ses des droits humains.       

  • En de nombreuses occasions, ces difficultés sont dues à des poursuites judiciaires fallacieuses et truquées contre les défenseur·ses, les empêchant de fournir un casier judiciaire vierge lors de la demande de visas.       Dans trop de cas, il est pratiquement impossible et extrêmement difficile pour les militants à faible revenu de démontrer la solvabilité économique requise.       Le manque d’accès à l’informatique ou à internet pour soumettre des demandes de visa, ou le manque de connaissances en TI, ou de cartes de crédit/débit pour traiter les paiements en ligne.       Options linguistiques limitées des demandes de visa par les DDH.       Pour les DDH en exil, il peut être compliqué de remplir les exigences de leur pays de résidence actuelle.       Les défenseur·ses rencontrent également des difficultés à prouver qu’ils retourneront dans leur pays après l’expiration de la période de visa.      Les membres de la famille sont souvent incapables d’être joints facilement, en raison des exigences supplémentaires requises.   
  • Le long processus bureaucratique constitue un obstacle insurmontable en de nombreuses occasions, notamment en cas d’urgence. Les longs délais d’attente pour obtenir un rendez-vous et le long processus d’évaluation, peuvent aggraver le risque auquel les défenseur·ses font face, et dans d’autres cas, mènent à la raison pour laquelle la demande les fait passer. 
  • Les longues procédures sont exacerbées par le recours à des organismes tiers pour traiter les demandes de visa. L’utilisation de ces agences appartenant au personnel local et non au personnel diplomatique ne reconnaît pas toujours les besoins des DDH, mais aggrave également les risques auxquels ils sont confrontés.   
  • Les difficultés sont encore plus importantes pour les défenseur·ses isolés, celles et ceux en dehors des capitales où se trouvent les centres de visas, ou celles et ceux qui n’ont pas de document de voyage valide tel qu’un passeport. Les DDH LGTBIQ+ sont également confrontés à des difficultés bureaucratiques et administratives particulières en ce qui concerne, par exemple, leur état matrimonial.   
  • Les inégalités structurelles et la discrimination rendent ces difficultés plus fréquentes et intenses pour les défenseuses des droits humains.   
  • Les informations sur les filières de visa actuellement établies qui sont activement utilisées pour soutenir les DDH par certains pays de l’UE ne sont pas largement accessibles à celles et ceux qui souhaitent présenter une demande.   
  • La pandémie de COVID-19 accentue les défis concernant les demandes de visa, comme l’impossibilité de se rendre aux entrevues.   
  • Par conséquent, les défenseur⸱ses des droits humains signalent une augmentation des refus de visas Schengen, ainsi que l’ordre de refuser automatiquement toute demande provenant de pays spécifiques, car tout candidat est considéré comme un demandeur d’asile potentiel. Il apparaît de plus en plus que seuls les DDH ayant des contacts personnels au sein des ambassades européennes ou des personnalités politiques influentes peuvent obtenir des visas. Les DDH travaillant avec les organisations internationales de la société civile signalent que le visa Schengen est devenu une question de privilège à laquelle seuls certains défenseur·ses ont accès, et même les baisses de visa semblent être généralisées et systématiques pour les DDH de certains pays, comme la Syrie, l’Irak, la Palestine et le Yémen.

ANNEXE 2 |

Néanmoins, certains États et institutions dans le monde exercent actuellement un large éventail de prérogatives pour faciliter l’accès aux visas pour les défenseur⸱ses des droits humains. Voici certaines des meilleures pratiques :

  • L’Espagne dispose d’un visa de résidence spécial d’un an pour les DDH (Residencia Temporal no Lucrativa), via le Programme espagnol de soutien et de protection des DDH en danger visant à fournir un refuge temporaire aux DDH.
  • La Suisse renonce aux frais de visa pour les DDH participant aux événements du Conseil des droits de l’homme afin d’alléger le fardeau financier des demandes de visa pour les DDH.
  • Aux Pays-Bas, il y a une évaluation accélérée de la demande de visa pour les DDH en danger acceptés par le programme Justice and Peace Netherlands for the Shelter City, qui peuvent obtenir leur visa en deux ou trois jours, même dans les 24 heures. Cela peut se faire sur le plan administratif grâce à une coopération étroite entre Justice and Peace et le ministère néerlandais des Affaires étrangères.
  • Grâce au travail de l’ICORN, il existe des règles d’entrée nationales distinctes et des visas de long séjour pour les écrivains en danger en Norvège (par le biais du programme de réinstallation des réfugiés, en partenariat avec le PEN norvégien), en Suède (permis de séjour temporaire) et au Danemark (permis de résidence de deux ans pour les écrivains invités dans les villes membres d’une organisation internationale).
  • Un programme de « Facilitation de la procédure de visa pour les DDH » — mis en place avec le gouvernement irlandais, permet à Front Line Defenders d’obtenir rapidement des visas temporaires pour les défenseur⸱ses des droits humains confrontés à des dangers imminents ou ayant besoin d’un répit en raison de persécutions constantes.
  • Au Costa Rica, il existe une procédure d’immigration spéciale pour les DDH hébergés par Shelter City Costa Rica, leur accordant le statut de « Mécanisme de protection temporaire » pour une période de six mois avec la possibilité de l’étendre jusqu’à un an. Ce statut spécial, comme sa prolongation, ne peut être demandé que par la Fundación Acceso, l’ONG mettant en œuvre « Shelter City Costa Rica », et est basé sur une résolution officielle émise par la Direction générale des Migrations.
  • La ville de Berlin dispose d’un permis de séjour et de travail spécifique accordé aux artistes et journalistes, qui a été accordé dans certains cas aux DDH ayant ce profil.
  • Le volet canadien dédié aux réfugiés pour les défenseur⸱ses des droits humains permet à ProtectDefenders.eu et Front Line Defenders, aux côtés d’autres partenaires canadiens et internationaux, y compris le HCR, de contribuer à identifier les DDH qui sont en danger et qui ont besoin d’une réinstallation permanente.
  • Le processus de visa pour l’Afrique du Sud prend en compte les défis particuliers des DDH. Par exemple, les DDH en exil peuvent demander et obtenir des visas même sans résidence de longue durée dans le pays.
  • En outre, il existe certaines bonnes pratiques non spécifiques, mais bénéfiques pour les DDH. Par exemple, certaines missions locales ont un processus de visa simplifié — des partenaires locaux traitent les visas et reçoivent les demandes et les paiements et fournissent des conseils pour remplir les formulaires. Les bureaux des visas sont basés dans les missions des pays, et ils traitent les demandes de manière rapide et efficace.