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17 Février 2023

L’UE DEVRAIT PRIVILÉGIER LES DROITS DANS SES RELATIONS AVEC LA CHINE APRÈS AVOIR CONSTATÉ DE POTENTIELS CRIMES CONTRE L’HUMANITÉ

Monsieur le Représentant Borrell,

Comme annoncé lors de la visite en Chine du Président du Conseil Charles Michel et rapporté par les médias, nous comprenons que l’Union européenne (UE) et ses États membres envisagent la reprise du dialogue UE-Chine sur les droits humains dans le cadre de leur engagement avec leurs homologues chinois au cours des prochains mois. Nous exhortons une fois de plus l’UE et ses États membres à suspendre le dialogue UE-Chine sur les droits humains et privilégier des résultats solides et concrets en matière de droits humains dans tous les domaines de leurs relations avec la Chine. Nos préoccupations sont d’autant plus urgentes que le rapport d’août 2022 du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) conclut que la façon dont la Chine traite les Ouïghours et d’autres groupes à prédominance musulmane « peut constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité », et l’intensification de la répression à laquelle sont confrontés les activistes et les personnes perçues comme critiques en Chine avant et après la confirmation du troisième mandat de Xi Jinping en tant que leader du Parti communiste chinois.

Nos organisations estiment que les droits humains doivent être au cœur d’une approche robuste et stratégique des relations de l’UE et de ses États membres avec la Chine. La Vision stratégique de 2019 sur les relations entre l’UE et la Chine déclare que « la capacité de l’UE et de la Chine à s’engager efficacement en matière de droits humains sera une mesure importante de la qualité des relations bilatérales ». Dans le contexte de récentes mesures, que certains qualifient d’« offensive de charme », la Chine s’est dite « prête à reprendre le dialogue UE-Chine sur les droits humains », envoyant « un signal important » lors d’un échange avec le président du Conseil, Charles Michel, en décembre 2022. Depuis 2017, nos organisations ont demandé à plusieurs reprises la suspension du dialogue UE-Chine sur les droits humains jusqu’à ce que les réunions puissent apporter de véritables améliorations en matière de droits humains. Malheureusement, rien n’indique que ce sera le cas si le dialogue sur les droits humains reprend.  En l’absence de signe indiquant que le dialogue sur les droits humains peut être lié à des repères concrets et à des résultats à améliorer — ce qui n’était pas le cas lors des 37 cycles précédents — nous réitérons nos préoccupations quant à sa reprise.

L’UE et ses États membres devraient saisir toutes les occasions de faire pression en faveur d’un véritable changement en matière de droits humains et de contrer la répression croissante de la Chine à l’égard des droits humains et des titulaires de droits, dans le pays, à l’étranger et au niveau multilatéral, et le dialogue sur les droits humains s’est malheureusement révélé incapable d’apporter de tels changements. En novembre 2022, des milliers de personnes à travers la Chine ont protesté contre les mesures sanitaires strictes du gouvernement contre le COVID-19 et dénoncé le régime répressif du Parti communiste chinois. En réponse, le gouvernement a soudainement levé la plupart des restrictions liées au COVID-19 à l’échelle nationale, mais il a aussi harcelé ou arrêté de nombreuses personnes qui ont participé aux manifestations. Depuis l’imposition de la loi draconienne sur la sécurité nationale (NSL) en 2020, les autorités de Hong Kong continuent de détruire les libertés dont jouissent depuis longtemps les habitants de la ville. En février 2023, les autorités ont ouvert le plus grand procès en vertu de la NSL contre 47 des plus éminents politiciens et militants prodémocratie de la ville.

On estime qu’un million d’Ouïghours et d’autres personnes, principalement musulmanes, sont détenus à tort dans des camps de rééducation politique, des centres de détention provisoire et des prisons dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang (« Xinjiang » ou « région ouïghoure »). Il y a aussi des rapports alarmants selon lesquels les autorités chinoises mettent en œuvre d’autres programmes de travail forcé, de séparation des familles, de surveillance de masse, de stérilisation et d’avortement forcés et de destruction culturelle dans la région ouïghoure. Les autorités tibétaines continuent d’appliquer des politiques d’assimilation agressives — comme des programmes de relocalisation et le système de pensionnats — qui menacent la culture, la langue et l’identité tibétaines et marginalisent les Tibétains. Les autorités chinoises continuent également d’imposer des restrictions sévères aux libertés de religion, d’expression, de mouvement et de réunion pacifiques. Les écrivains, les intellectuels et les défenseurs de l’environnement tibétains sont soumis à la détention arbitraire, à la torture et à d’autres mauvais traitements, ainsi qu’à de longues peines de prison. Ailleurs, les autorités chinoises continuent de harceler, détenir et poursuivre les défenseurs des droits humains et d’écraser la liberté d’expression en ligne et hors ligne. Dans le contexte de cette détérioration de la situation des droits humains dans le pays et des conclusions inquiétantes du rapport du HCDH, tous les échanges entre l’UE et ses États membres avec la Chine enverront un message sur leurs engagements en matière de droits humains dans leur politique étrangère, qui sera suivi de près par la société civile en Chine et dans le monde. À ce moment crucial, un autre dialogue inefficace sur les droits humains ne ferait que reproduire les échanges précédents et minerait ainsi la crédibilité de l’UE en tant qu’acteur mondial des droits humains, même si les enjeux restent élevés pour les défenseurs des droits humains, les activistes, les avocats et la société civile à travers la Chine.

L’Union européenne ne devrait s’engager dans un dialogue sur les droits humains avec la Chine que si elle reçoit des garanties suffisantes que les autorités chinoises s’engagent à renverser leur bilan désastreux en matière de droits humains, et si l’UE elle-même est prête à envoyer des messages forts et à prendre des mesures ambitieuses face aux graves violations des droits humains commises par le gouvernement chinois ces dernières années — y compris les crimes internationaux, en particulier les crimes contre l’humanité.

Nous exhortons l’UE et ses États membres à saisir toutes les occasions, au cours de leurs prochaines réunions bilatérales et multilatérales avec la Chine, pour :   

• S’engager à donner suite au rapport du HCDH sur le Xinjiang en créant un mécanisme d’enquête international indépendant sur les crimes contre l’humanité ciblant les Ouïghours et d’autres communautés à majorité musulmane, en prenant toutes les mesures nécessaires pour améliorer les moyens de rendre des comptes et en établissant un processus plus large et régulier de surveillance et de production de rapports au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur les violations perpétrées par le gouvernement chinois, comme recommandé en juin 2020 par 50 experts de l’ONU.   

• Cartographier les perspectives d’affaires relevant de la compétence universelle contre des fonctionnaires chinois soupçonnés d’être responsables de crimes atroces, tout en renforçant les efforts visant à surveiller les menaces du gouvernement chinois sur les droits humains dans l’UE et à y répondre.  

• Faire clairement comprendre aux autorités chinoises que l’UE et ses États membres utiliseront tous les instruments à leur disposition pour répondre de toute urgence aux violations des droits humains dans leurs rapports avec les dignitaires et les entités du gouvernement chinois responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques abusives en Chine, en particulier à Hong Kong, au Tibet, dans la région ouïghoure, et contre les critiques et les défenseur⸱ses des droits humains pacifiques.   

• Appeler publiquement à la libération de tous les Ouïghours et membres d’autres minorités majoritairement musulmanes détenus arbitrairement dans les prisons et les camps du Xinjiang, ainsi que des défenseur⸱ses des droits humains et des militants — y compris l’économiste et lauréat du prix Sakharov Ilham Tohti, l’éditeur suédois Gui Minhai, les défenseur⸱ses des droits humains Guo Feixiong, He Fangmei et Li Qiaochu, l’homme d’affaires tibétain Dorjee Tashi, Jimmy Lai, magnat des médias de Hong Kong, Chow Hang-tung, avocat en droits humains et militant syndical de Hong Kong, Gao Zhisheng et Ding Jiaxi, avocats en droits humains, Chang Weiping, éminent juriste, Sophia Huang Xueqin, militante #Metoo, et Wang Jianbing, militant des droits des travailleurs.   

• Appeler les autorités chinoises à faciliter l’accès diplomatique pour observer les procès et rendre visite aux personnes dans les prisons ou les centres de détention, ainsi qu’à assurer la transparence sur l’utilisation de toutes les formes de détention et la fourniture rapide d’informations aux familles des détenus.   

• Exhorter les autorités chinoises à permettre un accès libre et réciproque au Tibet, au Xinjiang et dans toute la Chine, aux diplomates étrangers, aux parlementaires, aux experts des Nations Unies, aux journalistes et aux organisations non gouvernementales

Si l’UE décidait de tenir le dialogue sur les droits humains, le communiqué de presse et les communications qui en découleraient devraient inclure une condamnation publique ferme de ces violations et d’autres violations graves commises par le gouvernement chinois, y compris une position explicite sur les conclusions du rapport du HCDH, et un engagement à les aborder dans les forums internationaux et avec tous les instruments disponibles pour l’UE et ses États membres.

Parallèlement, l’UE et ses États membres devraient poursuivre activement un dialogue autonome et structuré avec la société civile chinoise convoquée en Europe, afin de mieux informer la compréhension de l’UE et des États membres au sujet des politiques répressives du gouvernement chinois, et aider à concevoir des outils plus efficaces pour y remédier.

Nous vous remercions de vos actions en faveur des droits humains en Chine et sommes prêts à discuter davantage de nos préoccupations communes au moment qui vous conviendra.

Amnesty International

Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH)

Front Line Defenders

Human Rights in China (HRIC)

Human Rights Watch

International Campaign for Tibet (ICT)

International Service for Human Rights (ISHR)

The Rights Practice

Unrepresented Nations and Peoples Organization (UNPO)

World Uyghur Congress