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11 Octobre 2022

Lettre conjointe — Inde : Demande d’intervention immédiate contre l’acquisition illégale et forcée de terres et la criminalisation des défenseur⸱ses des droits humains dans le district de Jagatsinghpur, Odisha, Inde

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À Shri Narendra Modi

Premier ministre de l’Inde

pmosb@pmo.nic.in ; manmo@sansad.in

 

Demande d’intervention immédiate contre l’acquisition illégale et forcée de terres et la criminalisation des défenseur⸱ses des droits humains dans le district de Jagatsinghpur, Odisha, Inde

Votre Excellence,

Nous, les organisations soussignées de défense des droits humains, vous écrivons pour exprimer notre grave préoccupation concernant les nombreuses violations des droits humains et de l’environnement liées à la cession illégale de terres dans plusieurs villages du district de Jagatsinghpur, État d’Odisha, à l’entreprise JSW Utkal Steel Ltd. (JUSL).

Depuis 2005, lorsque des terres ont été acquises de force pour le projet POSCO aujourd’hui abandonné, les communautés locales font face à une expulsion, à la perte de leurs moyens de subsistance et à la criminalisation. POSCO, une société sud-coréenne, avait prévu de construire une aciérie sur des terres communautaires ; ce projet était à l’époque le plus important investissement étranger en Inde. Le projet proposé a suscité la résistance des communautés, y compris l’adoption de plusieurs résolutions par l’assemblée de village (Gram Sabha) contre la destruction de l’environnement et l’acquisition illégale de leurs terres et des ressources forestières communautaires et a été condamné au niveau international, y compris par huit titulaires de mandat des Nations Unies. 1

Après une lutte soutenue de la communauté pendant de nombreuses années, POSCO s’est finalement retirée en mars 2017. Cependant, au lieu de restituer les terres aux villageois, le gouvernement d’Odisha a cédé les terres de la communauté à l’aciérie indienne, JUSL en septembre 2018, pour y installer des usines d’acier et de ciment, une centrale électrique et un port. JSW Steel Limited fait partie de Sajjan Jindal contrôlé par le JSW Group. On estime que, s’il était mis en œuvre, le projet déplacerait jusqu’à 40 000 personnes de leurs terres et de leurs moyens de subsistance, empiéterait sur leurs droits à la nourriture, à l’eau, au travail, à la santé, à un logement décent, à un environnement sain et à d’autres droits économiques et sociaux, et aura des effets désastreux sur l’environnement. 2

L’État d’Odisha a réagi par une répression sévère des manifestations. La violence et la criminalisation des membres du mouvement Anti-Jindal et Anti-POSCO terrorisent les communautés qui se mobilisent contre le projet. Les femmes ont toujours été au premier plan de la résistance, et beaucoup d’entre elles, y compris des enfants et des personnes âgées, ont été blessées alors qu’elles protégeaient leurs villages et leurs terres. Des rapports indiquent que 24 pelotons de police (700 policiers) déployés aux points d’entrée du village et dans les environs entravent la libre circulation des villageois et leur accès aux champs et aux plantations de bétel, et restreignent l’approvisionnement en biens d’urgence.

Plus de 60 membres de la communauté ont été arrêtés au cours des sept derniers mois en raison de la résistance aux projets. Plus de 72 affaires criminelles ont été enregistrées contre plus de 1000 membres de la communauté. Les défenseur⸱ses des droits humains impliqués dans l’organisation et la direction des manifestations font face à de graves représailles, notamment des arrestations, des détentions, des agressions physiques, des menaces et du harcèlement. Les défenseur⸱ses des droits humains et leaders communautaires Debendra Swain, Manas Bardhan, Prakash Jena et Ajodhya Swain sont toujours emprisonnés et il y a de graves allégations de torture en détention préventive. Les défenseurs des droits humains Manas Ranjan Kar, Pradipta Satpathy et les défenseuses des droits humains Santi Das et Santi Sethy ont été agressés et impliqués dans de fausses affaires policières. D’autres, dont Prasant Paikray et Kailash Das, continuent de faire face à de graves menaces et sont harcelés. Dans certains cas, les familles des défenseur⸱ses des droits humains sont également victimes d’agressions physiques et de criminalisation.

Nous avons le regret d’apprendre que les projets prévus ont été autorisés à continuer sans respecter la procédure établie dans la notification de 2006 sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement (EIE), et sans accorder suffisamment d’attention aux droits et aux revendications des villageois touchés en vertu de la Loi de 2006  sur la protection des tribus traditionnelles et autres habitants des forêts (reconnaissance des droits forestiers — FRA, 2006). Comme de nombreux villageois appartiennent aux castes « répertoriées » (Dalits), les incidents allégués ont également conduit à plusieurs violations de la Loi de 1989 sur les castes et les tribus répertoriées (prévention des atrocités).

L’Inde est un État signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit le droit à la liberté, protège les individus contre l’arrestation ou la détention arbitraire, et exige que toute privation de liberté ait lieu conformément aux procédures établies par la loi. Le fait de cibler les défenseur⸱ses des droits humains et les manifestants pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association pacifique constitue une violation manifeste du droit international relatif aux droits humains.

L’Inde est également signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). En ne respectant pas les droits garantis par le Pacte et en refusant de régler les droits et les revendications des communautés touchées en vertu du Forest Rights Act (FRA) 2006, le gouvernement de l’Inde viole ses obligations internationales en vertu du PIDESC et d’autres normes internationales connexes.

Les défenseur⸱ses des droits humains ont droit à une protection spécifique de l’État contre les arrestations arbitraires liées à de fausses accusations, contre le recours à la force ou la privation de liberté en vertu de la Déclaration de 1998 sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et pour laquelle l’Inde avait voté à l’unanimité avec d’autres nations. La Déclaration des Nations Unies pour les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), en faveur de laquelle l’Inde a voté, mentionne explicitement dans l’Article 6 (2) que les paysans ne doivent pas être soumis à des arrestations arbitraires. L’article 15 (4) souligne le droit des paysans à déterminer leurs systèmes alimentaires et agricoles. En outre, l’article 17 (1) définit le droit individuel et collectif à la terre (droit d’accéder à la terre et aux plans d’eau, aux zones maritimes côtières, aux zones de pêche, aux pâturages et aux forêts), l’article 17 (4) souligne le droit d’être protégé contre tout déplacement arbitraire et illégal de leurs terres et la destruction de zones agricoles et la confiscation ou l’expropriation de terres.

En raison de la gravité de la situation, nous demandons au gouvernement de l’Inde de :

  • Mettre fin à toute forme de répression et de violence contre les communautés qui résistent et retirer toutes les fausses affaires fabriquées de toutes pièces ainsi que les accusations criminelles déposées contre les villageois ;
  • Libérer immédiatement tous les défenseur⸱ses des droits humains arrêtés pour avoir manifesté contre le projet JUSL et retirer toutes les accusations portées contre eux tout en veillant à ce qu’ils ne soient pas soumis à la torture ou à toute autre forme de traitement cruel, inhumain et dégradant pendant leur détention ;
  • Retirer toutes les forces de police de la zone et s’abstenir d’employer la force et d’intimider les gens pour accaparer les terres par la force ;
  • Mener une enquête indépendante pour recueillir les faits et documenter la violence, la répression et la coercition auxquelles les villageois de la région sont confrontés depuis le début du projet et réclamer des comptes aux responsables ;
  • Traiter d’urgence les revendications individuelles et communautaires relatives aux droits forestiers sur les terres qui ont été reprises pour le projet ;
  • Indemniser les populations locales pour les dommages et les pertes de vie et de moyens de subsistance ;
  • Mettre fin à l’établissement de grandes industries et plutôt encourager les petites et moyennes industries comme l’usine de transformation de bétel ainsi que l’écotourisme et la préservation des moyens de subsistance traditionnels ;
  • Veiller à ce que tous les engagements internationaux auxquels l’Inde est tenue en vertu du droit international soient priorisés et mis en œuvre, en particulier ceux pris en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), de la Convention sur la diversité biologique (CDB), de l’Accord de Paris sur les changements climatiques, des Objectifs de développement durable à l’horizon 2030 (ODD), de la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et la Déclaration des Nations Unies pour les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP), entre autres.

Nous tenons à vous remercier de votre attention et vous prions de bien vouloir nous tenir au courant de l’action que vous avez l’intention d’entreprendre sur ce sujet.

Respectueusement,

ESCR-Net — International Network for Economic, Social and Cultural Rights,

La Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains

FORUM-ASIA

Front Line Defenders

Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de l’Observatoire pour la protection des défenseur-ses des droits humains

FIAN International

 

Copie :

Shri Naveen Patnaik, Chief Minister of Odisha, cmo@nic.in ;

M. C.K.Mishra, Secrétaire ministère de l’Environnement des forêts et du changement climatique (MoEFCC) secy-moef@nic.in ;

The National Commission for Scheduled Castes, gouvernement de l’Inde chairman-ncsc@nic.in ;

The National Human Rights Commission, gouvernement de l’Inde cr.nhrc@nic.in ;

The National Commission for Women complaintcell-ncw@nic.in ; ncw@nic.in ;

Justice Shri Arun Mishra, président de la National Human Rights Commission of Indiachairnhrc@nic.in ;

Shri Sunil Kumar Bansal, Directeur général de la police, Odisha sphqrs.odpol@nic.in ;

Shri Justice Bijoy Krishna Patel, Chairperson, Odisha Human Rights Commissionohrc@nic.in ;

M. Srinivasa Kammath, Focal Point on Human Rights Defenders, National Human Rights Commission of India hrd-nhrc@nic.in ;

M. Amit Shah, Union Minister of Home Affairs of India dirfcra-mha@gov.in ; jscpg-mha@nic.in ;

M. Ajay Kumar Bhalla, Secretary, Ministry of Home Affairs of India hshso@nic.in ;

Justice N. V. Ramana, Chief Justice of India, Supreme Court of India, supremecourt@nic.in ;

M. Shri Arjun Munda, Minister for Tribal Affairs arjun.munda@gov.in ; Directorate of Industries, Odisha diorissa@nic.in ;

Ministère de la Justice sociale et de l’autonomisation yash.pal@nic.in ;

M. Rajiv Kumar Chander, Ambassadeur, Mission permanente de l’Inde auprès des Nations Unies à Genève, Suisse mission.india@ties.itu.int ;

 

Haute-commissaire de l’ONU pour les droits de l’Homme : Mme Michelle Bachelet mbachelet@ohchr.org ;

kgilmore@ohchr.org ; stripodi@ohchr.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation : M. Michael Fakhri srfood@ohchr.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et de l’environnement : M. David R. Boyd srenvironment@ohchr.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau et à l’assainissement : M. Pedro Arrojo-Agudosrwatsan@ohchr.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et l’extrême pauvreté : M. Olivier de Schutter srextremepoverty@ohchr.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association : M. Clément Nyaletsossi Voule ohchr-freeassembly@un.org ;

Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme :Mme Mary Lawlor defenders@ohchr.org ; orsolya.toth@un.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au Logement : M. Balakrishnan Rajagopal srhousing@ohchr.org ;

Présidente-rapporteuse, Groupe de travail des Nations Unies sur les détentions arbitraires : Mme Elina Steinerte ohchr-wgad@un.org ;

Rapporteur spécial sur la torture et autres traitements cruels et inhumains : M. Nils Melzer sr-torture@ohchr.org ;

Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme : Mme E. Tendayi Achiume hrc-sr-racism@un.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les substances toxiques et les droits de l’Homme : Dr Marcos A. Orellana hrc-sr-toxicshr@un.org ;

Rapporteur spécial des Nations Unies sur les changements climatiques : M. Ian Fry ohchr-srclimatechange@un.org ;

Groupe de travail des Nations Unies sur les affaires et les droits de l’Homme : Mme Elżbieta Karska, présidente ohchr-wg-business@un.org