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17 Mars 2022

Iran : Des groupes de défense des droits humains tirent la sonnette d’alarme à propos du projet de loi draconien sur Internet

Nous, organisations de défense des droits humains et de la société civile soussignées, sommes alarmées par la décision du Parlement iranien de ratifier les grandes lignes du projet de loi draconien intitulé « Projet de loi sur le système de réglementation des services du cyberespace », précédemment connu sous le nom de « projet de loi sur la protection des utilisateurs » et désigné ci-après « projet de loi ». S’il est adopté, le projet de loi portera atteinte aux droits des Iraniens, dont le droit à la liberté d’expression et le droit à la vie privée. Nous exhortons les autorités iraniennes à retirer immédiatement le projet de loi dans son intégralité. Nous appelons également la communauté internationale, ainsi que les États engagés dans un dialogue avec les autorités iraniennes, à veiller à ce que la promotion et la protection des droits humains en Iran soient une priorité, notamment en exhortant le Parlement iranien à abroger le projet de loi dans les plus brefs délais.

Alors que les États membres du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies voteront bientôt pour le renouvellement ou non du mandat du Rapporteur spécial sur l’Iran, le Parlement iranien tente de restreindre davantage les droits humains dans le pays avec l’adoption de ce projet de loi. S’il est mis en œuvre, il comportera de graves risques de coupures des communications partielles, voire complètes, en Iran, et il sera probablement utilisé comme outil pour dissimuler de graves violations des droits humains.

Bien que nous saluions la décision du Présidium du Parlement iranien d’annuler la tentative de ratification du 22 février 2022 par la commission parlementaire spéciale, nous sommes toujours alarmés par la tentative de ratification après un vote de seulement 18 parlementaires. La menace de l’adoption de ce projet de loi plane. En juillet 2021, le Parlement a voté pour permettre l’adoption du projet de loi en vertu de l’article 85 de la Constitution iranienne. Cela signifierait qu’un petit comité composé de 24 personnes (avec une majorité de 18 voix pour l’adopter) au sein du Parlement pourrait ratifier le projet de loi pour une période expérimentale de trois à cinq ans, contournant ainsi les procédures parlementaires habituelles. Ce processus inhabituel de l’article 85 ainsi que les mesures prises pour le ratifier le 22 février montrent que les autorités sont déterminées à appliquer cette législation régressive malgré l’indignation à l’échelle nationale et internationale. Nous sommes toujours préoccupés par le fait que l’application du projet de loi est à la merci d’un petit comité qui tente de contourner les droits de tout un pays.

Le projet de loi apporte des changements alarmants aux contrôles sur Internet.
Les groupes de la société civile soussignés sont profondément préoccupés par le fait que l’adoption du projet de loi entraînera de nouvelles réductions de la disponibilité de la bande passante internationale en Iran et violera le droit à la vie privée et à l’accès à un Internet sécurisé et ouvert. Les dispositions du projet de loi qui placent l’infrastructure et les passerelles Internet de l’Iran sous le contrôle des forces armées et des agences de sécurité du pays sont particulièrement alarmantes. Dans la dernière version du projet de loi, le Groupe de travail chargé des passerelles sécurisées contrôlera les flux d’entrées internationales qui relient l’Iran à Internet. Ce groupe de travail, nouvellement créé dans le cadre des spécifications du projet de loi, sera à son tour sous l’autorité du Centre national du cyberespace (CNC), qui est sous la surveillance directe du Guide Suprême. Le Groupe de travail chargé des passerelles sécurisées serait composé de représentants de l’état-major des forces armées, du service de renseignement du Corps des gardiens de la révolution islamique, du ministère du Renseignement, du ministère des Technologies de l’Information et de la Communication, de l’organisation de la défense passive ainsi que de la police et du parquet général d’Iran.

Déléguer un tel contrôle à des entités qui commettent à plusieurs reprises — et en toute impunité — de graves violations contre les droits de l’Homme aura des effets dissuasifs sur le droit à la liberté d’expression en Iran. Comme l’ont documenté des organisations de défense des droits humains, les forces iraniennes de sécurité, y compris les Gardiens de la révolution et le ministère du Renseignement, ont commis de graves atteintes aux droits humains et des crimes en vertu du droit international, notamment l’utilisation illégale de la force meurtrière, les détentions arbitraires massives, les disparitions forcées, la torture et d’autres mauvais traitements pour réprimer les manifestations de 2017, 2018, et novembre 2019 à l’échelle du pays. Il est alarmant de constater que l’adoption du projet de loi rendra les coupures d’Internet et la censure en ligne encore plus faciles et moins transparentes. Nous notons que les coupures d’Internet constituent non seulement des violations des droits humains, comme le droit d’accès à l’information et la liberté d’expression, mais aussi un outil pour faciliter la perpétration et la dissimulation d’autres violations graves. En effet, la répression meurtrière des manifestations nationales en novembre 2019 s’est déroulée au milieu d’une coupure délibérée quasi totale d’Internet pendant une semaine.
Débranchement des réseaux sociaux et des services Internet étrangers
Dans la dernière version du projet de loi, toutes les entreprises de technologie proposant des services en Iran sont tenues de présenter des représentants dans le pays, de collaborer aux efforts de surveillance et de censure mis en œuvre par la République Islamique d’Iran, et de payer des impôts. Elles sont également tenues de stocker des « mégadonnées et des informations critiques en Iran » qui appartiennent aux utilisateurs à l’intérieur du pays et elles peuvent faire face à des sanctions judiciaires si elles ne le font pas. L’accès aux services fournis par les entreprises qui ne se conforment pas sera limité et le Comité chargé de déterminer le contenu offensant (CCDOC) 1 peut finalement décider de les interdire totalement d’opérer en Iran. Le respect de ces exigences par les entreprises aura de graves répercussions sur tous les utilisateurs d’Internet en Iran. À cause du projet de loi, les plateformes seront donc tenues de choisir entre restreindre Internet ou respecter des règles qui portent atteinte au droit à la vie privée et à la liberté d’expression. Ces exigences visent à consolider davantage le Réseau national d’information (NIN), une infrastructure Internet nationale hébergée en Iran. Cela placera l’information et les communications sous le contrôle et la censure des autorités et pourrait entraîner la déconnexion éventuelle de l’Iran de l’Internet mondial. Soit les services étrangers se conforment et deviennent partiellement intégrés au réseau national (au moins en termes de stockage de données) soit ils refusent, et les utilisateurs seront obligés de chercher leurs alternatives sur le NIN. Le projet de loi prévoit également de nouvelles mesures pénales contre les personnes qui ne respectent pas ces conditions. Le développement, la reproduction ou la distribution de services de proxy ou de réseau privé virtuel (VPN) peut entraîner une peine d’emprisonnement de deux ans en vertu de l’article 20 du projet de loi. L’article 21 stipule également que les fournisseurs de services Internet qui permettent à des services étrangers non autorisés d’accéder aux données d’utilisateurs en Iran risquent jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
 
Réaction contre le projet de loi à l’échelle nationale et internationale :
Depuis que le projet de loi est débattu, les internautes, les entreprises et les guildes qui les représentent, ainsi que les défenseur⸱ses des droits humains, les défenseur⸱ses des droits numériques, les organisations internationales de défense des droits humains et les experts des Nations Unies ont fait part de leurs vives préoccupations. En octobre 2021, quatre rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont adressé une lettre aux autorités iraniennes (OL IRN 29/2021) exprimant leurs préoccupations au sujet du projet de loi et du manque de transparence qui a imprégné son traitement au sein du Parlement et appelant à son retrait. Les critiques à l’égard du projet de loi et de la décision du Parlement de procéder à l’adoption de la loi sans tenir compte des procédures régulières ne se sont pas limitées aux acteurs de la société civile. Le 23 février 2022, 150 parlementaires iraniens ont signé une lettre adressée au conseil des présidents du Parlement demandant que le projet de loi soit examiné et adopté par vote lors d’une session générale du Parlement plutôt que par une commission spéciale.

Des membres de la communauté internationale y compris les États engagés dans des négociations et des dialogues bilatéraux et multilatéraux avec la République islamique d’Iran et les membres du Conseil des droits de l’Homme doivent exhorter l’Iran à respecter ses obligations en matière de droits humains. Sans mesures urgentes, les Iraniens courent un risque encore plus grand d’isolement et d’être exposés aux violations des droits humains.

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Signé:

    1. Abdorrahman Boroumand Center for Human Rights in Iran
    2. Access Now
    3. Advocacy Initiative for Development (AID)
    4. All Human Rights for All in Iran
    5. Amnesty International
    6. Arc Association for the Defence of Human Rights of Azerbaijanis of Iran - ArcDH
    7. Article18
    8. ARTICLE19
    9. Association for the human rights of the Azerbaijani people in Iran (AHRAZ)
    10. Azerbaijan Internet Watch
    11. Center for Democracy & Technology
    12. Center for Human Rights in Iran (CHRI)
    13. Commission on Global Feminisms and Queer Politics, International Union of Anthropological and Ethnological Sciences (IUAES)
    14. Committee to Protect Journalists (CPJ)
    15. Democracy for the Arab World Now (DAWN)
    16. Electronic Frontier Foundation (EFF)
    17. Freedom Forum
    18. Front Line Defenders
    19. Global Voices
    20. Human Rights Activists (in Iran) (HRA)
    21. Human Rights Consulting Group, Kazakhstan
    22. Human Rights Watch
    23. Ideas Beyond Borders
    24. IFEX
    25. Impact Iran
    26. Internet Protection Society, Russia
    27. INSM Network
    28. Iran Human Rights
    29. Iran Human Rights Documentation Center
    30. Justice for Iran
    31. Kijiji Yeetu
    32. Kurdistan Human Rights Association -Geneva (KMMK-G)
    33. Kurdistan Human Rights Network (KHRN)
    34. Kurdpa Human Rights Organization
    35. Lawyers’ Rights Watch Canada
    36. Media Foundation for West Africa (MFWA)
    37. Miaan Group
    38. Mnemonic
    39. Open Net
    40. OutRight Action International
    41. PEN America
    42. Queer Kadeh
    43. Ranking Digital Rights
    44. RosKomSvoboda
    45. Sassoufit collective
    46. Siamak Pourzand Foundation (SPF)
    47. SMEX
    48. SOAP
    49. Spectrum
    50. Wikimédia France
    51. WITNESS (witness.org)
    52. Ubunteam
    53. United for Iran
    54. Xnet
    55. 6Rang (Iranian Lesbian and Transgender network)