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2 Avril 2021

Le harcèlement des défenseur-ses des droits humains algériens doit cesser

Front Line Defenders condamne la hausse des intimidations, de la criminalisation et des attaques contre les défenseur-ses des droits humains en Algérie, notamment ceux qui sont engagés dans le mouvement pro-démocratie Hirak, depuis plusieurs mois. Elle est également alarmée par un certain nombre de développements législatifs récents qui accentuent le rétrécissement de l'espace civique dans le pays, rendant de plus en plus difficile le travail des défenseur-ses des droits humains. Suite à la reprise des manifestations du mouvement Hirak le 13 février 2021, qui avaient été suspendues suite au déclenchement de la pandémie de COVID-19, les défenseur-ses des droits humains impliqués dans l'organisation des manifestations et dans le mouvement plus élargi, font l'objet d'attaques, de traitements inhumains et de poursuites judiciaires en représailles contre leurs efforts pour promouvoir et protéger les droits humains dans le pays.

Le 22 février 2021, des milliers d'Algériens ont défilé dans tout le pays pour marquer le deuxième anniversaire du « Hirak » (qui signifie « Mouvement » en arabe). Le mouvement a débuté le 22 février 2019, en opposition à la candidature du président de l'époque Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat ; il a rapidement pris de l'ampleur, des marches et des manifestations étudiantes étant organisées tous les mardis et vendredis à l'échelle nationale. Suite à la démission du président Bouteflika en raison de la pression publique, les objectifs du mouvement ont évolué pour exiger le départ de l’élite dirigeante et revendiquer une transition vers plus de gouvernance démocratique, de justice sociale et le respect des libertés fondamentales.

Au début, les manifestations étaient tolérées par les autorités, mais à la mi-2019, des personnalités éminentes du mouvement Hirak ont commencé à être arrêtées pour avoir soi-disant « porté atteinte à l'unité nationale ». Les arrestations se sont poursuivies à l'approche des élections présidentielles de décembre 2019, en représailles contre les demandes de réformes du Hirak, de nombreux défenseur-ses des droits humains et acteurs de la société civile craignant le rétablissement de l'ordre ancien.

Après son élection, le président Abdelmadjid Tebboune a appelé à un « dialogue sérieux » avec le mouvement, mais le dialogue n'a jamais été entamé. Des grâces présidentielles pour un total de 19 502 détenus ont été accordées en février, avril et juillet 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, mais seuls 13 membres du Hirak figuraient parmi les personnes libérées. De plus, lorsque les manifestants ont volontairement suspendu les manifestations hebdomadaires à cause de la pandémie, les poursuites et le harcèlement des défenseur-ses des droits humains, des militants de la société civile et des journalistes ont connu une accélération notable.

Le 18 février 2021, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé une nouvelle grâce présidentielle pour les détenus, comprenant cette fois un plus grand nombre de militants pacifiques liés au Hirak. Bien que Front Line Defenders se félicite de la libération de 38 défenseur-ses des droits humains, militants, manifestants pacifiques et membres du mouvement Hirak, elle reste préoccupée par le fait que l'on ne sait toujours pas si les charges retenues contre eux sont maintenues, ainsi que par le fait que 19 de ceux qui ont été libérés ne bénéficient que d'une libération conditionnelle. Front Line Defenders rappelle que les défenseur-ses des droits humains ne devraient jamais être détenus à cause de leur travail pacifique en faveur des droits humains.

Les défenseur-ses des droits humains et les journalistes visés pour leur affiliation présumée au mouvement ou leurs publications en ligne ont été condamnés pour des accusations vagues en vertu du Code pénal. Les chefs d’accusation régulièrement retenus contre eux incluent « affaiblissement du moral de l’armée » (article 75), « incitation à participer à un rassemblement non armé » (article 100), « atteinte à l’intégrité du territoire national » (article 79) également mentionné comme « atteinte à l’unité nationale », « offense à l’encontre des organismes publics » (art 144 ; 144 bis et 146) et « atteinte aux préceptes de l'islam » (article 144 bis 2), tous découlant de l'exercice de leur droit à la liberté d'expression ou de réunion et d'association pacifiques. La criminalisation et le harcèlement des défenseur-ses des droits humains par les autorités algériennes se poursuivent sans relâche.

Le 24 mars 2021, le tribunal correctionnel d'El Bayadh a condamné le défenseur des droits humains Hassan Bouras pour « insulte à l'encontre du président de la république » et « insulte à l'encontre du régime », et lui a infligé une amende de 100 000 dinars algériens (environ 630 euros). Membre éminent de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme - LADDH, Hassan Bouras est également journaliste et blogueur ; il parle beaucoup de la corruption et de la pratique de la torture en Algérie. Le défenseur des droits humains a été initialement arrêté le 2 octobre 2015, après que plusieurs policiers ont perquisitionné son domicile et confisqué plusieurs articles, notamment des téléphones portables, des documents et son ordinateur portable. Il a été détenu à la prison d'El Bayadh pendant près de trois mois avant d'être libéré le 18 janvier 2016.

Le 24 février 2021, la cour d’appel de Mostaganem a confirmé la condamnation de la défenseuse des droits des travailleurs Dalila Touat pour « infraction aux organismes publics » et « publications portant atteinte à l’ordre public ». La Cour a réduit la peine de la défenseuse des droits humains de 18 mois à deux mois de prison avec sursis et à une amende de 20 000 dinars algériens (environ 130 euros). Dalila Touat fait partie du mouvement Hirak à Mostaganem ; elle participe également au mouvement pour les droits des chômeurs de la province, et plaide pour une amélioration des droits des travailleurs dans le pays. La défenseuse des droits humains a été arrêtée dans la ville de Mostaganem le 2 décembre 2020 et condamnée par le tribunal de première instance le 18 janvier 2021. Dalia Touat a été placée en liberté conditionnelle le lendemain mais elle est toujours sous le coup d'une peine avec sursis. La défenseuse des droits humains aurait subi des mauvais traitements pendant son incarcération et mené une grève de la faim pendant 21 jours pour réclamer l'autorisation de recevoir des visites de sa famille.

La violence policière contre les défenseur-ses des droits humains et les manifestants pacifiques algériens a également augmenté depuis la reprise des manifestations en février. Le 12 mars 2021, le défenseur des droits humains et président de la section d'Oran de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) Kaddour Chouicha et son fils ont été victimes de sévices physiques de la part de policiers à Oran alors qu'ils participaient à une manifestation organisée par le Hirak. Selon le défenseur, un des policiers a tenté de l'étrangler. Kaddour Chouicha et son épouse Jamila Loulik, journaliste et défenseuse des droits humains, sont actuellement poursuivis pour avoir participé à une manifestation le 8 octobre 2020. Ils avaient été acquittés le 18 janvier 2021 mais le procureur avait fait appel. L'audience de l'appel est fixée au 28 avril 2021. Le défenseur des droits humains Mohad Gasmi est en détention préventive depuis le 14 juin 2020, accusé d' « apologie du terrorisme ». Le 5 janvier 2021, son cas a été transféré devant la Cour pénale d’Adrar. Le défenseur est actuellement incarcéré dans la prison d'Adrar.

L'augmentation des attaques concertées et des actes d'intimidations contre les défenseur-ses des droits humains, les journalistes et d'autres acteurs de la société civile en Algérie se produit dans un contexte de rétrécissement de l'espace civique, comme le montrent plusieurs développements législatifs récents. Le 3 mars 2021, le ministre algérien de la Justice a présenté au gouvernement un avant-projet de loi modifiant le code de la nationalité algérien. Selon l'agence de presse gouvernementale (APS), le texte prévoit la mise en place d'une procédure de déchéance de la nationalité de tout Algérien résidant hors du pays considéré comme ayant commis des actes portant délibérément préjudice aux intérêts de l'État ou portant atteinte à l'unité nationale. La déchéance pourrait également s'appliquer à toute personne considérée comme ayant créé ou rejoint une organisation terroriste, toute personne qui finance ou défend une telle organisation, ainsi que toute personne qui collabore avec un « État ennemi ». La dissolution de la chambre basse du parlement le 18 février 2021, pour des élections anticipées, permet au Président de voter unilatéralement la loi par ordonnance, sans publier au préalable les dispositions du projet de loi. Les défenseur-ses des droits humains et les organisations internationales craignent que, sur la base de la pratique antérieure, le projet de loi, s'il est adopté, soit utilisé pour cibler les défenseur-ses des droits humains algériens vivant à l'extérieur du pays lorsqu'ils sont engagés auprès de mécanismes des droits humains des Nations Unies et / ou en représailles contre leur soutien au Hirak.

Le projet de loi fait suite à des modifications inquiétantes du Code pénal adoptées le 28 avril 2020. De nombreux défenseur-ses des droits humains et des militants de la société civile considèrent que les amendements formulés de façon vague portent préjudice à la liberté d'expression et d'association dans le pays. Les amendements criminalisent la « diffusion de fausses informations » qui devient passible d'une peine pouvant aller de un à trois ans d'emprisonnement et criminalisent la réception de fonds ou de dons étrangers, si ces fonds sont ensuite utilisés « pour accomplir ou inciter à des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l'État, à la stabilité et au fonctionnement normal des institutions, à l'unité nationale, à l'intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l'Algérie, à la sécurité et l'ordre public », et prévoient une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 10 ans.

Front Line Defenders est profondément préoccupée par la criminalisation, les traitements inhumains et la violence contre les défenseurs des droits humains Hassan Bouras, Mohad Gasmi, Kaddour Chouicha et les défenseuses des droits humains Jamila Loulik et Dalila Touat. L'organisation estime que les actions ciblées contre ces défenseur-ses des droits humains sont uniquement motivées par leur travail pacifique et légitime en faveur des droits humains et qu'elles font partie d'une répression plus large contre les défenseur-ses des droits humains en Algérie, en représailles contre leurs efforts pour promouvoir et protéger les droits humains et les libertés et droits fondamentaux dans le pays. Front Line Defenders exhorte les autorités algériennes à annuler les condamnations de Hassan Bouras, Kaddour Chouicha, Jamila Loulik et Dalida Touat, à cesser de viser tous les défenseur-ses des droits humains en Algérie et à garantir le respect de leurs droits à la liberté d'expression et de réunion pacifique.

Front Line Defenders appelle les autorités algériennes à ne pas donner suite au projet de loi relatif à la nationalité car les défenseur-ses des droits humains craignent que, s'il est adopté, il puisse permettre la privation de la nationalité des défenseurs des droits humains algériens vivant à l'étranger à cause de leur engagement avec les mécanismes onusiens et leur participation à la société civile du pays. Front Line Defenders recommande la révision du Code pénal, conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (notamment les articles 75 ; 79 ; 95 bis ; 98 ; 100 ; 144 ; 144 bis ; 144 bis 2 ; 146 et 196 bis), car ses actuelles dispositions sont fréquemment utilisées pour poursuivre arbitrairement des défenseur-ses des droits humains, des journalistes et des manifestants pacifiques.