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25 Octobre 2019

Front Line Defenders salue l'attribution du Prix Sakharov 2019 à l'universitaire ouïghour Ilham Tohti

Front Line Defenders se félicite de l’attribution du Prix Sakharov pour la liberté de pensée du Parlement européen 2019 au professeur et défenseur des droits humains ouïghour Ilham Tohti, dont l’anniversaire aujourd'hui est le sixième qu’il passe derrière les barreaux à purger sa condamnation à perpétuité.

Avant son arrestation en janvier 2014, Ilham Tohti était économiste et professeur à l'Université centrale des nationalités de Pékin. Rejetant le séparatisme et la violence, il a œuvré pacifiquement pendant plus de deux décennies pour renforcer l'entente entre les Chinois Han et les Ouïghours, un groupe ethnique majoritairement musulman turc résidant principalement dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang (XUAR), dans l'ouest de la Chine. Par ses écrits et ses conférences, Ilham a défendu les droits du peuple ouïghour et a souligné les politiques gouvernementales qui limitent l'usage de la langue ouïghour, empêchent les pratiques religieuses musulmanes, limitent l'accès à l'emploi et encouragent l'immigration massive des Hans dans la région. En 2006, il a créé Uyghur Online, un site Web en chinois destiné à la diffusion de nouvelles sur les Ouïghours. Sur cette plateforme, il a régulièrement souligné les politiques et les pratiques du gouvernement qui portent atteinte aux droits des Ouïghours, et il a encouragé une plus grande prise de conscience du statut et du traitement réservé à la communauté ouïghoure au sein de la société chinoise. Le 23 septembre 2014, le tribunal intermédiaire populaire d'Urumqi l'a déclaré coupable de "séparatisme" et l'a condamné à la réclusion à perpétuité. Son appel a été rejeté 21 novembre 2014.

Le travail pacifique d'Ilham Tohti est largement reconnu au niveau international. Depuis sa détention en 2014, Ilham Tohti a reçu le prix Martin Ennals en 2016, le prix des droits humains du conseil municipal de Weimar en 2017, le prix de l'Internationale libérale pour la liberté en 2017 et le prix des droits humains Vaclav Havel du Conseil de l'Europe en 2019. En juillet 2014, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a estimé que l’arrestation d’Ilham était arbitraire. Le groupe de travail a demandé sa libération et qu'il soit indemnisé pour le temps passé en prison. En octobre 2018, le Parlement européen a adopté une résolution sur la détention arbitraire massive d'Ouïghours et de Kazakhs dans le Xinjiang. Il a appelé le gouvernement chinois à "libérer immédiatement et sans condition l'universitaire ouïghour Ilham Tohti et toutes les autres personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur liberté d'expression".

Ilham Tohti est l’un des onze cas emblématiques de défenseur-ses des droits humains persécutés dans le cadre de la campagne Set Them Free (Libérez-les) de Front Line Defenders. Ces exemples illustrent la manière dont les gouvernements répressifs du monde entier utilisent systématiquement la loi pour tenter de diffamer et de faire taire les défenseur-ses des droits humains.

Front Line Defenders appelle la Chine à libérer Ilham Tohti immédiatement et sans condition et, dans l'attente de sa libération, à assurer son intégrité physique et psychologique tant qu'il est détenu. Nous exhortons la Chine à promouvoir et à maintenir un environnement sûr et favorable pour tous les défenseur-ses des droits humains, y compris ceux et celles qui promeuvent et défendent les droits des Ouïghours, des Tibétains et des autres groupes minoritaires et vulnérables en Chine. Nous rendons également hommage à tous les autres finalistes et nominés du prix Sakharov cette année : Alexei Navalny de Russie ; Claudelice Silva dos Santos, Jean Wyllys et feu Marielle Franco du Brésil ; Chef Raoni du peuple Kayapo en Amazonie ; ainsi que The Restorers, un groupe de cinq filles kenyanes : Stacy Owino, Cynthia Otieno, Purity Achieng, Mascrine Atieno et Ivy Akinyi.

Nous attendons donc avec impatience que le Parlement européen, et donc l'Union européenne, intensifie sa pression sur les autorités chinoises pour qu'elles libèrent Ilham Tohti et améliorent ses conditions de détention, et qu'il porte une attention particulière à la sécurité et à la protection de tous les finalistes.

Contexte

En dépit du statut nominal de "région autonome" du Xinjiang, l’État chinois a placé la région et ses habitants sous un contrôle de plus en plus draconien. Au cours de la dernière décennie, les autorités chinoises ont élargi leur campagne visant à restreindre l'exercice de tous les aspects de la culture musulmane, notamment la religion, la langue, la façon de se vêtir, l'alimentation, la coiffure et les rassemblements publics. Depuis 2017, un nombre croissant de rapports crédibles ont été publiés sur l'incarcération de plus d'un million de musulmans turcs dans les camps de concentration du Xinjiang, la séparation des enfants de leurs parents ou tuteurs détenus ainsi que des rapports faisant état de violences sexuelles contre les femmes détenues dans les camps.

Dans son examen d'août 2018 du respect de la Convention sur l'élimination de la discrimination raciale (CERD) par la Chine, le Comité de la CERD a sonné l'alarme quant à la "détention d'un grand nombre d'Ouïghours et d'autres membres de la minorité musulmane, détenus au secret et souvent pendant de longues périodes, sans avoir été accusés ou jugés, sous prétexte de lutter contre l'extrémisme religieux". Le Comité a en outre exprimé sa préoccupation quant à la surveillance de masse ciblant de manière disproportionnée les Ouïghours, la confiscation par la police des titres de voyage des résidents du Xinjiang et l'obligation faite aux résidents de demander l'autorisation de quitter le pays, ainsi que des informations selon lesquelles des Ouïghours qui ont quitté la Chine auraient été ramenés dans le pays contre leur volonté. Dans un rapport de suivi soumis au Comité de la CERD au début du mois, le gouvernement chinois continue de défendre et de décrire les camps de concentration comme des "centres d'enseignement et de formation professionnels" nécessaires pour "lutter contre le terrorisme" et pour "la déradicalisation".

En novembre 2018, six experts en droits humains de l'ONU ont écrit au gouvernement chinois pour exprimer leur inquiétude au sujet de la révision du règlement de la région autonome ouïghoure du Xinjiang sur la déradicalisation qui vise les minorités ethniques, linguistiques et religieuses musulmanes turcophones, ainsi que les ressortissants kazakhs. Les experts ont averti que le règlement révisé était incompatible avec les obligations internationales de la Chine en matière de droits humains et qu'il "légalise la création et l'existence de centres dits de "rééducation", mais dont le prétendu caractère fermé et coercitif pourrait entraîner leur classification en tant que centres de détention où l’endoctrinement forcé a lieu".

Au cours de la session d'été du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en juillet 2019, 22 pays ont publié une lettre conjointe sans précédent appelant la Chine à mettre fin à la détention arbitraire massive et aux restrictions de la liberté de circuler des Ouïghours et d'autres minorités dans le Xinjiang. Les signataires ont également exhorté la Chine à permettre un "accès significatif" au Xinjiang pour le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits humains et aux autres observateurs internationaux indépendants.