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3 Mai 2023

Le vote de l’UE sur la durabilité des entreprises ne reconnaît pas pleinement le rôle clé des défenseur⸱ses des droits humains

DÉCLARATION CONJOINTE

La semaine dernière, la commission des affaires juridiques du Parlement européen (JURI) a adopté sa position sur la proposition de directive européenne sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises. Adopté dans un contexte de forte pression, le texte constitue une étape importante vers la garantie d’une diligence raisonnable obligatoire en matière de droits humains et d’environnement dans toute la chaîne de valeur. Il comprend plusieurs améliorations importantes et contribue grandement à l’harmonisation avec les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.

Toutefois, en tant qu’organisations travaillant en étroite collaboration avec les défenseur·ses des droits humains (DDH) dans le monde entier, nous sommes préoccupées par le fait que le texte, comparé au projet du rapporteur du Parlement européen (PE), aux avis des Commissions des droits de l’homme, du développement et de l’environnement et d’autres positions, constitue une occasion manquée de reconnaître et de protéger explicitement les défenseur·ses en tant que parties prenantes concernées et légitimes.

Les défenseur·ses jouent un rôle essentiel dans la protection des droits humains et de l’environnement, mais leur travail les expose à d’énormes risques, entraînant trop souvent des représailles et des pertes de vie tragiques.

En 2022, Front Line Defenders et ses partenaires du Mémorial des DDH ont documenté la mort de 401 défenseur·ses dans le monde, dont 48 % étaient des DDH défendant la terre, l’environnement et les droits des peuples autochtones.

Le Business & Human Rights Resource Centre (BHRRC) a documenté plus de 4700 attaques contre des défenseur·ses liées à des activités commerciales depuis 2015, ce qui souligne qu’il s’agit d’un problème de droits humains important dans de nombreux secteurs d’activité. Dans un rapport publié mercredi, le BHRRC montre que 555 attaques ont eu lieu rien qu’en 2022, révélant qu’en moyenne plus de 10 défenseur·ses ont été attaqués chaque semaine pour avoir soulevé leurs préoccupations légitimes au sujet d’activités commerciales irresponsables. Les défenseur·ses et les communautés autochtones continuent de faire face à des risques disproportionnés. De plus, les données du BHRRC montrent qu’environ le tiers de toutes les attaques en 2020 découlent d’un manque de consultation ou de la non obtention du consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones et des communautés locales touchées ayant des droits fonciers coutumiers. Dans de nombreux cas, les attaques peuvent être directement liées à des acteurs commerciaux : par exemple, les poursuites stratégiques contre la mobilisation du public (SLAPP) sont une tactique bien documentée utilisée par les entreprises pour empêcher les gens de soulever leurs inquiétudes.

Dans le même temps, bien que les entreprises reconnaissent de plus en plus que les DDH sont des parties prenantes concernées, les risques et les impacts auxquels ils sont confrontés ne sont toujours pas suffisamment reconnus par de nombreuses entreprises européennes. Les lignes directrices du Groupe de travail des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme de 2021 faisant autorité indiquent clairement que les entreprises principales peuvent causer, contribuer ou être liées à de tels impacts dans leurs chaînes de valeur.

À la lumière de ce qui précède, le texte final de JURI, malgré des éléments prometteurs concernant l’engagement des parties prenantes, la référence à la Convention d’Aarhus et au consentement préalable, libre et éclairé, ainsi que l’élimination de certains obstacles entravant l’accès à la justice, ne couvre pas les DDH de manière plus complète et explicite et ne fait que les citer parmi les « autres intervenants » qui doivent être consultés. Il ne doit pas y avoir d’ambiguïté quant à l’urgence de s’engager auprès des DDH et d’assurer leur protection contre les représailles et tout autre impact négatif qu’ils subissent en tant que parties prenantes affectées.

Un récent rapport de Front Line Defenders a documenté trois études de cas — en Colombie, en Inde et en Ouganda — démontrant comment les DDH et leurs communautés seraient mieux protégés par une directive européenne forte qui place explicitement les défenseur·ses au cœur du projet.

« Pour l’ILC, la protection des défenseur·ses du droit à la terre et de l’environnement demeure une priorité absolue. Le projet de loi européen est un grand pas en avant pour les communautés du monde entier. Mais pour être efficace, il doit être explicite dans la protection des défenseur⸱ses des droits humains et dans la façon dont on peut faire respecter ces droits en cas de violations », a déclaré l’une des signataires, Eva Maria Anyango Okoth, DDH du Kenya et chargée de programme pour l’Afrique au sein de l’International Land Coalition (ILC).

Alors que les négociations passent à l’étape suivante, le vote en session plénière au Parlement européen puis le trilogue de négociations, nous réaffirmons que pour protéger et reconnaître pleinement les DDH, il est essentiel que la législation évite les ambiguïtés concernant les protections et conserve le langage fort qui avait été inclus dans les versions précédentes, notamment la proposition du rapporteur du PE et les avis des commissions des droits de l’homme, du développement et de l’environnement. Nous recommandons au minimum que le texte final de la directive, tel que convenu par les co-législateurs :

inclue explicitement les défenseur⸱ses des droits humains en tant que parties prenantes affectées dans sa définition des parties prenantes et les couvre en tant que tels dans ses dispositions sur l’engagement obligatoire des parties prenantes, les mécanismes de griefs et les non-représailles ;

reconnaisse de la même façon les organisations qui protègent les droits humains et l’environnement dans la même définition et les mêmes dispositions ;

inclue la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits de l’homme, qui énonce les principaux droits de l’homme pour le contexte spécifique des défenseur·ses, dans l’Annexe, ainsi que d’importantes références supplémentaires, par exemple à l’Accord d’Escazú.

Nous soulignons également les préoccupations exprimées par les organisations de la société civile au sujet des lacunes du texte concernant l’accès à la justice et d’autres domaines, tant pour les défenseur·ses que pour tous les autres détenteurs de droits.

Signataires :

Accountability Counsel

Action Paysane Contre la Faim — République Démocratique du Congo

African Law Foundation (AFRILAW)

Agency for Turkana Development Initiatives (ATUDIS) – Kenya

Amazon Watch

Asian NGO Coalition for Agrarian Reform and Rural Development – ANGOC

AsM Law Office Indonesia and Accountability Sustainability Monitoring – Indonesia

BankTrack

BIRUDO – Ouganda

Business & Human Rights Resource Centre

CeDHA – Ghana

CEE Bankwatch Network

Center for International Environmental Law (CIEL)

Center for Justice Governance and Environmental (CJGEA) – Kenya

Community Empowerment and Social Justice Network (CEMSOJ) – Népal

COMPPART Foundation for Justice and Peacebuilding – Nigeria

Defenders in Development campaign

EarthRights International

Environmental Defender Law Center

Environmental Defenders Collaborative

European Environmental Bureau (EEB)

Facilitation for Peace and Development – Ouganda

Forest Peoples Programme

Foundation For Environmental Rights, Advocacy & Development (FENRAD) – Nigeria

Freedom House

Friends of the Earth United States

Front Line Defenders

Global Rights – Nigeria

Global Witness

Green Development Advocates – Cameroun

Human Rights International Corner (HRIC)

Indigenous Peoples Partnership (IPP) – Myanmar

International Group for Indigenous Affairs (IWGIA)

International Land Coalition (ILC)

International Land Coalition Africa (ILC Africa)

International Rivers

International Service for Human Rights (ISHR)

Katiba Institute – Kenya

La Société Civile congolaise pour les Minerais de Paix/OSCMP – République Démocratique du Congo

The Lawyers’ Association for Human Rights of Nepalese Indigenous Peoples (LAHURNIP) – Népal

Lake Albert Children Women Advocacy and Development Organisation (LACWADO) – Ouganda

Le Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE) — Guinée

Le Collectif des Organisations.de Défense des droits de l’homme et de la démocratie/Coddhd — Niger

Leadership Initiative for Transformation and Empowerment (LITE-Africa) – Nigeria

The Marginalised Mirror – Namibie

Michel Forst, Special Rapporteur on environmental defenders under the Aarhus Convention

Oxfam South Africa

Pain aux Indigents et Appui à l’auto - Promotion (PIAP) — République Démocratique du Congo

Peace Point Development Foundation (PPDF) – Nigeria

Programme d’Intégration et de Développement du peuple Pygmée au Kivu (PIDP) — République Démocratique du Congo

Proyecto de derechos Económicos Sociales y Culturales A.c. (ProDESC) - Mexique

Program for the heritage of Ogiek and mother earth (PROHOME) – Kenya

Project on Organizing, Development, Education, and Research (PODER) – Mexique

Protection des écorégions de miombo au Congo (PremiCongo) — République Démocratique du Congo

Protection International

Rainforest Action Network

STAR Kampuhchea (SK) – Cooperation Committee for Cambodia

Sustainable Holistic Development Foundation (SUHODE) – Tanzanie

Swedwatch

Witness Radio – Ouganda

Worthy Association for Tackling Environmental Ruins in Nigeria – Nigeria

Zimbabwe Environmental Law Association (ZELA) – Zimbabwe