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3 Novembre 2020

40 ans après avoir ratifié la CEDAW, les défenseuses des droits humains en Chine sont toujours la cible de représailles

Quarante ans après que la Chine a ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) le 4 novembre 1980, les défenseuses des droits humains dans le pays continuent de faire face à de nombreuses formes de restrictions et de menaces indues. Front Line Defenders appelle les autorités à tous les niveaux en Chine, ainsi que les entreprises, à prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter et protéger la promotion et la défense légitimes et pacifiques des droits des femmes et de la justice liée au genre.

Les défenseuses des droits humains en Chine travaillent pour la réalisation de nombreux droits humains. Elles défendent les droits des travailleurs et militent contre le harcèlement sexuel. Elles font campagne pour une plus grande participation publique des citoyens individuels et de la société civile indépendante lorsque le gouvernement chinois rend des comptes aux mécanismes des Nations Unies pour les droits humains. Elles donnent une éducation publique, intentent des contentieux stratégiques et encouragent les législateurs à réformer les lois, politiques et les pratiques discriminatoires à l'égard des personnes en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle et de l'identité de genre, y compris dans les domaines du mariage, de l'emploi et des services de santé. Elles aident les victimes de violence domestique à obtenir justice et à être réhabilitées. Elles mobilisent les jeunes afin qu'ils militent pour une action urgente pour lutter contre la crise climatique. Elles plaident également pour une surveillance et une réglementation plus strictes des investissements et des prêts chinois à l'étranger, des opérations des entreprises chinoises à l'étranger et de l'aide publique au développement pour garantir une meilleure protection des droits humains et de l'environnement et une approche sensible à la question du genre dans les pays qui accueillent des investissements et des entreprises chinoises.

En tant qu'avocates, les défenseuses des droits humains se battent pour le droit à un procès équitable pour les dissidents politiques et les défenseur-ses des droits humains qui sont victimes d'acharnement judiciaire. En tant que journalistes indépendantes, elles documentent et dénoncent les violations des droits souvent passées sous silence ou ignorées par les médias d'État, notamment les souffrances des habitants de Wuhan pendant les premiers stades de l'épidémie de COVID-19. En tant que membres de la diaspora ou survivantes de violations généralisées et systématiques au Xinjiang et au Tibet, elles bravent les risques de représailles pour dénoncer les crimes atroces commis contre les minorités. En tant que défenseuses, elles continuent de contester le patriarcat, la violence sexiste et le harcèlement sexuel au sein de la société civile.

Dans ses conclusions au terme d'une mission officielle en Chine en 2013, le Groupe de travail des Nations Unies sur la discrimination à l'égard des femmes dans la loi et la pratique a souligné que «l'objectif d'égalité des sexes ne peut être atteint en Chine que si les défenseur-ses des droits des femmes peuvent travailler dans un environnement libre» et a appelé le gouvernement à fournir «une protection juridique à tous les défenseurs des droits des femmes ainsi qu'aux groupes et coalitions de femmes autonomes de la société civile afin de leur permettre de renforcer l'application de la loi et de plaider en faveur de changements de politique qui affectent l'égalité des sexes dans le cadre du renforcement général de l'État de droit, de la démocratie et des droits humains.»

En novembre 2014, le Comité de la CEDAW, l'organe des Nations Unies qui surveille le respect de la Convention, a exhorté le gouvernement chinois à prendre «toutes les mesures nécessaires pour protéger les femmes défenseuses des droits humains». Le prochain compte rendu de la Chine au Comité est attendu depuis le 1er novembre 2018.

Au cours des trois cycles précédents de l'Examen périodique universel, la Chine a déclaré à plusieurs reprises qu'elle soutenait et avait mis en œuvre des recommandations l'exhortant à créer un environnement sûr et propice pour les défenseurs des droits humains, y compris ceux de Hong Kong, afin qu'ils puissent exercer leurs libertés fondamentales sans crainte de représailles.

À ce jour, ces recommandations importantes ne sont toujours pas appliquées. Les défenseuses des droits humains, et souvent les membres de leur famille, continuent d'être victimes de harcèlement policier, de censure sur Internet et de campagnes de dénigrement en ligne, de poursuites en diffamation lancées pour faire taire les victimes de harcèlement sexuel, de surveillance, de restrictions de mouvement et d'interdictions de voyager, de refus d'emploi ou d'éducation, de détention arbitraire prolongée, de disparition forcée, de poursuites et d'emprisonnement. Ces tendances sont illustrées par les cas emblématiques suivants :

  • Chen Jianfang (陈建芳), défenseuse du droit à la terre et militante pour une plus grande participation citoyenne aux rapports de la Chine sur les droits humains pour les mécanismes de l'ONU, est détenue arbitrairement à Shanghai depuis mars 2019 sans accès à un avocat de son choix. Sa détention est intervenue un jour après la publication d'un hommage en ligne à l'occasion de l'anniversaire de la mort de la défenseuse des droits humains Cao Shunli en garde à vue en 2013. Elle a été inculpée en septembre 2019 pour «subversion du pouvoir de l'État» et on ignore où elle se trouve actuellement ainsi que l'issue de ses poursuites.
  • He Fangmei (何 芳 ط), défenseuse de la sécurité des vaccins, a été détenue arbitrairement pendant 10 mois entre mars 2019 et janvier 2020. Elle serait détenue dans un lieu inconnu de la province du Henan depuis le 10 octobre 2020 après avoir organisé un acte de protestation non violent pendant lequel elle avait projeté de l'encre devant un bureau gouvernemental la veille.
  • Li Yuhan (李昱 函), une avocate spécialisée dans les droits humains connue pour avoir défendu d'autres défenseur-ses victimes de harcèlement judiciaire, est détenue arbitrairement depuis octobre 2017 et sa santé se détériore. Elle a été mise en examen en avril 2018 mais il n'y a eu aucun procès.
  • Liu Yanli (刘艳丽) a été condamnée à quatre ans d’emprisonnement en mai 2020 pour avoir critiqué en ligne des dirigeants et  les politiques du gouvernement ainsi que pour ses écrits sur les réformes démocratiques et la corruption de l’État.
  • Les épouses des avocats en droits humains détenus sont elles-mêmes devenues des défenseuses et continuent d'être victimes de harcèlement, de surveillance et de restrictions, telles que le montrent les actions récentes affectant Xu Yan (许 艳) et Wang Qiaoling (王 峭 岭).
  • Zhang Zhan (张 展), une ancienne avocate et journaliste citoyenne qui a ouvertement dénoncé des violations des droits humains, a disparu à Wuhan en mai 2020 après avoir réalisé un reportage indépendant sur l'épidémie de COVID-19 ; elle a refait surface en détention dans un poste de police de Shanghai. Elle a été mise en examen en septembre 2020 et attend désormais son procès.
  • Les défenseuses des droits humains hongkongaises, Agnes Chow Ting (周 庭), Chow Hang Tung (鄒 幸 彤), Margaret Ng Ngoi-yee (吳 靄 儀) font partie des personnalités de la ville qui militent pour la démocratie et qui font face à des accusations en raison de leur position politique et/ou de leur participation à des rassemblements pacifiques appelant à des réformes démocratiques ou commémorant le massacre de Tiananmen en 1989.
  • Dans le dernier rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur les représailles contre les défenseur-ses des droits humains qui coopèrent avec les mécanismes des droits humains de l'ONU, 9 des 17 défenseur-ses des droits humains en Chine mentionnés étaient des femmes.

Dans son dernier rapport au comité des Nations Unies chargé de surveiller le respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le gouvernement chinois admet que «les stéréotypes de genre et l'inégalité entre les hommes et les femmes persistent, et les violations des droits des femmes» ont toujours lieu.

Le 1er octobre 2020, dans un discours prononcé devant une importante réunion des Nations Unies commémorant le 25e anniversaire de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, qui s'est tenue à Pékin, le président chinois Xi Jinping a déclaré que la Chine était «prête à faire encore plus» pour l'avancement des femmes dans le monde entier et a exhorté le monde à «éliminer les préjugés, la discrimination et la violence à l'encontre des femmes et à faire de l'égalité des sexes une norme sociale et un impératif moral respectés par tous».

Le 29 octobre 2020, à l'issue de la cinquième session plénière de son 19e Comité central, le Parti communiste chinois a promis, entre autres objectifs, de construire un «pays fondé sur l'État de droit» et de garantir la protection des «droits des citoyens à une participation égale » d'ici 2035.

Front Line Defenders prend note de la reconnaissance par le gouvernement chinois de l’importance de l’égalité des sexes et des défis persistants auxquels le pays est toujours confronté dans ce domaine. Elle exhorte le gouvernement chinois à associer ses paroles et ses engagements à des actions concrètes et compatibles avec le droit pour respecter et protéger tous les défenseur-ses des droits humains qui travaillent pour faire progresser les droits des femmes, notamment en :

  • Libérant immédiatement et sans condition toutes les défenseuses des droits humains détenues ou emprisonnées uniquement à cause de leur travail légitime et pacifique en faveur des droits humains, notamment Chen Jianfang, He Fangmei, Li Yuhan et Liu Yanli ;
  • Cessant et s'abstenant de toutes formes de harcèlement et de restrictions indues à jouir de leurs droits à la liberté d'expression, d'association, de réunion, de mouvement et de religion ou de conviction ;
  • Enquêtant de manière indépendante, impartiale et crédible sur toutes les allégations de menaces et de harcèlement à l'encontre des défenseuses des droits humains par les autorités de l'État et traduire en justice les responsables conformément aux normes internationales ;
  • Menant un examen juridique complet des lois, politiques et pratiques existantes pour identifier et corriger les incohérences avec les normes internationales relatives aux droits humains, y compris les dispositions utilisées pour cibler les femmes défenseuses des droits humains.