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5 Juillet 2019

Italie : Le gouvernement doit cesser de poursuivre les défenseur-ses des droits des migrants

Front Line Defenders condamne fermement l'acharnement judiciaire et les campagnes de diffamation contre les défenseur-ses des droits humains qui protègent les vies des migrants en mer Méditerranée. Les enquêtes pénales ouvertes contre la défenseuse des droits humains Carola Rackete, membre de l’ONG Sea Watch, et les dix membres d’équipage du navire humanitaire Iuventa, (connu sous le nom de «Iuventa 10») témoignent de la tendance actuelle à la criminalisation et à la délégitimation du travail des défenseur-ses des droits des migrants en Italie.

La défenseuse des droits humains allemande Carola Rackete est capitaine du navire humanitaire Sea Watch 3, qui appartient à l'ONG allemande du même nom. Les procureurs italiens ont convoqué Carola Rackete à un interrogatoire le 9 juillet, après avoir ouvert une enquête sur des accusations d'aide à l'immigration clandestine, passibles de 15 ans de prison.

Andrea Rocca, directeur adjoint de Front Line Defenders, a déclaré :

Les défenseur-ses des droits des migrants font un travail crucial en défendent les plus vulnérables et en sauvant littéralement des vies. Les criminaliser revient dans les faits à soutenir une politique de mort.

Le 29 juin 2019, Carola Rackete a été arrêtée pour avoir amarré le navire dans le port de Lampedusa, en Sicile, afin de débarquer 42 migrants qui avaient été secourus deux semaines auparavant au large des côtes libyennes, défiant ainsi une interdiction du ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini. La défenseuse a été initialement assignée à résidence pour avoir enfreint le blocus naval italien (décret récemment approuvé et appelé Salvini bis) et pour avoir accidentellement heurté un bateau de la police qui tentait de bloquer ses manœuvres.

Toutefois, le 2 juillet, une juge chargée des enquêtes préliminaires a déclaré que Carola Rackete n'avait pas agi contre la loi, affirmant que le nouveau décret ne pouvait pas être appliqué aux opérations de sauvetage humanitaire. Le décret introduit de nouvelles mesures contre les défenseur-ses des droits des migrants, notamment des amendes allant jusqu'à 50 000 euros et la confiscation des navires.

Dans sa décision, le juge a également déclaré que Carola Rackete "ne faisait que son devoir en sauvant des vies humaines". Carola Rackete avait décidé de ne pas débarquer les migrants en Libye, comme le suggéraient les autorités italiennes, car cela constituerait une violation du droit maritime international, qui définit "le débarquement dans un lieu sûr" dans le cadre des obligations de recherche et de sauvetage. Le 2 juillet 2019, un attentat a été perpétré dans le centre de rétention de Tajoura en Libye, qui accueille les migrants entrés dans ce pays, faisant plus de 40 morts et 82 blessés. Cette attaque a été condamnée par le groupe de travail de l'Union africaine-Union européenne-Nations Unies et la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Michelle Bachelet, qui a réitéré ses préoccupations concernant l'environnement dangereux pour les migrants dans les centres de rétention. Cette attaque et les attaques perpétrées contre des centres de rétention dans le passé montrent que les ports libyens ne peuvent être considérés comme des lieux sûrs pour les migrants.

Le harcèlement judiciaire à l'encontre de Carola Rackete et de Sea Watch s'est déroulé dans le contexte d'une campagne de délégitimation, d'attaques verbales et de menaces violentes contre les défenseur-ses des droits des migrants. Lorsqu'elle a débarqué du bateau escortée par les autorités italiennes, un groupe de personnes a commencé à la menacer et à l'insulter avec des commentaires sexistes, notamment des menaces d'agression sexuelle. De plus, la juge qui a ordonné la libération de Carola Rackete a été insultée et menacée.

Le ministre italien de l'Intérieur, Matteo Salvini, a qualifié la décision du capitaine du Sea Watch "d'acte criminel, d'acte de guerre" et a qualifié Carola Rackete de "criminelle qui devrait être mise en prison". En commentant l'arrestation de Carola Rackete sur son compte Twitter, le ministre a déclaré : "Mission accomplie. Le bateau pirate est saisi, amende maximum pour l'ONG étrangère". Cette campagne de diffamation intensive ne stigmatise pas seulement le travail de Carola Rackete et de Sea Watch, mais également tous les défenseur-ses des droits des migrants dans le pays et alimente la haine envers eux et leur travail légitime et pacifique.

Ce n'est pas la première fois que les autorités italiennes tentent de criminaliser les défenseur-ses des droits des migrants pour leurs actions pacifiques et légitimes en faveur de la protection du droit à la vie des migrants en détresse en mer. Des enquêtes ont été ouvertes au cours des deux dernières années à l'encontre de membres d'équipage de plusieurs ONG participant à des opérations de recherche et de sauvetage, notamment Sea Watch, Proactiva Open Arms et Jugend Rettet.

Le 2 août 2017, la justice italienne a saisi le navire de sauvetage «Iuventa», appartenant à l'ONG allemande «Jugend Rettet», qui avait permis de sauver plus de 14 000 personnes en mer, et a ouvert une enquête contre son équipage, y compris son capitaine Pia Klemp. Le 20 juin 2018, le bureau du procureur général de Trapani a informé dix membres de son équipage que des enquêtes sont en cours pour "aide et encouragement à l'immigration clandestine en Italie". Une condamnation entraînerait une peine de 5 à 20 ans  de prison et une amende de 15000 euros par personne sauvée. L'enquête n'étant pas terminée, l'accès au dossier est refusé. Les interrogatoires se poursuivront tout au long de l'année 2019. Pendant ce temps le navire Iuventa restera dans le port de Trapani en Sicile.

L'Agence de l'Union européenne pour les droits fondamentaux et des experts de l'ONU ont exprimé leurs inquiétudes concernant la situation des défenseur-ses des droits des migrants en Italie et les enquêtes pénales à l'encontre des navires des ONG participant aux activités de recherche et de sauvetage en Méditerranée.

Front Line Defenders est gravement préoccupée par les poursuites engagées contre Carola Rackete et l'équipage du Iuventa, car leurs affaires sont considérées comme des exemples emblématiques de la criminalisation des défenseur-ses des droits des migrants en Italie, en représailles pour leur travail légitime et pacifique visant à sauver les vies des migrants en détresse en mer. Les autorités italiennes devraient immédiatement abandonner toutes les charges portées contre les défenseur-ses des droits des migrants, lever l'interdiction d'entrer dans les ports pour les navires de sauvetage humanitaire et veiller à ce que ses responsables s'abstiennent de faire toute déclaration stigmatisant le travail des défenseur-ses des droits des migrants dans le pays.