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14 Septembre 2017

Un éléphant et deux cartes: dans la logique absurde des allégations de terrorisme en Turquie

Le bien-être est apparemment dangereux en Turquie. Lorsque mon amie Ozlem Dalkiran a assisté à une formation sur la sécurité holistique, on lui a demandé de dessiner quelque chose qui représente ce qui la préoccupe. C'est le genre de tableau et de post-it se voulant bien intentionnés qui perturbent mon degré de stress, mais Ozlem a joué le jeu et dessiné une carte de la Turquie avec des personnages représentant des personnes fuyant la guerre en Irak et en Syrie à l'est et des amis emprisonnés à Istanbul. Ce genre de dessin pour enfant est désormais brandi comme une preuve de son appartenance à une organisation terroriste non spécifiée. Ozlem contemple désormais le bien-être depuis une prison de haute sécurité à deux heures d'Istanbul.

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L'un des formateurs de cet atelier est un autre ami, Ali Gharavi, qui a récemment écrit un nouveau manuel sur la sécurité holistique. Le texte de présentation disait " un manuel de stratégie pour aider les défenseur-ses des droits humains à conserver une forme de bien-être tout en agissant (...). L'approche holistique inclut le soin de soi, le bien-être, la sécurité numérique et des informations sur la gestion de la sécurité traditionnelle". Ali est également accusé d'appartenance à une organisation terroriste non spécifiée. L'une des principales preuves retenues contre lui est une fiche tirée d'une présentation sur son ordinateur à propos de la langue et de la culture. Cela montre une carte académique des groupes de langues en Turquie, en Irak et en Iran.

L'arrestation de dix défenseur-ses des droits humains pacifiques pour terrorisme, basée sur deux cartes, est assez absurde en elle même, mais ensuite l'éléphant est entré en scène. Peter Steudtner était l'autre formateur de l'atelier destiné aux défenseur-ses des droits humains turcs. Lors de son interrogatoire, il a été accusé de complot secret visant à organiser des activités de formation terroriste dans la boutique de l'Ascot Hotel sur l'ile de Büyükada, décrite sur le site web de l'hôtel comme "la plus grande des iles aux Princes, une escapade à l'écart de la vie bouillonnante de la métropole d'Istanbul, où la vie s'écoule plus paisiblement, sans voiture ni circulation". Peter a souligné que ce n'était pas une réunion secrète, de nombreux défenseur-ses des droits humains étant invités à y participer, et précisant qu'il avait lui même donné les détails de ses déplacements et de ses activités au système "elefand" du gouvernement allemand, pour l'enregistrement des voyages à l'étranger. Et avec une efficacité orwellienne et aucun sens de l'ironie, le procureur turc a transformé cette preuve de transparence en une preuve de l'implication du gouvernement allemand dans ce présumé complot.

Les huit défenseur-ses des droits humains turcs ont un bilan remarquable en ce qui concerne leur travail pacifique en faveur des droits humains dans leur pays. Idil Eser est directrice d'Amnesty International en Turquie. Ali et Peter sont des formateurs internationalement respectés, qui aident les défenseur-ses des droits humains à travers le monde depuis de nombreuses années. Mais bien entendu, la nature transparente, pacifique et légitime de leurs activités en faveur des droits humains est la raison précise des actions des autorités turques à leur encontre. La campagne de diffamation, orchestrée par les médias qui soutiennent le gouvernement, les accusant d'espionnage et de complot avec des terroristes révèle en fait la peur de l'élite dirigeante à l'égard de ceux qui cherchent à leur faire rendre des comptes.

Rencontrer les défenseur-ses des droits humains à Istanbul et Ankara la semaine dernière a été très inspirant car ils ont conservé leur détermination, leur courage et leur humour face à la répression qui a impacté des milliers de personnes au delà des 10 défenseur-ses d'Istanbul.

Le contraste entre l'intégrité des défenseur-ses des droits humains et les crétins politiques qui se prétendent procureurs est frappant. Apparemment, même certaines voix pro-gouvernementales commencent à remettre en question ces accusations infondées contre des militants des droits humains respectés. Espérons que cette absurdité cesse bientôt et que les défenseur-ses des droits humains soient remis en liberté.

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