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19 Octobre 2018

"L'Assam en ébullition"

By Tanya Singh & Haseena Manek
Les défenseur-ses des droits humains luttent pour soutenir des millions de personnes laissées dans les limbes de l'immigration par le Registre national des citoyens en Inde

Cela fait deux mois que l'Inde a plongé près de quatre millions de personnes dans une lutte désespérée pour prouver leur citoyenneté au risque d'être expulsées. Fin juillet, le gouvernement a publié une version préliminaire du Registre national des citoyens et les effets ont été immédiats : des millions de personnes exclues de cette liste ont eu l'obligation de présenter des preuves de leurs revendications légitimes, les forces de sécurité ont été mises en alerte pour réprimer toute violence potentielle dans une région connue pour persécuter les minorités ethniques, et au moins un millier de personnes sont toujours incarcérées dans des prisons qui servent de centres de rétention pour l'immigration.

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Source: NewsClick

L'apatridie soudaine de millions de personnes a attiré l'attention de la communauté internationale depuis la publication de la loi en juillet. Mais sur le terrain, les défenseur-ses des droits humains (DDH) affirment que les menaces augmentent contre ceux et celles qui aident les victimes à préparer des documents relatifs à leur citoyenneté et qui leur apportent une aide juridique. Il y a un besoin urgent de fonds pour la représentation légale. Seul un petit groupe d'avocats en droits humains travaille sur ces affaires.

"En tant qu'avocat, je dois traiter un grand nombre de cas", a déclaré le DDH Aman Wadud à Front Line Defenders. "En fin de compte, ce sont des citoyens indiens - de véritables ressortissants indiens qui possèdent les bons papiers mais qui sont accusés d'être des migrants illégaux".

Aman a expliqué que le volume et la nature de ces affaires impacte négativement sa santé psyco-sociale. "Parler aux familles, traiter leurs cas au quotidien, cela m'impacte fortement. Je me bats presque contre une dépression maintenant. Chaque affaire sur laquelle je travaille est une violation flagrante de la justice naturelle ; même s'ils ont tous les bons papiers, des gens sont taxés d'étrangers et rendus apatrides. Si je fais une pause, cela va affecter mon travail et mes clients".

Les DDH qui travaillent sur ces affaires reçoivent également des menaces des autorités et sont harcelés au téléphone par des anonymes parce qu'ils soutiennent les personnes rendues apatrides par la publication du registre. "Parce que je dénonce je suis la cible de représailles. Les autorités m'ont dit de "faire attention". On m'a menacé de me poursuivre pénalement et d'outrage à la cour. Je n'ai jamais pris ces menaces sérieusement car je sais que je n'ai jamais dit ou fait quoi que ce soit de contraire à la loi. Je suis harcelé par des gens puissants qui ne veulent pas que le monde entier connaisse la vérité à propos de l'Assam".

Selon Aman, une grande part de l'ensemble de la population de l'Assam est très pauvre ou illettrée et peu possèdent les papiers requis pour prouver leur citoyenneté dans les communautés où culturellement il n'y a pas de certificats de naissance ou de décès. Lorsque les gens résident dans des zones où le risque d'inondation est important, même si ces certificats existent et ont été conservés, ils ont souvent été détruits.

"C'est une question de subsistance".

Des bénévoles donnent leur temps pour remplir des formulaires, préparer des documents et les remettre aux agences gouvernementales, mais nous avons besoin de plus de mains. Cela peut prendre des heures dans une journée, que de nombreuses personnes qui ne sont pas inscrites dans le registre ne peuvent pas se permettre de perdre. Des gens non inscrits sur le registre NRC ont été contraints de choisir entre leur emploi et prendre du temps pour préparer et remettre leurs documents en bonne et due forme.

"C'est une question de subsistance", indique la coordinatrice de protection de Front Line Defenders pour l'Asie qui a effectué une mission de recherche dans l'Assam peu avant la publication du NRC en juillet. "Dans le même temps, le principal problème des DDH est la capacité. Pour les leaders communautaires et les avocats, il s'agit d'avoir les capacités de faire ces papiers mais aussi de travailler en toute sécurité. Ensuite, ils doivent avoir plus de monde pour les y aider".

Détention indéfinie

Le NRC publié en juillet était officiellement une version préliminaire, la soi-disant "liste finale" devant être publiée en septembre. Les personnes non inscrites sur la liste finale ont l'option de soumettre leurs papiers jusqu'au 23 novembre afin d'être inclus au registre ; après cette date, le seul recours sera de faire appel devant des tribunaux étrangers.

La police aux frontière (Border Security Force (BSF) de l'Assam a arrêté des personnes dans l'incapacité de prouver leur citoyenneté, bien qu'elles puissent toujours légalement faire appel de leur statut. Ces personnes sont détenues dans l'un des six centres d'incarcération pénale de l'État d'Assam.

"Il n'y a aucune directive, aucune règle, aucun règlement pour réguler les détenus dans ces centres de détention", explique Aman. "Ils n'ont aucun droit à la parole, les règles de prison habituelles ne s'appliquent pas à eux. Ils ne reçoivent aucun salaire minimum pour travailler, ils n'ont pas de moment de détente, rien. Les centres de détention sont lentement et sans discontinuer surpeuplés".

Reuters
Source: Reuters

La cour a confirmé un ordre final contre beaucoup de personnes détenues. Cela signifie qu'ils seront expulsés au Bangladesh. Cependant, il n'y a aucun accord officiel d'expulsion avec le Bangladesh, ce qui les plonge dans les limbes, apatrides et sans statut. Des gens pourraient donc rester indéfiniment dans des prisons qui servent de centres de rétention pour l'immigration improvisés et sans règle.

"Si le gouvernement n'a pas de politique, si la cour suprême ne fixe pas de directives ou de règles, alors ces conditions inhumaines persisteront", explique Aman. "Et les gens seront incarcérés indéfiniment".

Selon certaines sources, les familles, dont des enfants, sont séparées car un membre figure sur le NRC et un autre non, et il est donc arrêté. Une autre source de préoccupation grandissante pour les DDH de l'Assam est le possible accaparement des terres et des biens laissés par les personnes actuellement détenues.

"Si le gouvernement n'a pas de politique, si la cour suprême ne fixe pas de directives ou de règles, alors ces conditions inhumaines persisteront. Et les gens seront incarcérés indéfiniment".

Des tensions ethniques historiques

La majorité de ces quatre millions de personnes, qui luttent désormais pour rassembler les documents personnels afin de prouver qu'elles ne sont pas des migrants illégaux, sont musulmanes et des personnes d'origine bengalie qui vivent dans l'Assam depuis des générations. Elles risquent des représailles de la part des communautés indiennes non bengalies et hindoues et des communautés autochtones de l'Assam.

La mise à jour du NRC était une promesse du parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party (BJP) lors des dernières élections fédérales en Inde, visant à régler le soi-disant problème de l'immigration illégale dans l'Assam. L'Assam est le seul état du pays qui possède un registre de la citoyenneté.

"Il y a des tensions occasionnelles entre la population de l'Assam et bengalie, mais les tensions se sont exacerbées lorsque le BJP est arrivé au pouvoir", a indiqué le coordinateur de protection de Front Line Defenders pour l'Asie. 

Selon Aman, l'idée d'un registre national était initialement salué par certaines minorité, en particulier la communauté bengalie, car il représentait l'opportunité de faire enfin taire les allégations contre eux concernant leur statut d'immigration.

"Les Bengalis ont toujours été taxés d'"immigrants illégaux", a déclaré Aman. "Ils ont vu le NRC comme un moyen de mettre fin à la politisation de l'immigration illégale". Cependant, le résultat est une discrimination systémique, des détentions massives et des menaces contre les DDH tels qu'Aman.

PTI
Source: PTI

Beaucoup de membres de la communauté bengalie dans l'Assam vivent dans cet État depuis des générations et n'ont pas de statut au Bangladesh non plus. Aman craint que beaucoup d'entre eux "deviennent apatrides" après la date limite de novembre pour les demandes d'ajout au NRC.

Le 23 novembre étant dans seulement 6 semaines et des millions de personnes étant toujours sans statut, le travail des DDH comme Aman est plus important que jamais. Les DDH qui préparent les documents pour la citoyenneté et qui les remettent dans les agences gouvernementales défendent l'ensemble de la communauté contre le risque d'être déplacé, expulsé ou placé en détention dans un centre de rétention pour une durée indéterminée. Leur travail, leur bien-être et leur aptitude à continuer est ce qui empêchera les gens qui ont passé toute leur vie dans l'Assam de devenir apatrides.

Tanya Singh est stagiaire Recherche et formation Asie.

Haseena Manek est stagiaire éditrice web et communication.